Le jeune médecin honnête premier de la classe qui a fait ce métier par amour et envie d'aider et de sauver des vies, se retrouve sans y être préparé dans une atmosphère gluante et irrespirable, une fois avoir franchi le seuil de la vie active. La dichotomie est un mot savant qui explique en arithmétique la séparation d'une branche souvent grosse en deux autres de même taille ou de tailles différentes. Comme le tronc d'un arbre qui donne des branches deux par deux, d'où le nom de dichotomie. Mais dans le business médical, cela veut dire tout autre chose : c'est la façon malsaine de se partager entre soignants les frais de soins du patient. Ça se passe souvent entre celui qui a envoyé le patient vers le spécialiste et ce dernier qui a délivré le soin ultime, notamment une intervention chirurgicale. Parfois entre un intermédiaire, qui peut être un ambulancier, une assistante sociale, un agent des assurances et une structure privée. La dichotomie fonctionne également en sens inverse entre un soignant et un laboratoire ou un cabinet de radiologie pour récupérer un pourcentage de la recette, moyennant l'envoi du patient. Ces techniques, interdites moralement, éthiquement et par les lois du monde, sont légion dans les pays du sud et font partie du quotidien. Ceci pourrait ne pas déranger quelques-uns qui ont émis des fatwas pour rendre ce comportement «hallal» en se disant que finalement, c'était un retour sur investissement et que le chirurgien, par exemple, remercie le généraliste en lui donnant 10 ou 20% de ses propres honoraires sans léser le patient. Le problème, c'est que ce circuit prive d'autres chirurgiens, surtout débutants, de commencer dans la vie active, concentrant le tout entre les mains de quelques «stars» et induisant, consciemment ou non, à fausser les indications opératoires et le service rendu au patient. Par conséquent, les soins sont devenus subordonnés aux lois du marché, et quel marché ! Le point fort des peuples opprimés et spoliés reste la dérision Le jeune médecin honnête premier de la classe qui a fait ce métier par amour et envie d'aider et de sauver des vies, se retrouve sans y être préparé dans une atmosphère gluante et irrespirable, une fois avoir franchi le seuil de la vie active. Les circuits sont tracés et fonctionnent souvent par dichotomie. Il ne sait pas comment agir pour se faire une place dans ce système pourri qui ne voit dans le patient qu'une source de gains. Le mari d'une patiente m'a dit un jour en plaisantant : «A chaque fois que je mets les pieds chez un médecin, j'essaie de savoir s'il est en train de construire quelque chose afin qu'il de ne voir en moi qu'une traite à payer !» Il est connu que le point fort des peuples opprimés et spoliés reste la dérision. Sans cela, la vie ne pourrait pas continuer… Mais quand il s'agit d'un soignant jeune ou moins jeune qui souhaite juste travailler honnêtement et pouvoir vivre convenablement, le dilemme lui paraît intenable : rester dans son coin ou entrer dans le deal. La meilleure solution reste celle de la patience et la construction d'une renommée, tout doucement, étape par étape et par le bouche à oreille. Pour cela, il lui faudrait résister à deux éléments perturbateurs ; l'un exogène et l'autre endogène. Le premier est l'endettement, surtout quand il y a des échéances qui tombent avec intérêts, et le second ses propres envies, comme celles d'avoir un logement dans les beaux quartiers et une voiture de luxe. Si le soignant arrive à maîtriser ceci, il avancera à pas mesurés, certainement doucement mais sûrement en évitant toute dichotomie et toute pression. Il gagnera le respect de soi-même, avant celui de ses patients. Quant à la récompense divine, il la palpera autour de son parcours. N'est-il pas dit que les meilleurs sont ceux qui patientent… Enfin, dans une atmosphère de défiance, il est conseillé de regarder les souliers des chirurgiens, y compris les miens. Et éviter ceux où il y a des traces de sable, ça vous évitera peut être de participer à une traite de luxe !