Le 20 août, le roi Mohammed VI a appelé le gouvernement à «donner la priorité» à la déconcentration administrative. Mohammed Benabdelkader, ministre délégué chargé de la Réforme de l'administration et de la fonction publique est le secrétaire permanent de la Commission interministérielle de la déconcentration administrative. Il revient sur la progression du chantier dans cette interview accordée à Yabiladi. Où en est la déconcentration aujourd'hui ? Ce chantier est régi par des délais fixes. Le décret portant Charte nationale de la déconcentration administrative et le décret fixant le schéma directeur référentiel de la déconcentration administrative comportent deux dates : fin juillet pour que l'ensemble des 26 départements concernés déposent leurs schémas directeurs auprès du secrétariat permanent de la Commission interministérielle de la déconcentration administrative. Cette étape a été franchie. Les départements ministériels ont présenté leur schéma directeur et leur feuille de route. Le schéma directeur est une sorte de canevas. La feuille de route édicte, d'une part, les compétences et les attributions décisionnelles à transférer aux services externes, d'autre part les moyens financiers et humains qui seront mobilisés pour la déconcentration, ainsi que le rythme de sa mise en oeuvre. D'autres départements ne sont pas concernés par la déconcentration notamment en raison de leur spécificité ou de l'absence de services externes. Le deuxième délai, de trois ans, est celui du passage à une administration parfaitement déconcentrée. Il ne s'agira pas pour chaque département ministériel d'y aller à son propre rythme : il faut que tous s'inscrivent dans le processus de façon synchronisée et cohérente. Dans nombre d'expériences internationales, les processus de décentralisation et de déconcentration étaient parallèles et complémentaires. Au Maroc, nous avons accéléré le processus de la décentralisation avec l'élection des Conseils régionaux, tout en accumulant un certain retard dans le processus de déconcentration. Nous avons donc des Conseils régionaux élus, dotés d'une légitimité électorale, qui élaborent des plans régionaux de développement tout en étant dépourvus d'une administration qui puisse prendre des décisions. Le transfert de certaines attributions aux régions signifie-t-il leur suppression au niveau des ministères ? Absolument. C'est nécessaire pour maintenir une certaine harmonie. Qui dit transfert de compétences vers les services externes des régions dit dessaisissement du niveau central. Quand s'effectuera le transfert d'un ensemble de structures, de directions et de divisions vers les services externes, il sera tout à fait logique de les supprimer au niveau central. Sinon, on aura des structures bureaucratiques vides à Rabat, car celles-ci n'auront plus de mission à exercer. Elles n'auront plus de raison d'exister. Le processus de transfert impliquera la révision du décret fixant les règles d'organisation des départements ministériels. En gros, ça changera le modèle organisationnel actuel de l'administration publique marocaine, qui est inspiré d'un paradigme jacobin trop centralisé. Ce changement amènera à un recentrage de l'administration centrale sur ses missions principales : celle, stratégique, de normalisation, de mise en place des normes dans l'éducation, l'urbanisme, la culture, les finances, la fiscalité, etc. Les normes relèvent des principes de la Constitution et des orientations stratégiques de l'Etat. L'administration centrale aura donc pour principales missions la normalisation, la pose des orientations stratégiques et l'évaluation. Ce qui relève de la planification concrète sera du ressort des régions. Ce chantier impliquera un important mouvement des hauts fonctionnaires vers les régions... La question des ressources humaines s'impose. La déconcentration est un transfert ; il ne s'agit pas d'une délégation de pouvoirs ou d'une délégation de signature. Transférer un pouvoir n'est pas non plus s'en débarrasser. Pour qu'il y ait transfert de pouvoirs, il faut au préalable qu'il y ait des fonctionnaires de haut niveau pour les exercer et gérer les nouveaux services déconcentrés. Or, à ce jour, les hauts fonctionnaires de l'Etat n'exercent qu'au niveau de l'administration centrale. Il y a deux catégories qu'il faut différencier : les postes de responsabilité et les postes supérieurs. Les postes supérieurs sont réservés au niveau central, et les postes de responsabilité se situent au niveau des services et des divisions. On parle souvent de «directeurs régionaux», mais il s'agit en réalité des chefs de division. Maintenant, il nous faudra revoir la loi organique relative à la la nomination aux fonctions supérieures pour introduire un nouveau concept : les fonctions supérieures au niveau régional. Il va y avoir toute une mobilisation – et une mobilité – des hauts cadres de l'Etat au niveau régional. La déconcentration amènera une équité territoriale : il ne s'agira pas seulement de transférer des pouvoirs administratifs, mais aussi de transférer des ressources financières et humaines. Les compétences ne seront plus groupées dans la région littorale, entre Casablanca et Rabat, mais devraient exercer au niveau de l'administration régionale. Ils travailleront, sous la coordination des Walis, avec les élus pour prendre les décisions sans revenir à la capitale. Pour accompagner la déconcentration, les ministères auront-ils recours au recrutement externe ou s'appuieront-ils sur leurs ressources en interne ? Les textes législatifs et réglementaires régissant l'accès à la fonction supérieure maintiennent des modalités ouvertes : les recrutements ne sont pas limités au seul personnel des départements concernés. Certaines fonctions font l'objet d'appel à candidatures ouverts aussi bien aux fonctionnaires du secteur public qu'à ceux du privé. Quand est prévu l'amendement des textes législatifs et réglementaires liés à la déconcentration et à la fonction supérieure ? Ce sera la prochaine étape. Il y a une dizaine de textes de lois ordinaires et organiques et de décrets qu'on va revoir et modifier. La prochaine réunion de la Commission interministérielle de la déconcentration administrative se tiendra avant la rentrée parlementaire pour préparer cela. A ce stade, le processus se déroule-t-il avec fluidité ou y a-t-il des obstacles ? Jusqu'à présent, je relève que l'ensemble des ministres et des secrétaires généraux sont pleinement engagés dans le processus. Depuis mars dernier, la Commission interministérielle de la déconcentration administrative a tenu cinq réunions. Nous avons validé les schémas directeurs de l'Intérieur, des Finances, de l'Equipement, des transports et de l'eau. Dans les jours qui viennent, nous examinerons et validerons le reste des schémas. Les choses avancent à un rythme très convenable. On est dans les temps.