Hier, la Cour d'appel de Rabat a reporté l'audience d'un homme de 24 ans, soupçonné d'avoir violé trois mineurs. Le juge d'instruction atteste de la crédibilité des éléments retenus à la charge du prévenu, qui reste en liberté provisoire devant l'incompréhension des plaignants. Poursuivi pour des faits de pédophilie sur deux frères âgés de 4 et de 8 ans, ainsi que sur leur sœur de 6 ans, un homme a vu son audience reporté au 4 juillet par la Cour d'appel de Rabat. Le tribunal répond ainsi à une requête de l'Observatoire national des droits de l'enfant (ONDE) en tant que partie civile, qui a demandé un délai pour examiner le dossier de plus près. «Le prévenu est venu jusqu'au tribunal et il en est reparti tranquillement, bénéficiant depuis des mois de la liberté provisoire», confie à Yabiladi le père des victimes (I.E.). Tout commence en août 2017, lors que les enfants ont révélé à leur mère faire l'objet de sévices sexuels répétés de la part du suspect, fils des propriétaires du domicile loué par la famille plaignante. «C'est en découvrant l'odeur de cigarette sur notre fille que cette dernière a avoué les faits à sa mère», nous explique I.E., ajoutant que dans un premier temps, ses enfants ont gardé le silence car «le suspect menaçait d'éliminer leurs parents». Une affaire qui traîne depuis des mois «Toute la presse et même la télévision nationale ont parlé de l'affaire, en janvier dernier. Mais 18 jours plus tard, l'homme a été relâché», nous indique I.E., expliquant que «plusieurs zones d'ombre empêchent de comprendre pourquoi cette procédure est aussi lente». Dans les procès-verbaux comme dans l'ordre du juge d'instruction, dont Yabiladi détient des copies, les victimes présumées déclarent avoir été enfermées à plusieurs reprises dans la pièce du suspect. Ce dernier aurait profité de l'absence de la mère pour abuser d'eux, en les sommant de n'en parler à personne, sous peine de «brûler» leurs parents (sic). Le prévenu, présenté dans les PV et par le tribunal comme un individu aux antécédents judiciaires, nie les faits. Il campe sur ses positions et évoque des différends entre ses parents et leurs locataires, qui se seraient «vengés» contre lui en déposant cette plainte. Le juge d'instruction a cependant estimé en janvier dernier que les éléments retenus étaient assez «crédibles» pour continuer la procédure. Mais «en février, le prévenu a été relâché dans l'incompréhension générale», nous déclare I.E. Et d'ajouter : «Cet individu a déjà eu affaire à la justice [notamment pour coups et blessures, ndlr]. Il n'est pas poursuivi que pour les seuls faits de pédophilie. Il a fait trois victimes et il revient dans mon quartier alors que j'ai déménagé depuis les révélations. Le pire est qu'il bénéficie ouvertement du soutien de son voisinage. Il s'en prend à moi et à mon épouse à plusieurs reprises et l'a même agressée alors qu'elle était enceinte de notre quatrième bébé. Nous avions déposé une plainte à ce sujet également et je ne sais pas à quel niveau elle est arrivée aujourd'hui. Faut-il attendre qu'il s'en prennent à d'autres enfants ?» Notre interlocuteur nous explique que «les personnes chargées du dossier [lui] ont souvent confié être dépassées par le cours des choses», ne comprenant pas «de quels soutiens ou protection le suspect pouvait bénéficier, pour se voir relâché à chaque fois, alors que le juge lui-même ou la police exige de le placer sous surveillance». I.E. déplore par ailleurs le fait d'«avoir dû relancer les services de police pendant plusieurs mois, pour que ces derniers transfèrent enfin l'affaire à la justice». Des tentatives pour acheter le silence des plaignants Pour obtenir l'abandon des poursuites, le prévenu aurait proposé aux plaignants la somme de 400 000 DH, avant de faire intervenir auprès d'eux des personnes influentes, nous explique I.E. Plus tard, le suspect aurait essayé «d'avoir à l'usure» le père en se présentant souvent avec ses amis près du nouveau lieu de résidence des victimes. Le père a en effet choisi de déménager en espérant éloigner les enfants. Alors que l'affaire est en cours d'instruction, le suspect aurait dû être astreint à ne pas s'approcher des victimes présumées, ce qui ne semble pas être le cas. C'est ce que déplore d'ailleurs la section locale de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), vers laquelle (I.E.) s'est tourné en demandant de l'aide. Dans un communiqué parvenu à Yabiladi, l'association fait part de ses «inquiétudes». Elle explique que «les critères retenus pour faire bénéficier un individu de la liberté provisoire restent imprécis dans les textes de loi». Ainsi, l'AMDH se dit «choquée» par cette décision, avertissant de la «gravité de ses éventuelles conséquences sur les enfants». Plus loin, elle souligne que «le laxisme» avec lequel sont traitées des affaires de pédophilie «peut encourager leurs auteurs» et «asseoir la culture du viol au sein de la société» marocaine. «En abusant de trois de mes enfants, il ne s'est pas attaqué à eux uniquement, renchérit de son côté I.E. Ce sont des êtres inoffensifs que nous nous devons tous – entourage et institutions – de protéger, car ce sont avant tout les enfants du peuple». En attendant l'audience du 4 juillet prochain, les trois victimes présumées sont suivies par plusieurs médecins. Elles ont développé des infections vraisemblablement liées aux sévices sexuels qu'elles disent avoir subis. «Le plus petit a longuement souffert d'amygdalite, tandis que la fillette fait encore des analyses», nous affirme le père qui a pris en charge tous les frais médicaux, notamment le suivi psychiatrique des enfants, avant de bénéficier d'un appui associatif. «Je passe désormais mes journées entre les médecins et le tribunal», ajoute-t-il, en nous confiant d'un air dépité que «plusieurs facteurs poussent à perdre espoir». Article modifié le 22/06/2018 à 10h26