Il y a des hôpitaux où les blocs opératoires sont peuplés de fantômes, et ce n'est pas demain qu'ils seront dérangés. Un habitat aux frais des contribuables ou parfois à coûts de prêts. Mais on a l'impression que ça ne dérange personne. Il y a quelques temps, un jeune gynécologue d'une ville du nord du Maroc m'a envoyé un message m'invitant dans son service afin de réaliser des interventions chirurgicales pelviennes par les voies naturelles pour des femmes démunies, et par la même occasion lui permettre de progresser dans l'apprentissage de son métier en maîtrisant de nouvelles techniques. J'ai bien entendu répondu favorablement, il restait juste à fixer un moment et à programmer des journées opératoires. Quand je l'ai interpellé à la suite d'un long silence, j'ai appris que le bloc opératoire ne fonctionnait pas de longue date, faute de personnel infirmier. Et il paraît que tout le monde s'est adapté à cette absence de service rendu. Les femmes, hommes et enfants qui ont besoin d'interventions sont dirigés vers l'hôpital régional avec des rendez-vous de plusieurs mois et un déplacement obligé des familles, ou tout simplement vers les cliniques privées, moyennant argent. Heureusement que ces cliniques existent pour pallier ces déficiences, parce qu'il n'est pas question ici de critiquer pour critiquer, mais les indigents sont obligés de vendre leurs affaires, mendier ou emprunter pour avoir accès à des soins légitimes. Plus récemment, une infirmière anesthésiste m'a interpellé pour la même chose, à savoir l'organisation d'une campagne chirurgicale dans un hôpital périphérique de Casablanca. Un hôpital neuf, doté d'équipements de dernière génération, mais dont le bloc opératoire ne fonctionne pas non plus faute de chirurgiens. Les neuf infirmières et six sages-femmes affectées depuis plus d'un an et demi n'y font rien ou presque. Une situation néfaste non seulement pour la population qui ne peut pas se faire soigner dans un service public auquel elle a droit, mais pour le personnel soignant que j'ai rencontré et qui se sent démuni face à cette gestion irresponsable des ressources humaines. Se réveiller le matin, déposer ses enfants et venir dans un hôpital pour ne fournir aucun soin est nuisible tant sur le plan professionnel que personnel. N'importe quelle entreprise ferait un plan de redéploiement de son personnel pour gagner en efficacité. En santé publique, tout le monde a peur des syndicats et préfère ne pas bousculer certaines données mêmes si elles sont funestes pour le pays et sa population. Et pourtant, les solutions sont faciles à mettre en œuvre, en recrutant via des associations ou les communes des infirmiers qui sont nombreux à être au chômage. Puisque le ministère est sommé par les bailleurs de fonds de ne pas remplacer les départs à la retraite et recruter en compte-goutte. Trois infirmiers sont suffisants pour faire fonctionner une salle du bloc opératoire de 8h à 16h cinq jours par semaines. Dans le deuxième cas – l'absence de chirurgiens –, il faudrait juste activer le partenariat avec les chirurgiens privés qui trouveront là aussi un moyen d'opérer les patients indigents qui les consultent mais qui ne peuvent pas supporter les frais des cliniques et ceux qui sont sur les listes d'attentes des hôpitaux. Un devoir citoyen et une incitation au don auquel beaucoup répondront favorablement. Il suffit d'y croire et de persévérer. Des solutions simples gagnants-gagnants. Mais faut-il le vouloir ! Et comme la situation va rester comme ça un bon moment encore, les fantômes continueront d'habiter dans des blocs opératoires sans être dérangés. Heureusement qu'il nous reste la dérision, sinon il y a de quoi devenir dingue…