Alors que la population mondiale croît inexhorablement, le changement climatique menace la production mondiale des céréales. Quid du Maroc qui fait partie des plus gros importateurs de céréales au monde ? C'est une autre conséquence du dérèglement climatique : la chute de la productivité des grandes cultures que sont le riz, le maïs et le blé. D'après l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la demande devrait atteindre 3,3 milliards de tonnes par an en 2050, soit 800 millions de plus qu'en 2014. Problème : sans une adaptation ou une amélioration génétique, chaque élévation de la température d'un degré Celsius va entraîner une baisse des rendements mondiaux de maïs de 7,4%, de blé de 6% et de riz de 3,2%, selon une analyse internationale publiée dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences américaine en 2017, relayée par le journal Le Monde. Lorenzo Giovanni Bellu, économiste à la FAO et spécialiste des projections des systèmes alimentaires et agricoles, prévient : «En 2050, en cas de poursuite des émissions de gaz à effet de serre, les pertes de rendement pourraient dépasser 10% pour certaines céréales, comme pour le blé autour du bassin méditerranéen.» Des productions pas irriguées qui dépendent de la pluie Signe que les prévisions ne sont guère plus encourageantes au Maroc : la sècheresse du printemps devrait freiner les perspectives de production de blé et de céréales pour 2019, indiquait la FAO en mai dernier, soulignant que la faiblesse des précipitations nuirait à la récolte et à la production de blé dans le royaume, et évoquant des «perspectives de production [qui] ne sont pas favorables». Pour l'institution onusienne, les déficits pluviométriques enregistrés entre janvier et mars ont nui à la croissance et «réduit le potentiel de rendement, en particulier dans l'ouest et le nord du pays». Les prévisions préliminaires du gouvernement marocain suggéraient quant à elles que la production de blé pour l'année courante devrait régresser de 7,3 millions de tonnes à seulement 4,9 millions de tonnes. Les inquiétudes relatives à l'impact du dérèglement climatique sur la quantité de blé ont donc toute légitimité à être soulevées, estime Chaouki Al Faiz, directeur de recherche à l'Institut national de recherche agronomique. «La plupart des superficies de blé au Maroc sont conduites selon le mode de l'agriculture pluviale : elles ne sont pas irriguées et dépendent donc de la pluie», nous explique-t-il. «Les sécheresses recensées ces dernières années au Maroc vont impacter les rendements car le blé aura du mal à démarrer ou à terminer son cycle ; tout dépend de la phase durant laquelle ces déficits de pluie se produiront. D'autant qu'avec l'augmentation des températures, on se retrouve parfois avec des températures estivales en pleine période de floraison, ce qui affecte la fécondation et réduit le nombre de grains formés par la plante.» Chaouki Al Faiz «On ne peut plus prévoir les sécheresses : certaines arrivent au début ou au milieu du cycle, au moment où la culture a le plus besoin d'eau. L'année dernière, la sécheresse a eu lieu au début du cycle et a été très longue. On n'a pas pu semer avant le mois de décembre. C'est déjà un impact», abonde Abdellah Aboudrare, directeur adjoint à la recherche, à la coopération et au partenariat à l'Ecole nationale d'agriculture de Meknès. Il poursuit : «Au cours des vingt dernières années, le Maroc a connu tous les types de sècheresse : vous semez votre blé au mois de novembre, vous avez ensuite une petite pluie qui cumule la germination du blé, et enfin une longue période de sècheresse, et là le blé crève. Dans ce cas, c'est toute la production qui est perdue. Deuxième scénario : vous semez le blé, sa levée se déroule normalement mais au moment de la montaison (production des graines par une plante après floraison, ndlr) et de l'épiaison (développement de l'épi dans la tige des graminées), c'est-à-dire en plein milieu du cycle, la sècheresse vous fait perdre une grande partie de la production car c'est au cours de ces phases que le blé se reproduit. Enfin, troisième scénario : vous avez les épis mais pas assez d'eau pour les remplir.» Pour une agriculture de conservation Pour les deux spécialistes, la recherche agronomique doit être revue et adaptée aux nouvelles réalités impulsées par le changement climatique. Pour Chaouki Al Faiz, «il va falloir repenser le système de cultures dans les zones où on n'arrive plus à produire de céréales, intensifier la recherche de variétés adaptées, résistantes aux températures élevées et au manque d'eau.» Abdellah Aboudrare plaide quant à lui pour l'agriculture de conservation. Ce système cultural vise à améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et performante sur les plans technique et économique. «C'est une technique qui permet de s'adapter à la sécheresse et donc aux changements climatiques car elle ne perturbe pas le sol et y maintient l'humidité – la pluie qui tombe reste dans le sol et on économise ainsi de l'eau pour les cultures.» Abdellah Aboudrare Chaouki Al Faiz d'ajouter : «Il faut introduire des cultures moins gourmandes en eau, en l'occurrence des variétés à cycle court, qui sont cependant moins productives que les variétés à cycle long parce qu'elles ont moins de temps pour fabriquer de la biomasse, la source d'énergie qui alimente le grain. On aura donc des rendements plus faibles – c'est là l'une des possibilités d'impact sur le rendement.» Le but étant, in fine, de produire sans être trop dépendant des importations. En mai dernier, la FAO disait s'attendre à ce que les importations de blé du Maroc passent de 3,3 millions de tonnes en 2018 à environ 4,7 millions en 2019, afin de «couvrir le déficit de la production nationale». Le royaume est d'ailleurs l'un des plus gros importateurs de blé au monde.