Services vitaux où le travail est continu et la question de la vie et de la mort toujours présente, les réanimations appréhendent les semaines à venir alors que la situation sanitaire s'aggrave. Face à la pandémie de la Covid-19, les services de réanimation constituent le dernier rempart d'une lutte acharnée pour limiter les dégâts humains causés par le virus. Si toutes les personnes infectées par le Coronavirus ne passent pas systématiquement par un service de réanimation, le nombre important de cas positifs détectés chaque jour entraîne une augmentation des cas graves qui, pour avoir des chances de survie, doivent être admis dans une unité de soins intensifs. « De mon point de vue de réanimateur, je définis un service de réanimation comme un service où l'on accueille des malades qui ont - au moins - une défaillance d'un organe vital. C'est un service qui se caractérise (comme les services d'urgence) par une surveillance médicale et paramédicale pointue et continue des malades », explique Dr Zakaria Ouassou, médecin anesthésiste-réanimateur. Un travail d'équipe Le personnel médical qui travaille dans ces unités de soins intensifs est rodé à une discipline stricte, à la mesure de la gravité des cas dont il a la charge. « Les équipes des services de réanimation sont composées de plusieurs profils, et ce, partout dans le monde. Il y a des médecins anesthésistes-réanimateurs, des infirmiers diplômés d'Etat, mais également des aides-soignants qui participent aux soins, au nursing et qui font un travail extraordinaire. Il y a également les femmes de ménage et les brancardiers. Il s'agit avant tout d'un travail d'équipe », explique pour sa part le Pr Mohamed Khatouf, chef du service de réanimation du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Fès. Ces chevilles ouvrières qui s'activent dans des services de réanimation, dédiés au suivi de plusieurs types de pathologies et de soins postopératoires, ont depuis mars dernier dû redoubler d'effort pour prendre également en charge les cas graves de Covid-19. 933 cas graves Si plusieurs mesures ont été prises afin de renforcer et augmenter les capacités des structures hospitalières, l'évolution exponentielle de la pandémie au Maroc a néanmoins causé une augmentation de la charge et du rythme de travail dans les réanimations. Le bulletin Covid-19 quotidien du ministère de la Santé datant du 8 novembre souligne que le nombre des cas graves au niveau national est de 933. Parmi ces cas, 71 ont été admis durant les dernières 24 heures, 73 sont intubés et 504 sont sous ventilation non-invasive. Alors que la majorité des unités de réanimation fonctionnent à plein régime, le ministère de la Santé précise que le taux global d'occupation des lits de réanimations dédiés à la Covid-19 est de 36%. Sachant que le taux d'occupation considéré comme critique est de 65%, le taux global mis en avant par le ministère de la Santé apparaît en deçà de ce seuil théorique. Plusieurs CHU et hôpitaux du Royaume attestent cependant que leurs services de réanimation sont à la limite de la saturation. Des semaines difficiles à venir Ce constat a été mis en évidence lors d'un webinaire organisé le 25 octobre dernier par la Fédération Nationale de la Santé (FNS) et la Société Marocaine des Sciences Médicales (SMSM). L'événement -dont l'enregistrement est disponible en ligne - a réuni plusieurs spécialistes pour débattre de la situation épidémiologique dans la région Casa-Settat. Lors de cette visioconférence, Pr Moulay Hicham Afif, directeur général des CHU de Casablanca, a annoncé qu'au niveau du CHU d' Ibn Rochd, sur une capacité totale de 70 lits de réanimation dédiés aux malades Covid-19, 60 lits étaient occupés chaque jour. Les services de réanimation des CHU des grandes villes ne sont pas les seuls à fonctionner à flux tendu. Les réanimations des hôpitaux des villes de petite et moyenne taille sont également sous pression. « Au service de réanimation de l'hôpital d'Azrou, on est quasiment plein. Face aux nouveaux cas, nous envoyons les malades dans les CHU les plus proches tant qu'ils ont des places disponibles. Quand ce n'est pas possible, nous essayons de les prendre en charge avec les moyens dont nous disposons », confie Dr Zakaria Ouassou, chef de service de réanimation à l'hôpital 20 août d'Azrou. « Nous sommes dans cette phase où il nous faut gérer les places. C'est d'ailleurs la partie la plus stressante du travail », conclut le médecin-réanimateur. Oussama ABAOUSS 3 questions au Dr Allal Amraoui, chirurgien et député « Il est primordial de mobiliser des ressources humaines suffisantes »
