Introduit par les Français au début du protectorat, l'aviron marocain navigue en eaux troubles depuis l'indépendance. A l'image de tous les sports «mineurs» au Maroc, la discipline pâtit du manque de moyens. L'histoire commune au Maroc et à la France comporte un chapitre réservé à l'aviron. Ce sont, en effet, les Français qui ont introduit cette discipline, au lendemain de la première Guerre mondiale. Le Club Nautique de Rabat (CNR), premier club marocain d'aviron, est fondé en 1923 par maître Devallon, un avocat français, grand passionné de la discipline. En 1924, d'anciens rameurs français créent la section d'aviron du Cercle des Nageurs de Casablanca. A partir de 1925, les clubs se multiplient. La fédération créée, en 1933, intègre, 21 ans plus tard, la Fédération internationale es sociétés d'aviron (FISA). Elle devient, en 1956, au moment de l'indépendance, la Fédération royale marocaine des sociétés d'aviron (FRMSA). C'est un homme de lettres, le célèbre auteur marocain Ahmed Sefrioui qui en sera le premier président marocain. Les premières années de son mandat sont encourageantes. En 1958, le Maroc compte une dizaine de clubs bien équipés. Toutefois, le départ des Français, principaux pratiquants de ce sport, marquera le début de son déclin. Coups durs L'aviron marocain a, certes, continué à exister après leur départ, mais il n'a pas connu l'évolution à laquelle il semblait destiné. Le constat de déclin est clair : il n'y a aujourd'hui que 8 clubs actifs, concentrés, pour l'essentiel, à Rabat. La ville est restée la «colonne vertébrale de l'aviron marocain», déclare Abdelaali Hanchi, actuel directeur technique national. Cette situation s'explique aussi par les nombreux coups durs qui ont affecté ce sport. Le premier d'entre eux est porté dans les années 60. Le port de Casablanca doit être agrandi pour accompagner l'essor économique du royaume, les quatre clubs d'aviron de la ville perdent alors leurs locaux et ferment leurs portes. Le deuxième coup dur survient en 1992 : un incendie ravage les locaux de la fédération. Les flammes consument le matériel de nage (bateaux, rames...) et les archives. La FRMSA doit repartir à zéro. Malgré ses difficultés, elle réussit à assurer une participation du Maroc aux mondiaux juniors de Munich en 1994, et aux championnats du monde séniors de Poznan en Pologne, en 1995. En 2006, le lancement des travaux de réaménagement de la vallée du Bouregreg menace, à son tour, les clubs de Rabat. Pour ne pas disparaître, comme ceux de Casablanca, ils doivent déménager. C'est à la marina de Salé, qu'ils trouvent refuge. Même si le cadre est plaisant, il n'offre malheureusement pas les conditions adéquates à la pratique de l'aviron. Manque d'infrastructures Tous les cadres de la fédération, du président aux entraîneurs, et même les rameurs, sont unanimes sur le fait que le principal problème de l'aviron au Maroc, est celui des infrastructures, celui des moyens matériels de façon générale. Abdelhafid El Ouartassi secrétaire général de la FRMSA explique que certains clubs, avant de déménager, avaient un local décent. «Certains étaient même équipés de restaurants, à travers lesquels ils pouvaient gagner de l'argent», se rappelle-t-il. «Aujourd'hui, tout a été rasé». Une visite des installations de la marina de Salé permet de constater la gravité de la situation. Les aficionados d'aviron y sont peu à l'étroit. Ils côtoient les pratiquants d'autres sports nautiques, comme le canoë, le kayak, ou encore la voile. Privé de vestiaire, tout ce beau monde se change généralement en plein air. «Le pire, c'est que les gamins utilisent parfois les toilettes des restaurants. Ils sont gentils d'accepter, car ils pourraient aussi dire que l'accès est réservé aux clients», déplore M. El Ouartassi. Si les athlètes manquent de confort, leur matériel n'est pas mieux loti. En l'absence de hangars, les bateaux d'avirons sont disposés sur des sortes d'étagères aménagées sur place. Les clubs qui peuvent se le permettre ont les bâches pour les recouvrir. Les autres n'ont d'autre choix que de laisser leurs bateaux livrés aux intempéries. Une telle situation a des conséquences très fâcheuses. «Cela nous empêche même de recevoir de l'aide. Nos partenaires veulent nous faire des dons mais ils se rétractent quand ils pensent que tout ce matériel ne sera pas bien conservé», déplore Abdelhafid El Ouartassi. Pour son fonctionnement, la FRMSA reçoit du ministère de la Jeunesse et des Sports une subvention annuelle de 300 000 dirhams. La somme semble conséquente, mais les équipements sont très chers. «Un bateau coûte à partir de 30 000 dirhams, et il faut compter dans les 1 000 dollars [8 308 dirhams] pour les rames», nous confie Abdellah Zahiri, entraîneur de l'équipe nationale d'aviron. «De plus, l'entretien coûte plus cher que le bateau», poursuit-il. Dans une telle situation de précarité, l'aviron a dû improviser pour survivre. Nouvelle génération Malgré les maux dont il souffre, l'aviron marocain a réalisé de belles prestations, notamment lors des championnats arabes ou d'Afrique. Aujourd'hui, il veut miser sur ses jeunes pour relever la discipline. «La formation est le principal point sur lequel nous nous sommes concentrés ces dernières années, car sans formation il n'y a pas de continuité», déclare Abdelaali Hanchi, directeur technique national. C'est ainsi qu'une école nationale a été mise sur pied pour former les futurs membres de l'école nationale. Ces derniers sont recrutés très jeunes parmi les meilleurs de chaque club, pour suivre un entraînement de 4 ans. «C'est notre rôle de repérer les jeunes, à travers différentes évaluations. Ils entrent généralement à 13 ans. Les premières années, il s'agit de leur donner le goût de l'aviron, de les familiariser avec. Par la suite, on les initie aux différentes techniques avant de les préparer aux compétitions», explique Moncef Benabdallah, entraîneur national. Pour tirer le maximum de cette jeunesse prometteuse, les formateurs les initient aux techniques de l'aviron et du canoë. «Ainsi, s'il y a une compétition dans l'une ou l'autre discipline, le jeune pourra y participer», explique-t-il. Parmi ces jeunes, on retrouve aussi des filles. «Très peu de gens s'intéressent à l'aviron, si le Maroc veut bien profiter de son aviron, il faut qu'il intègre les filles», déclare le directeur technique national. La plupart de ces jeunes filles ont découvert l'aviron par leurs amis et le pratiquent seulement en tant que hobby. Ceci ne les empêche pas de prendre au sérieux ce qu'elles font. Yousra, par exemple, aimerait bien faire partie de l'équipe nationale même si, a priori, elle ne privilégiera pas une carrière en aviron à ses études. Pour Ghofrane, autre rameuse en herbe, l'aviron est «un challenge», à l'image du parcours qui attend le Maroc, s'il veut se hisser parmi les meilleures nations du monde dans cette discipline.