A l'heure où de nombreux Marocains sont victimes d'expropriation, une nouvelle loi risquerait de compromettre l'espoir des victimes de récupérer un jour leurs biens. L'article 8 bis du projet de Loi de finances 2017 suscite une levée de boucliers. Et pour cause, il est jugé «inconstitutionnel» par les juristes. Détails. A l'instar d'Omar Oulad Lhadj, le sexagénaire franco-marocain qui avait entamé une grève de la faim à Orléans pour dénoncer l'expropriation de son terrain près de Tanger par l'Etat, le sort de nombreux Marocains pourrait être désormais scellé. «Les fonds et les biens de l'Etat et des collectivités territoriales ne peuvent en aucun cas faire l'objet de saisie», énonce l'article 8 bis du projet de Loi de finances 2017, selon le site d'information arabophone Qushq. Autrement dit, tout ce qui appartient à l'Etat ne peut être saisi. Même si le tribunal se prononce en faveur du citoyen, l'exécution du jugement sera annulée par l'Etat. En d'autres termes, les personnes à qui l'Etat ou une quelconque collectivité territoriale doit de l'argent ne pourront pas se voir reverser leur dû, et ce même après la décision finale du tribunal. L'article incite les «créanciers porteurs de titres exécutoires ou de décisions judiciaires définitives prononcées contre l'Etat ou les collectivités locales à ne réclamer l'exécution [du jugement] qu'auprès de l'ordonnateur de l'administration publique ou des collectivités concernées». Le texte soumet également le paiement d'une dette à la limite des crédits disponibles et permet de reporter ce paiement aux années suivantes. Dans le cadre d'une condamnation, «le règlement doit être ordonnancé dans un délai maximum de 60 jours à compter de la date de notification de la décision». Néanmoins, un nouveau blocage peut retarder ce paiement «dans la limite des crédits ouverts au budget qui leur [les collectivités territoriales] est attribué». Ainsi, si les fonds sont insuffisants, l'entité pourra payer «les années suivantes». Tant de subtilités qui ne sont pas du goût des juristes. L'article devait déjà être inséré à la Loi de finances 2015 mais avait été mis sur la sellette, pour finalement refaire surface aujourd'hui. L'insaisissabilité des biens appartenant à l'Etat et aux collectivités locales a ainsi été adoptée le 12 mai, en première lecture, par la Chambre des représentants, avant d'être soumis à la Chambre des conseillers. Des juristes atterrés Les juristes, eux, sont formels : «Cet article est scandaleux et inconstitutionnel» car il empêche l'exécution forcée à l'encontre des personnes morales de droit public, avance sur son compte Twitter Zineb Laraqui, avocate et cofondatrice du site Jurisprudence.ma. Celle-ci d'ajouter : «Le pourvoi d'une personne morale de droit public sera suspensif et accordera un privilège juridictionnel à la partie poursuivie, même quand la décision est irrévocable» si l'article vient à être approuvé. L'article 8 bis du projet de loi de finances est scandaleux (actuellement devant la 2ème chambre) — Zineb L. (@ZeeLara8) 21 mai 2017 Contacté par Yabiladi, Lahbib Hajji, avocat et militant associatif, explique : «Cet article incitera les gens à ne plus recourir à la justice et encouragera les avocats à augmenter leurs honoraires, par peur qu'ils ne soient pas payés faute d'indemnités». «Cet article affecte les droits de l'homme et la Constitution et donne à l'Etat un statut supérieur», juge-t-il. Ce qui, d'après lui, touchera les citoyens : «Pourquoi devrais-je agir ou conseiller mes clients, sachant qu'ils ne seront pas en mesure d'exécuter la décision et de recevoir leur argent ?», s'interroge l'avocat. De même, Lahbib Hajji ne manque pas de pointer le fait que les directives royales n'ont pas été respectées : «Cet article contredit la philosophie de la Constitution et le discours du roi prononcé au Parlement.» Approuvé à la Chambre des représentants, il passe actuellement en deuxième chambre, soit la Chambre des conseillers. «Pour aspirer à l'annulation de cette loi, il faudrait demander que le dossier soit pourvu en cour constitutionnelle. Si elle est votée, l'écart entre l'Etat et le citoyen ne fera que se creuser», conclut Lahbib Hajji.