Chirurgien et député Istiqlalien à la Chambre des Représentants, Dr Allal Amraoui a répondu à nos questions sur la situation actuelle des services de réanimation au Maroc. - Les infrastructures de réanimation au Maroc sont-elles suffisantes dans le contexte actuel ? - Les services de réanimation existants, en plus des infrastructures qui ont été mises en place ces derniers mois, fonctionnement actuellement à plein régime dans la plupart de nos grands centres hospitaliers, notamment universitaires. Même si le gouvernement avait annoncé que plusieurs milliers de nouveaux lits de réanimation allaient voir le jour, cette ambition n'a pas encore été concrétisée complètement, car ce n'est pas le nombre de lits - fussent-ils équipés - qui est le plus important, mais plutôt la capacité litière réellement fonctionnelle. En plus des infrastructures et du matériel, il faut également trouver les ressources humaines nécessaires, et c'est là le point faible de notre système de santé. - L'augmentation constante des cas enregistrés augure-t-elle des semaines difficiles à venir pour les services de réanimation ? - Malheureusement, depuis l'été, le nombre d'admissions double tous les mois. En plus, il y aura également d'autres paramètres inquiétants comme le climat, avec l'approche de l'hiver, et la chute des températures qui engendrera une diminution de l'aération des locaux, une promiscuité plus importante, infections respiratoires plus actives... - Quelles sont, selon vous, les facteurs qui seront déterminants ces prochaines semaines ? - Je pense que le plus important est de s'assurer que les infrastructures existantes et celles qui ont été récemment mises en place puissent fonctionner de la manière la plus optimale possible, sur le plan logistique. Aussi, il est primordial de mobiliser des ressources humaines suffisantes quitte à les qualifier rapidement. Recueillis par O. A.
Encadré Cadre juridique : Que faire face à un patient en mort cérébrale qui continue à occuper un lit de réanimation ? C'est une question que se posent plusieurs réanimateurs et qui prend plus d'acuité dans un contexte où la pression augmente sur les lits de réanimation dédiés aux malades Covid. « Il y a une grande différence entre interdire l'acharnement thérapeutique déraisonnable et permettre l'euthanasie », nuance Dr Zakaria Ouassou, médecin-réanimateur. « Il existe au Maroc un vide juridique dans ce domaine qui est tout aussi dangereux que le manque de matériel ou de ressources humaines qualifiées dans les réanimations », souligne le praticien. Rappelons qu'un projet de loi sur « l'accompagnement thérapeutique de patients souffrant de maladies incurables et en phase terminale », proposé en décembre dernier par un groupe parlementaire affilié au PAM, avait à l'époque provoqué une vive polémique au sein du parlement. Le président du groupe avait fini par renoncer à transmettre le projet de loi au Bureau de la Chambre des Représentants. « Débrancher un patient en mort cérébrale, geste pratiqué « normalement » dans d'autres pays, est au Maroc un acte passible de poursuite en justice. Que faire alors quand nous avons une personne qui occupe un lit de réanimation, mais qui est incontestablement irrécupérable et qu'à côté, nous avons un autre patient qui est parfaitement récupérable, tant qu'on le branche à un respirateur, mais qui ne peut malheureusement pas être admis, car il n'y a plus de place dans le service ? », s'interroge le réanimateur qui souligne la nécessité de combler le vide juridique en la matière et de corriger les idées reçues à ce sujet. Repères Les réanimateurs en sous-effectif Le Maroc compte près de 600 médecins anesthésistes-réanimateurs dont 400 travaillent dans le domaine privé et 200 environ dans les hôpitaux publics. Alors que le minimum de réanimateurs nécessaires pour démarrer un service de réanimation est de 4 praticiens, au Maroc, ce minimum est réduit à 3 praticiens. Le cadre légal de cette pratique au niveau international impose le plus souvent aux médecins de prendre une période de repos après une garde de 24 heures. Cette disposition n'est pas clairement établie dans les hôpitaux du Royaume. L'oxygène : une denrée stratégique L'utilisation systématique de l'assistance respiratoire dans les services de réanimation dédiés aux malades Covid a augmenté la demande sur les divers types de dispositifs à oxygène. Pour Dr Allal Amraoui, « les hôpitaux doivent s'équiper avec des stocks suffisants et veiller à anticiper la demande qui peut augmenter sur ces dispositifs qui sont actuellement stratégiques ». Le chirurgien souligne par ailleurs l'importance que doit jouer à cet égard la gouvernance locale et centrale des structures de la Santé publique.