Les graves incidents du 19 mars dévoilent des dysfonctionnements majeurs à tous les niveaux : infrastructures, sécurité, gestion du football, Ultras et gouvernement. par ihssane andaloussi 1 DES STADES DANGEREUX Les infrastructures sportives constituent la première menace pour la vie des supporters. Actuellement, le stade Mohammed V constitue un danger pour l'ensemble des rencontres sportives. Depuis l'accès jusqu'à la sortie, le stade n'offre aucunement les conditions de sécurité et d'accueil dignes pour ces supporters. D'ailleurs, le Plan de développement du Grand Casablanca prévoit une enveloppe de 1,130 MMDH pour la mise à niveau des infrastructures de sportives de la ville, notamment le réaménagement du stade Mohammed V. En attendant, les travaux tardent à voir le jour par un Conseil de la ville qui en est encore au stade des promesses. Un complexe dont les travaux sont lancés depuis des mois sans avancer d'un iota! À l'exception des stades d'Agadir, Marrakech et Tanger, le reste des stades du royaume nécessitent réhabilitation et le réaménagement. La décision annoncée par la FRMF de déléguer la gestion des stades à la SONARGES, en collaboration avec les conseils municipaux, tarde à se concrétiser. Ce qui montre les difficultés de passer à l'acte... 2 LA FRMF ET LES CLUBS DEPASSES La sanction prononcée par la FRMF à l'égard du Raja suite aux incidents du 19 mars résume le désarroi de l'instance dirigeante du football marocain. Ni la réunion du 2 février avec l'Intérieur, la Justice et la Jeunesse et sport, ni les promesses de Fouzi Lakjaa n'ont permis de mobiliser la FRMF et les clubs sur ce dossier. Et chacun des acteurs en rajoutent à sa manière. La décision de fermer le stade Mohammed V avait donné lieu à un dérapage verbal de la part du WAC et du Raja, chauffant à blanc les supporters. Les clubs semblent donc être plus enclins à répondre aux revendications des Ultras que suivre une planification annoncée par la FRMF. Le mélange des genres qui exacerbe les tensions va jusqu'à la publication de communiqués incendiaires visant la FRMF, évoquant des complots imaginaires, par le vice-président de la même FRMF. 3 GOUVERNEMENT, DES MESURES SANS EFFET La loi 09.09 sur la violence dans les stades n'a pas eu d'effet sur la réduction des violences dans les stades. Depuis son vote en 2009, les violences n'ont fait qu'augmenter. Les nombreuses arrestations lors des matchs se soldent par des peines réduites face à la nature des prévenus. D'autres part, les mesures de prévention tardent à être mises en place. L'interdiction des déplacements des supporters hors de leurs villes n'a pu être appliquée à cause de la pression des présidents des clubs. En somme, ni les partis ni le gouvernement n'assument leur responsabilité quant aux véritables raisons de ce fléau. Ainsi, aucune mesure structurelle n'est proposée par les ministères concernés et leur impuissance a été incarnée par les propos du ministère de l'Intérieur au lendemain des émeutes du derby (voir ci-contre). Mustapha El Khalfi, ministre de la communication et porte parole du gouvernement, ne dépasse guère, lors de sa première sortie médiatique, le cap de la condamnation et de l'indignation en l'absence de solutions profondes. Le ministère de la Justice, préfère, quant à lui, s'éclipser ! Les politiques auraient-ils brandi le drapeau blanc? 4 CORRUPTION ET MARCHE NOIR Comment un stade d'une capacité de 46.500 places peut-il accueillir jusqu'à 70.000 spectateurs lors du derby et des grands matchs ou 40.000 personnes pour 25.000 billets vendus lors de matchs moyens? Il faut remonter les filières de vente des billets, des réseaux parallèles et des services de l'ordre pour y voir plus clair. Il y a, d'abord, la resquille résultant de la complaisance de certains agent des services de l'ordre ou agents de sécurité privée moyennant la modique somme de 5 dirhams. La gravité de cette pratique, en plus du manque à gagner pour les clubs et l'impact en termes de surbooking du stade, réside dans l'absence de toute fouille corporelle des resquilleurs avec de gros risques d'infiltration, en dehors de tout contrôle, d'armes blanches et de banderoles faisant l'apologie à la violence. Les clubs responsables de l'organisation des matchs chargent le Conseil de la ville, propriétaire du stade, qui hésite à mettre en place un système de tourniquet et de billets électroniques assujettis à des systèmes de data contrôle. Cependant, ces mêmes clubs endossent la responsabilité du système défaillant de commercialisation de billets en n'utilisant presque jamais les vingt guichets disponibles à cette fin, préférant des baraques de fortune à proximité du stade, encouragent pas là le phénomène du marché noir. 5 FAUT-IL DISSOUDRE LES GROUPES D'ULTRAS ? La question est sur toutes les langues, car il s'agit de groupes non maitrisables puisqu'ils n'obéissent à aucune réglementations. Par ailleurs, leur emprise s'est étendue sur le business des clubs en commercialisant des produits hors circuit formel sapant au passage toute la stratégie merchandising des clubs. Et ce sont de grosses sommes qui seraient à l'origine de ces guerres de tranchées pour s'accaparer un maximum de « membres ». Leur domination atteint aujourd'hui la gestion même des clubs en dictant les politiques à suivre par les bureaux dirigeants et menaçant ceux qui ne leur conviennent pas de les saboter et de les déstabiliser, voire les destituer. Un diktat reconnu malheureusement par les services de sécurité qui acceptent de se mettre autour de la même table avec des groupes faisant l'apologie à la haine et à la violence! Aujourd'hui, la décision finale incombe au gouvernement, seule institution détenant le pouvoir de changer la donne. En attendant, un premier groupe Ultra « CURVA », vient de publier un communiqué en guise de