Redoutés pour leur violence et leurs débordements en marge des rencontres sportives, les ultras se font depuis peu les porte-voix de revendications sociales. Dernière en date : la mort de Hayat Belkacem, lors d'une opération de la Marine royale contre une embarcation de migrants. Le 28 septembre dernier, les rues reliant le centre-ville de Tétouan au stade ont été investies par des supporters en colère. Et ce n'est pas la défaite (1-4) du Moghreb Athlétic de Tétouan face au Kawkab de Marrakech qui les a fait sortir de leurs gonds. Loin de toute velléité de mauvais perdants, ce sont des revendications autrement plus sociales que Los Matadores («les tueurs»), du nom des ultras du club tétouanais, ont scandé dans la rue. Ils avaient préalablement été invités, via Facebook, à se rassembler pour protester contre «la politique d'oppression du Makhzen à l'égard de son peuple», indique El País. Au cœur de leur manifestation, le décès de Hayat Belkacem, l'étudiante de 19 ans abattue par la Marine royale le 25 septembre dernier à bord d'une embarcation alors qu'elle tentait de rejoindre clandestinement l'Espagne. Portant des t-shirts noirs en signe de deuil, les manifestants ont battu le pavé à grands cris de «avec l'âme et le sang, nous vengerons Hayat !», «le peuple veut savoir qui a tué Hayat», malgré les dispersions de la police. Plus surprenant, ils ont également crié «Vive l'Espagne» et «le peuple veut renoncer à la nationalité», avant de siffler l'hymne national une fois dans l'enceinte du stade. La rencontre entre le club Hassania d'Agadir et l'Olympique de Khouribga, le 30 septembre, a elle aussi été émaillée de slogans antipatriotiques, des supporters allant jusqu'à hisser un drapeau espagnol. Des mouvements hétérogènes, engagés et contestataires En toile de fond de ces protestations se dessine l'exaspération d'une partie de la population face au chômage et à un avenir vacillant, souligne El País. «Le supporterisme a changé de visage. Les ultras se disent souvent apolitiques, pourtant ils défendent un point de vue sur la société et sur leur situation socio-économique», nous explique Abderrahim Bourkia, sociologue spécialiste de la violence dans les stades, auteur de «Des ultras dans la ville» (La Croisée des Chemins, 2018). «Si leurs cris s'adressent en premier lieu aux dirigeants, aux responsables de la fédération et aux exploitants des stades, certains groupes formulent aussi des revendications à caractère social et politique selon l'actualité et les contextes socio-économique et politique du pays. Le supporterisme, par l'originalité de son action collective, affiche une ambition de pénétrer les arcanes par des outils de l'action publique et politique avec des chants, slogans et manifestations de rue», ajoute-t-il. «Ces mouvements ne datent pas d'aujourd'hui. Ils sont devenus hétérogènes et c'est bien dans ce processus qu'un supporterisme engagé et contestataire s'est développé, et s'est amplifié avec les soulèvements de la jeunesse, notamment le printemps arabe.» Abderrahim Bourkia, sociologue spécialiste de la violence dans les stades Quand on parle ultra, ne parle-t-on pas violence également ? En 2016, plusieurs incidents violents et la mort de deux jeunes avaient décidé les autorités à dissoudre les groupes qui enflamment les stades du royaume. Les plus organisés d'entre eux sont les Winners pour le Wydad, les Green Boys ou les Eagles pour le Raja et les Ultras Askary pour l'AS FAR, le club de l'armée. «Tous ces groupes revendiquent une culture du stade née en Italie et qui a touché la rive sud de la Méditerranée, d'abord en Tunisie. Au Maroc ou en Egypte, ils constituent aujourd'hui une grande partie de l'identité des clubs», rappelait Le Monde. Mais pas seulement : ils sont visiblement devenus le nouvel étendard des revendications populaires.