Quatre juges marocains sont renvoyés en commission disciplinaire à cause de leurs publications sur les réseaux sociaux. Le Club des magistrats du Maroc dénonce une atteinte à la liberté d'expression, appelant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) à revenir sur ses démarches. Depuis quelques jours, les juges marocains suivent le développement du dossier de quatre de leurs confrères, que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) a décidé de traduire devant une commission disciplinaire pour avoir critiqué le retard de l'institution à diffuser des documents non-confidentiels, relatifs à ses travaux. Les quatre juges visés par cette mesure se sont vu, ce jeudi, désigner un rapporteur, «ce qui signifie que la procédure suit son court pour les traduire devant le comité», s'inquiète auprès de Yabiladi Abdellatif Chentouf, président du Club des magistrats du Maroc. Les quatre concernés, Afif El Bakkali et Fathallah Hamdani au tribunal administratif de Rabat, Abderrazak El Jabbari à Kénitra ainsi que Driss Maatalla, juge au sein du CSPJ, sont tancés par le Conseil pour avoir publié des statuts sur Facebook concernant justement le retard de l'institution à publier ses travaux, plus de 15 jours après l'échéance légale. «Ces message ont été publiés sur une page des magistrats», nous explique Abdellatif Chentouf, indiquant qu'«il s'agit d'un espace d'échange entre les collègues, où on ne commente ni les affaires en cours ni les dossiers dont les uns ou les autres ont la charge, mais où on discute plutôt des travaux du CSPJ». Un point de vue partagé par plusieurs juges Face à ce retard, le conseil a été critiqué par plusieurs magistrats, par le Club des magistrats notamment ainsi que par des professionnels de la justice, nous affirme le juge Chentouf. D'où son étonnement de voir que «quatre des personnes qui ont unanimement pointé du doigt le même manquement font l'objet d'un renvoi devant la commission disciplinaire». A la question sur la corrélation entre l'attitude des concernés et le droit de réserve auxquels sont tenus les juges, Abdellatif Chentouf considère que les deux questions «sont sans rapport l'une avec l'autre». «Les propos tenus par les magistrats ont porté sur un procédé technique que le conseil est dans le devoir d'exécuter, et non pas sur les affaires internes sur lesquels nous sommes tenus par la loi de ne pas nous exprimer publiquement», affirme-t-il. «Si l'on met toutes les considérations de silence des juges sur le compte du droit de réserve, nous tomberons dans de graves dérives qui portent atteinte à la liberté d'expression des professionnels de la justice, garantie par l'article 111 de notre constitution.» Pour toutes ces raisons, le Club des magistrats estime que «ces démarches constituent une menace sur la liberté d'expression des juges». Un débat sur la liberté d'expression des juges «Face à l'attitude de nos quatre confrères, la réaction du conseil ne doit pas être disciplinaire, encore moins en l'absence d'un Code de conduite des juges qui n'est d'ailleurs pas élaboré. Au lieu d'une telle mesure, le Conseil aurait gagné à ouvrir le débat sur ce code déontologique dont on ne voit pas encore la mise en place, et le CSPJ se doit de chapeauter ce processus», ajoute encore Abdellatif Chentouf. En attendant que cela se fasse, décider de renvoyer des juges devant la commission disciplinaire, «sans tenir compte de la loi suprême du pays qui garantit leur liberté d'expression», reste anticonstitutionnel au regard du juge. «Les prérogatives du Conseil dans son rôle à veiller au respect de nos droits sont claires, mais la situation à laquelle ces juges sont confrontés contraste avec ces principes», déplore notre interlocuteur. Celui-ci déplore que le CSPJ n'en soit pas à son premier renvoi en commission disciplinaire contre des magistrats. «Nous y avons assisté lorsque cette instance était sous la tutelle du ministre de la Justice, mais comme ce n'est plus le cas, nous considérons que cette nouvelle ère où le Conseil s'est ouvert à des compétences multiples, et indépendant du ministère en connaissant une évolution, ne doit pas être entachée par des usages du passé». Ainsi, Abdellatif Chentouf exprime ses espoirs de voir «un autre traitement du dossier de la part du CSPJ». «Si débat il y a, il doit être élargi, permettant à tous de donner notamment un point de vue sur le Code de conduite des juges, sans lequel les mesures disciplinaires restent une fuite en avant inquiétante et ne donnent pas une bonne image de l'institution», nous explique-t-il. «Nous continuerons à soutenir nos collègues et espérons que le CSPJ décide de classer le dossier pour se concentrer sur les grands projets où il est attendu. Auquel cas, nous allons défendre nos collègues par tous les moyens légaux, mais nous ne souhaitons pas que la situation en arrive à ce stade», affirme le juge. Article modifié le 2019/07/11 à 15h43