mea culpa et annonçant son auto-dissolution. Mohamed Hassad, Ministre de l'Intérieur. «Franchement, on ne sait plus quoi faire avec le public du Raja et du Wydad. Quand on arrête les fauteurs de troubles de ces franges du public, les responsables des clubs interviennent pour les libérer. Je vous dit qu'on ne pourrait rien faire sans l'adhésion de tous, à commencer par les clubs !» Chiffres clés 40 Groupes Ultras au Maroc 4100 membres de forces de sécurité déployés chaque semaine 800 membres des forces de sécurité blessés en 2015 Le 19 mars 2016 3 morts 54 blessés 43 personnes arrêtées Mustapha El Khalfi Ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. Les Inspirations ECO: Pourquoi le gouvernement a-t-il tardé à réagir? Mustapha El Khalfi: Ce qui s'est passé est totalement inadmissible ! Ces faits nécessitent d'adoption urgente d'une approche d'ensemble en vue de multiplier les mesures sécuritaires et les raffermir car nous avons affaire à des groupes organisés, qui ne s'inscrivent pas dans un cadre légal. C'est l'occasion pour moi de présenter mes profondes condoléances aux familles de ces jeunes qui ont perdu la vie lors de ce fâcheux évènement. Ce qui est arrivé dénote d'une évolution alarmante du hooliganisme au Maroc. C'est là un gros coup pour le sport national qui réduit à néant tous les efforts fournis jusque-là pour encadrer le déroulement des matchs. La réunion du 2 février entre différents départements ministériels et les responsables de la fédération avait pour but justement de mettre devant leurs responsabilités les dirigeants sportifs. Il semble que cela n'a pas suffi... Les mesures de sécurité ont montré leur efficacité à l'extérieur du stade. Déjà, les dérapages qui étaient constatées jusqu'ici quand on saccageait les biens publics, les véhicules... ont été notablement réduits. Face à ces drames répétés, de nouvelles décisions vont été prises. La mobilisation sécuritaire sera renforcée et rehaussée. La capacité de mobilisation des forces de l'ordre va être améliorée. Les sanctions seront renforcées grâce à un arsenal juridique adapté. Enfin, un effort supplémentaire sera fourni pour encadrer les groupes de supporters. C'est aussi une question d'encadrement des jeunes dans le cadre de ces groupes. Comment peut-on parler d'encadrer des «groupes» alors que ces ultras sont à la base «hors- la-loi» ? La question ne se résume pas à l'interdiction. Ce sont des groupes organisés qui ont une certaine influence et qui puisent leur modèle dans des modèles internationaux. Maintenant, le tout est d'anticiper. Pour cela, il faut adopter une approche d'encadrement et de sensibilisation. C'est le rôle des équipes, des associations sportives... qui doivent prendre sous leurs ailes ces jeunes et les suivre de près pour éviter tous les dérapages. Mais qu'en est-il du gouvernement et quelle est la prochaine étape? A l'initiative du chef de gouvernement, du département de l'Intérieur et de celui de la Jeunesse et des sports, plusieurs mesures seront déployées. Il est temps de renforcer les mesures de sécurités et de déployer des efforts en matières d'interventions rapides. Trois principales orientations sont aujourd'hui prises. D'une part, Il sera question de densifier et relever les mesures de sécurité, car nous sommes face à un phénomène juvénile organisé qui, s'il n'est pas recadré, prend des dimensions criminelles. Aussi, sera-t-il question de renforcer les efforts d'encadrement des jeunes par les associations et les équipes. Enfin, et surtout, les sanctions seront raffermies. Plus aucune tolérance à l'égard de ce genre de comportements. Ces agissements et cette problématique peuvent certes être expliqués , mais ne peuvent en aucun cas être justifiés. Abderrahim Bourkia Sociologue, membre du Centre marocain des sciences sociales (CM2S) et chercheur associé à l'Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) à Aix-en-Provence. «Dissoudre les groupes d'ultras n'est pas la solution» C'est triste de voir des jeunes perdre la vie ainsi. C'est abominable. Et apparemment, d'après les éléments que j'ai pu avoir, deux grilles de lecture s'imposent: la première est inhérente au supporterisme festif, qui peut éventuellement déboucher sur un supporterisme violent, et l'autre est liée à la présence de «délinquants» au sein des stades, indépendamment du supporterisme. Il y a eu des affrontements entre les deux groupes ultras du Raja. Des affrontements analogues aux systèmes de vendetta où un groupe de supporters qui s'estime l'objet d'une provocation ou d'un affront de la part des autres supporters considère l'honneur de son groupe comme l'enjeu principal. Puis l'enchaînement du processus de provocation a débouché sur des affrontements avec l'envoi de projectiles, des agressions avec des objets solides et des passages à tabac. Enfin, la présence de bandes de voleurs au sein des stades, appelés «zerammas», ne peut qu'amplifier les choses. Ce sont des affairistes qui profitent des rassemblements sportifs ou culturels pour s'adonner à des vols et à du racket. Concernant la réponse sécuritaire, il serait hâtif de parler d'échec car, à mon avis, nous n'avons pas les moyens techniques et humains pour appliquer les mesures déjà énumérées dans les textes juridiques. On peut s'interroger sur la pertinence de l'accumulation des lois sans les appliquer. Reconnaissons que les pouvoirs publics se penchent sur le phénomène mais, jusqu'à maintenant, aucune solution concrète à ce réel problème de violence n'a été mise en application. D'emblée, les mesures annoncées révèlent encore la confusion qui réside (entre les différents types de personnes qui fréquentent les stades) et qui trahit toute bonne réflexion sur le phénomène. Les pouvoirs publics sont encore dans la prospection alors que le phénomène ne date pas d'hier.