Au lendemain de révélations sur un accord entre au moins six transporteurs, le ministère des Transports et celui de l'Intérieur pour restreindre la circulation des ressortissants subsahariens sans papiers dans le territoire marocain, la stupeur est vive au sein des communautés subsahariennes au Maroc ainsi que chez les associations de droits de migrants. Témoignages. L'image a fait le tour des réseaux sociaux et la consternation a été générale notamment après la confirmation d'agences de la CTM, hier à Yabiladi, du refus de vente de billets aux ressortissants subsahariens en partance pour les villes du nord du Maroc, s'ils ne justifient pas la validité de leur séjour dans le pays. Mais d'après les témoignages recueillis par notre rédaction, l'entreprise n'est pas la seule à recourir à cet usage, puisque de nombreuses sociétés d'autocar ont mis en place cette mesure. Ressortissante de Congo-Brazzaville, une résidente à Rabat a vécu cette discrrimination à la gare routière de Kamra. Elle accompagnait Aimée Lokaké lors de son voyage à bord d'un autocar de la CTM, lorsqu'un contrôleur à l'entrée du véhicule l'a sommée de présenter son titre de séjour. «Je lui ai demandé si je devais montrer mes papiers parce que j'étais 'noire' et subsaharienne, alors que d'autres étrangers avant moi sont passés sans problème, il m'a violemment répondu que oui», nous dit-elle. «Je leur ai dit si c'est comme ça, remboursez-moi mon billet pour que j'en achète un autre ailleurs, on m'a répondu que ce n'était pas remboursable. Si je n'avais donc pas ma carte de séjour, j'allais me faire refuser le voyage et perdre l'argent que j'ai dépensé pour un trajet que je n'aurai finalement pas fait.» Ressortissante congolaise au Maroc Contacté par Yabiladi, le président de l'Association lumières sur la migrations au Maroc (ALECMA), Patrick Kit Bognis pointe des «situations aberrantes, pour un pays qui est engagé dans une politique migratoire pour l'intégration des ressortissants étrangers». «Ces révélations sont une honte supplémentaire qui va à l'encontre de la Stratégie nationale de la migration et de l'asile», nous déclare-t-il. Pour le militant, «empêcher les migrants subsahariens de se mouvoir d'un point à l'autre, dans les frontières d'un même pays, est extrêmement grave et doit être dénoncé avec fermeté». Dans ce sens, Patrick Kit Bognis appelle «la société civile et les journalistes à s'unir pour faire parler de ces situations, qui ne font pas avancer le Maroc». Et d'ajouter : «Les étrangers au Maroc ne sont pas uniquement subsahariens. Il existe des Français, des Européens en général, des Syriens, des Asiatiques. Pourquoi les autorités se focalisent toujours de manière sécuritaire sur les ressortissants subsahariens dits de couleur ?» Sociétés d'autocar, auxiliaires de police ? En plus de l'ALECMA, le Groupe antiraciste de défense et étrangers et des migrants (GADEM) à Rabat a lancé un appel à témoignage anonyme, afin de recueillir les récits de ressortissants étrangers, surtout subsahariens, qui ont déjà vécu des situations similaires. Coordinatrice générale de l'ONG, Camille Denis indique à Yabiladi que «le contrôle d'identité ne relève pas des prérogatives des entreprises de transport national». «Selon le règlement intérieur de chacune de ces entreprises, il est peut-être prévu qu'il y ait contrôle dans certains cas, mais ce serait surtout rattaché à des situations spécifiques d'infractions. Nous ne sommes même pas dans le cas de voyageurs qui auraient fraudé et dans ce cas-là, le contrôle d'identité est clairement défini par les lois constitutionnelles prévoyant qui a le droit de les effectuer», rappelle-t-elle. Pour cette militante, «soumettre la vente de billets de voyage à la présentation d'un titre de séjour n'est autorisé par aucun des cadres juridiques existants». «De plus, cette mesure est orientée uniquement vers une 'catégorie' que sont les ressortissants étrangers issus d'Afrique noire, ce qui représente une situation de discrimination de la nationalité et de la couleur de peau», dénonce-t-elle. Par ailleurs, Camille Denis fait observer que ces restrictions «sont très en lien avec celles de mobilité subies par des ressortissants subsahariens, l'année dernière, lorsque plusieurs témoignages ont convergé sur des difficultés à être conduits par certains transporteurs, ou encore les déplacements forcés qui montrent clairement une volonté d'éloigner ces personnes des zones frontalières, sans même savoir s'ils envisagent de se rendre en Europe ou non». Le Maroc garde-frontière de l'UE De son côté, Patrick Kit Bognis estime que ces usages sont symptomatiques des conséquences de l'externalisation des frontières européennes en Afrique. «Si on choisit de 'barrer la route de l'UE' à des Subsahariens, les Indiens ou les Pakistanais font également partie des étrangers qui veulent rallier l'espace Schengen depuis le Maroc. Mieux encore, les Marocains dans ce cas sont encore plus nombreux que les Subsahariens», nous explique-t-il. De plus, le président de l'ALECMA voit un lien entre ces usages et les dispositions de la loi 02.03 relative à «l'entrée et séjour des étrangers, l'émigration et l'immigration clandestine». «Nous avons toujours appelé à la révision de ce texte pour qu'il ne soit plus utilisé à l'encontre des migrants qui n'ont aucun rapport avec le terrorisme, sachant que ce texte a été voté avec la loi antiterroriste pour la sécurisation des frontières dans ce sens». «Tant que cette mesure existera dans ses termes actuels, il y aura toujours des arrestations arbitraires, des refoulements et des déplacements forcés illégaux», s'inquiète le militant.