Une querelle entre supporters de football a dégénéré hier soir au quartier Anassi à Casablanca en causant grand effroi et graves dégâts… Par Hayat Kamal Idrissi
Privés des stades et de l'ambiance des matchs live, certains supporters de foot se livrent à des rixes entre voisins. Dans la soirée du lundi, un violent affrontement a éclaté entre des jeunes du quartier Anassi. Des violences qui ont causé un grand effroi dans le quartier et de lourds dégâts matériels. Des biens et des voitures garées ont été également saccagés par ces hooligans en colère armés de battons et de pierres. Bris de glace et graves dommages ont été enregistrés par les habitants effrayés en cette soirée noire. Ces derniers se sont adressés en masse aux autorités locales pour porter plainte contre les assaillants. Au total18 voitures ont été endommagées et 27 jeunes arrêtés, dont 7 mineurs.
Passion et hooliganisme
Un nouvel incident qui se rajoute à la longue liste de violences liées à la passion mal canalisée du football. Fans ou fanatiques ? De la passion au dévouement aveugle annulant le droit de l'autre à exister, il n'y a qu'un fil. En football comme en n'importe quelle discipline, l'excès de zèle est toujours source de dépravation. On se souvient tous de ce qui est arrivé le 12 février 2020, au stade Moulay Abdellah à Rabat, suite au match réunissant le Raja de Casablanca et AS FAR. Les affrontements entre supporters Rbatis et ceux Casablancais étaient d'une violence extrême. Du sang a coulé ce soir.
Un triste rappel d'un certain jeudi noir, 11 avril 2013. Mêmes protagonistes, cette fois-ci à Casablanca. Plus de 200 personnes ont été arrêtées à l'issue des agressions physiques et des actes de vandalisme survenus suite au match ayant opposé le Raja de Casablanca à l'équipe des FAR de Rabat. Tout y passe : commerces, moyens de transports en commun, voitures de particuliers, boutiques... on saccage et on ne fait pas de distinction. Citoyens et supporters sont attaqués et grièvement blessés. La grogne des supporters est tellement incontrôlable que la ville se transforme, le temps d'un après midi, en véritable champ de bataille. C'est la guerre de supporters déchainés. Un après midi qui vire vite au cauchemar. Le plaisir que devrait procurer un match de foot est troqué contre une jouissance malsaine gratifiant une violence inouïe.
Fanatisme sportif
Mais comment peut-on basculer aussi facilement d'une ambiance festive à une démonstration grandeur nature de fanatisme sportif ? « La violence observée dans nos rues, nos établissements, nos stades de football, dans notre espace public en général pourrait être analysée comme une régression vers des modes d'expression archaïques et infantiles qui fragilisent la cohésion sociale », nous explique le sociologue Khalid Hanefioui. D'après ce dernier, ce phénomène pourrait être compris comme un signe et une conséquence de la crise de la société : Crise d'identité, crise culturelle, crise économique, crise de valeurs et crise du modèle politique. Une Crise multidimensionnelle qui semble affecter particulièrement la jeune population des stades. En mal d'espace d'expression et de pistes pour canaliser une énergie débordante et souvent inexploitée, un bon nombre de supporters trouvent leur « bonheur » dans les stades, parmi une foule aux mêmes référentiels, animée par la même passion et par les mêmes préoccupations.
Soupape en panne
En cette période de crise sanitaire, la fermeture des stades devient une source supplémentaire de frustration ; cette soupape se trouvant en panne. « Le football est devenu au Maroc un moyen d'expression de l'errance socio-économique des jeunes exclus de la société », analyse Abderrahim Bourkia, journaliste, sociologue et auteur du livre « Des ultras dans la ville ». Pour le chercheur, le « supporterisme » est devenu en fait un moyen d'expression, de protestation et surtout le cadre de construction d'identité. « Une manière d'exprimer un désir de paraître, d'exister et d'être reconnu au sein d'une société dont ils se sentent exclus », ajoute-t-il. Une description qui nous rapproche un peu de l'état d'âme d'une jeunesse croulant sous le poids d'un mal être tenace et qui se réalise, en quelque sorte, à travers les victoires de ses équipes préférées. S'y identifiant à fond, toute défaite, toute « atteinte », toute « accusation », est considérée comme une attaque personnelle, une attaque directe à l'amour propre d'un jeune en mal de repères. « Certains peuvent voir ce mouvement social comme naïf, dépolitisé… Alors que les chants, les slogans et autres tifosis affichent des messages sociaux clairs liés aux problématiques touchants les jeunes » analyse Bourkia. Chômage, pauvreté, exclusion, mépris, incompréhension et envie de quitter ce pays et se faire un autre avenir et une vie meilleure ailleurs ... sont autant de problématiques soulevés par les supporters en parallèle avec leur passion footballistique. Au-delà d'encourager leurs équipes, les fans dépassent souvent les limites. Un simple tour sur les groupes de supporters sur les réseaux sociaux et même sur les pages personnelles, nous révèle comment la situation a dégénéré ces dernières années. Trêve de supporterisme dans la bonne humeur et le respect de l'esprit sportif. C'est franchement une guerre psychique entre gangs. Tout y est permis. Caricatures, trolls, insultes, mépris, attaques, diffamations, menaces... La violence verbale conjuguée à l'impression « d'impunité » et au « faux » courage procuré par le fait d'être caché derrière un écran, nous voilà avec un cocktail Molotov à base de fanatisme sportif pur jus. « Et l'on s'exclame lorsque ça nous explose entre les mains une fois dans les gradins ou dans la rue. Cette violence physique aussi étonnante qu'elle est, n'est que l'aboutissement logique de la mobilisation et de la propagande. Il en faut un exécutoire à toute cette tension cultivée si minutieusement sur les réseaux sociaux par les supporters et leurs ultras », note Youssef Mounjidi, influenceur actif sur facebook. « Ainsi les supporters de l'équipe « ennemie », les équipements du stade et de la ville, les biens des citoyens et parfois même ces derniers, la presse, les forces de l'ordre deviennent une cible à une violence mal canalisée », conclut, avec regret, l'activiste.