■ Le plus souvent, en cas d'expropriation, les indemnités fixées sont inférieures à la valeur réelle du bien. ■ L'Etat bénéficie, dans les limites fixées par la loi, du privilège de puissance publique. Le Maroc a entrepris ces dernières années de larges chantiers d'équipement du pays en infrastructures de base : routes et autoroutes, universités, adductions d'eau potable, lignes de chemin de fer, barrages, bâtiments administratifs et scolaires, ports, TGV… Ces projets, impulsés par SM le Roi Mohammed VI, contribuent inévitablement au développement socio-économique du pays. Des projets qui entrent dans le cadre d'une stratégie lancée par le Maroc pour mettre à niveau son économie et ses infrastructures et restaurer ainsi sa compétitivité. Toutefois, il y a une phase cachée derrière toute cette machine. Il s'agit des propriétaires de terrains ou de maisons qui se voient obligés de céder leurs biens pour l'intérêt commun. Agissant dans le cadre de l'intérêt général et de l'utilité publique, l'Etat bénéficie, dans les limites fixées par la loi, du privilège de puissance publique sans lequel il ne peut disposer de terrains privés pour satisfaire ses multiples demandes. Les nécessités de développement du pays et de sa modernisation, ainsi que les contraintes liées à la continuité du service public, font que l'intérêt général passe avant l'intérêt particulier dans toute société solidaire. C'est ainsi que la loi les place au-dessus des particuliers pour jouir du droit d'occupation et d'expropriation des biens immeubles et terrains, sans avoir à se soumettre à la procédure habituelle d'acquisition de gré à gré, en contrepartie d'une équitable indemnisation. Certes, nous sommes tous pour cette modernisation du pays, mais une question se pose : est-ce que les indemnisations versées sont fixées à leur juste valeur? Souvent, les estimations arrêtées sont très inférieures à la valeur réelle du bien. Un point de désaccord entre le propriétaire et l'expropriant qui autorise le recours à la procédure d'expropriation. «On ne peut parler d'expropriation pour cause d'utilité publique qu'après épuisement de la phase judiciaire de la procédure d'expropriation, c'est-à-dire lorsque la prise de possession est ordonnée par le juge des référés et le transfert de propriété prononcé par le juge d'expropriation», déclare Brahim Baamal, Directeur des Affaires administratives et juridiques au ministère de l'Equipement et des Transports. Selon lui, la procédure d'expropriation est déclenchée dans 3 cas de figure : le refus des propriétaires des indemnités proposées par l'Administration, l'existence de litige entre les propriétaires des parcelles à exproprier et la non disponibilité des titres de propriété. Selon Maître Naoui Saïd, avocat au Barreau de Casablanca et doctorant en droit, «en cas de litige, le propriétaire peut formuler un recours par le biais d'une requête signée par un avocat devant le juge d'expropriation au tribunal administratif pour demander l'annulation d'une décision administrative pour abus de pouvoir. Ainsi, il est possible de contester la réalité de l'utilité publique». À ce propos, nous avons contacté un exproprié, n'ayant pas souhaité décliner son identité, qui nous livre son expérience. L'affaire remontre à un an lorsque la décision de construire le premier port militaire marocain sur la rive méditerranéenne du Royaume dans la région de Ksar Sghir est tombée. L'exproprié assure que ni lui ni les 15 autres concernés, propriétaires du lot de terrain où devait être construit le port n'ont été avisés de leur expropriation. C'est après le démarrage des travaux sur leurs terrains qu'ils ont dû se déplacer au service des travaux publics pour apprendre que les terrains ne leur appartenaient plus. Ils ont été informés que le prix du m2 a été fixé à 500 DH alors que 14 ans auparavant, ils avaient acheté le terrain à 400 DH/m2, sachant que le terrain se situe dans le périmètre urbain de la ville de Ksar Seghir, les pieds dans l'eau. Des critères qui estimaient la valeur du terrain entre 1.500 DH et 2.000 DH le m2. A la question : pourquoi n'avez-vous pas eux recours à la Justice ? L'exproprié nous a répondu : «Nous nous sommes réunis entre propriétaires de terrain pour discuter de la possibilité d'avoir recours à la Justice ; néanmoins, nous sommes arrivés à la conclusion qu'une procédure judiciaire ne prendrait pas moins de 2 à 3 ans pour que l'expert soit désigné par le tribunal des affaires administratives et voir augmenter le prix de 100 ou 200 DH. Nous avons à ce moment estimé que ça ne valait pas la peine». ■ Dossier réalisé par W.M. & L. B. Les failles de la Loi La loi n°7-81 régissant l'expropriation pour cause d'utilité publique et l'occupation temporaire donne du fil à retordre autant aux administrations qu'aux citoyens. Quasiment trentenaire, le texte présente effectivement des failles et des vides juridiques qui offrent un terrain favorable à différents abus et aberrations. En premier lieu, la notion même d'utilité publique. En principe, c'est un juge qui statue sur le caractère d'intérêt général du projet générateur d'expropriation. Or, l'utilité publique est décrétée d'office dès lors que c'est l'administration qui initie le projet. Ensuite, un vide juridique aberrant ! Aucun article du texte ne définit le délai réglementaire du passage de la phase administrative à la phase juridique. En d'autres termes, l'intervalle entre le dépôt du projet et son exécution effective. Cette omission est lourde de conséquences pour le citoyen. En effet, sous couvert de l'utilité publique toute transaction au sein de la zone délimitée par le plan parcellaire est gelée. Par transaction on entend notamment : vente ou achat, travaux d'entretien, construction ou démolition. Tous ces actes sont proscrits. De fait, la valeur des biens est réduite à néant.