Nabil El Bousaadi La Syrie est à un tournant de son Histoire. Il suffit de sortir dans la rue, dans n'importe quelle ville du pays, pour s'en rendre compte. La parole y est, désormais, « libre » et l'on peut, pour l'heure, affirmer, sans crainte, que la liberté n'y est plus muselée comme sous l'ancien régime. Or, s'il est incontestable qu'Ahmed al-Chareh, plus connu sous son nom de guerre d'Abou Mohammed al-Joulani, a mis fin à 5 décennies du règne autocratique du clan al-Assad qui avait semé la terreur dans le pays et que cela est à son honneur, il n'en demeure pas moins vrai, toutefois, qu'en sa qualité de patron du groupe islamiste radical Hay'at Tahrir al-Sham, il avait mis en œuvre un modèle très rigoriste lorsqu'il s'était emparé de la région d'Idlib au nord-ouest du pays. Mais si le HTS a fait, de cette région, un « laboratoire » dès lors que les femmes y sont obligées de porter le voile ou le niqab et que cette pratique de l'Islam est difficilement applicable à Damas, ville multiconfessionnelle et moins conservatrice, en s'interrogeant sur les réelles intentions des nouveaux maîtres du pays, les syriennes qui redoutent la généralisation du modèle rigoriste mis en place à Idlib ne sont toujours pas rassurées. Aussi, quand Rami Nedal, un cinéaste, a lancé, sur Facebook, l'idée d'organiser une rencontre pour aborder toutes « les questions qui fâchent », des centaines de syriennes ont répondu à son appel en se retrouvant, le lendemain, sur la Place des Omeyyades, une grande place de Damas, où elles ont scandé, à l'unisson : « Nous voulons la démocratie, pas un Etat religieux (...) la religion est à Dieu et la Nation est à tous ! (...) La Syrie, Etat libre et séculier ! ». Peu nombreux étaient les représentants des forces de l'ordre du nouveau régime venus armés et cagoulés pour « encadrer » la manifestation en déambulant parmi les manifestantes. Mais, bien qu'étant encore embryonnaires, de telles initiatives sont tellement médiatisées qu'elles sont vouées à la multiplication ; ce qui devrait alerter les nouvelles autorités du pays. Ainsi, dans une vidéo publiée, sur Facebook, l'actrice syrienne Iliana Saad, raconte qu'au moment où elle marchait à côté d'un ami, un islamiste du HTS l'a interpelée en lui lançant au visage : « Vous êtes dans un Etat islamique, les femmes ne peuvent sortir qu'accompagnées de leurs frères ou de leurs maris ! ». Mais quand l'actrice est allée se plaindre auprès des nouvelles autorités du pays, l'intéressé a été rappelé à l'ordre. Cette histoire n'étant pas un cas isolé puisque de nombreuses femmes ont vécu une situation similaire, il semblerait que ce ne soit là qu'un test mis en place par les nouveaux maîtres du pays pour voir « jusqu'où ils peuvent aller » dans ce domaine. Si, en dépit du fait que le nouveau maître de Damas avait officiellement délaissé le jihadisme et troqué son nom de guerre pour une identité civile, les femmes refusent toujours de se plier à des pratiques qui sont « contraires » à leurs valeurs, il y a de fortes chances pour que, dans ce bras de fer, elles finissent par l'emporter et par garder la liberté vestimentaire et la liberté de circuler qu'elles avaient sous l'ancien régime mais attendons pour voir...