Suite aux interventions régulières des forces de l'ordre menées au nord du Maroc, le Groupe antiraciste de défense et d'accompagnement des étrangers et migrants (GADEM) alerte sur la situation des migrants dans son dernier rapport publié le 28 septembre. En deux mois, plusieurs de centaines de migrants ont été victimes d'arrestations arbitraires ou de déplacements forcés. Ce constat chiffré, le GADEM le dresse dans son dernier rapport intitulé «Coûts et blessures» qui éclaire sur la situation des migrants subsahariens entre juillet et septembre 2018. En effet, les interventions des forces de l'ordre se sont accentuées dans différentes zones au Nord du Maroc durant cette période, surtout autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melillia, mais aussi à Tanger, Nador et Oujda. L'objectif affiché de ces opérations est d'éloigner autant que possible les migrants subsahariens des zones frontalières. Le rapport sort dans ce contexte, se saisissant notamment de la situation des mineurs, des femmes et de toute autre personne jugée subsaharienne au faciès. Il revient également sur la recrudescence des arrestations sur fond de vigilance sécuritaire accrue. Les enfants et les femmes en première ligne Depuis le début du mois d'août 2018, le GADEM a recensé plus de 6 500 migrants subsahariens arrêtées principalement à Tanger, et déplacés de force vers d'autres villes. Parmi eux, 121 mineurs de 5 à 17 ans pour les plus âgés, mais aussi 17 bébés. Au cours de leurs interventions, les autorités marocaines ont même séparé des enfants de leurs parents, précise le rapport. Elles ont concerné tout autant des mineurs non accompagnés qui ont «vécu les mêmes expériences et violences que les personnes adultes, alors qu'ils ne devraient pas être concernés par ces éloignements, mais bénéficier de mesures de protection adaptées», ajoute la même source. Dans ce sens, le rapport du GADEM a recueilli des témoignages dans plusieurs villes du pays, attestant du traitement auquel ont été soumis les ressortissants concernés sans tenir compte de leurs âges ou de leurs situations. «Il y avait même un bébé de huit ou neuf mois», témoigne auprès de l'ONG un ressortissant guinéen, rencontré à Tanger le 10 septembre dernier. Ces propos ne traduisent pas un cas isolé, puisque l'association a rencontré d'autres migrants qui se sont confiés. «En plus du bébé de huit mois, il y avait un autre bébé d'un an et deux mois», indique ainsi une ressortissante de Côte d'ivoire au GADEM, rencontrée le 11 septembre 2018. Par ailleurs, les femmes seules, avec enfants ou enceintes ont été aussi visées par ces opérations, l'ONG ayant identifié 151 cas de femmes arrêtées, dont 21 enceintes. «Il y avait aussi cinq filles. La femme enceinte et la femme avec son petit enfant étaient parties avant comme elles avaient peur que les forces auxiliaires arrivent. Une des filles qui était malade ils l'ont laissé devant la préfecture de police.» Témoignage d'un ressortissant camerounais auprès du GADEM, 13 août 2018. En plus des déplacements forcés incluant les enfants et leurs mères, les arrestations ont pris de l'ampleur en visant, plus tard, des subsahariens à l'intérieur de leurs maisons. Le GADEM a ainsi documenté plusieurs cas de violences, d'expulsions depuis les maisons, de confiscations et de vols d'effets personnels incluant même les documents administratifs. Recrudescence des arrestations : Tout le monde est concerné Signe alarmant des faits de violence visant de plus en plus les ressortissants subsahariens au Maroc, le GADEM recense le décès de deux migrants ayant tenté de fuir, après une intervention musclée de la police marocaine. Selon le rapport, les faits se sont produits «lors d'un déplacement forcé» près de Kénitra. «Menottés l'un à l'autre», les deux individus concernés «ont sauté du bus parti dans la journée de Tanger pour une destination plus au sud afin d'échapper au déplacement». «Le premier est mort sur place des suites de ses blessures. Le deuxième est mort après deux jours de coma à l'hôpital. Les deux hommes ont pu être identifiés par leur communauté et leur famille : l'un était malien et n'avait que 16 ans, il a depuis été enterré au Maroc. L'autre venait de la Gambie.» Coûts et blessures, rapport du GADEM. Que les migrants soient en situation administrative régulière ou non, les interventions des forces de l'ordre ne les ont pas épargnés. Dans une intensification de ces opérations, «tou-te-s les noir-e-s sans distinction» ont constitué une cible. «Ils arrêtent tout le monde, ils ne vérifient pas les papiers», témoigne un autre ressortissant de Guinée Conakry auprès du GADEM. En outre, même des personnes ayant un titre de séjour obtenu dans le cadre de la procédure de droit commun ou de l'une des deux opérations de régularisation ont été déplacées de force. Selon l'association, le même cas a été observé du côté des détenteurs de visa en cours de validité, ou d'un titre de séjour de trois mois. Ainsi, la même source rappelle que les droits de séjour et de circulation sur tout le territoire marocain référant à la loi no 02-03 dans son article 41 n'ont pas été respectés. «On était quinze personnes arrêtées (...) L'un de nous avait un visa valide de trois mois. Il était ivoirien, il avait un passeport et il avait fait un mois seulement. Ils l'ont arrêté quand même.» Témoignage du ressortissant de Guinée Conakry, le 10 septembre 2018 à Tanger. Vu que les migrants avaient perdu leurs logements, ils n'avaient pas de solution autre que de vivre dans l'errance, ce qui les exposait à des situations dangereuses. En effet, ils trouvent leur refuge de fortune dans des forêts comme celle de Mesnana, ou encore dans un cimetière. Pire encore, le GADEM rapporte qu'une fois délogés, ces subsahariens ne peuvent plus revenir à leurs domiciles. Et pour cause, certains propriétaires leur interdisent de revenir pour éviter toute intervention policière. Plus loin, le rapport du GADEM indique que les forces de l'ordre se rendent presque quotidiennement dans ces refuges pour surveiller, voire menacer les migrants d'arrestations. «Ils ont donné 10 jours de délai. Sinon ils vont violer la loi pour rentrer et nous frapper.» Témoignage d'un ressortissant guinéen, le 6 septembre 2018 à Rabat Pour le GADEM, ces interventions font office de «prétextes» servant à contraindre les Subsahariens dans leur libre circulation. A cet effet, un dispositif policier les visant a même été mis en place à la lisière de certaines gares ferroviaires et routières. Ainsi, toute personne supposée être issue d'un pays subsaharien a été interdite de voyager vers des villes du nord du Maroc. Pour rappel, l'association marocaine des droits de l'Homme (AMDH) dans la section de Nador, a souligné que les autorités de la ville auraient créé un centre de détention illégal pour les migrants subsahariens, appelant à ouvrir une enquête dans ce sens et affirmant que certains migrants déplacés de force y avaient été admis. Article modifié le 2018/10/02 à 21h15