Cela fait un mois que ces Marocaines ont osé dénoncer ce qui se passe dans les champs du Sud de l'Espagne. Yabiladi a pu contacter des femmes parmi celles qui ont pu fuir en dehors de Huelva. Elles nous livrent leur version des faits et par la même occasion, s'adressent directement au gouvernement marocain. L'affaire ne cesse de prendre de l'ampleur. Si en Espagne, les langues se sont déliées, au Maroc et après plusieurs semaines de déni, le ministre marocain du Travail et de l'insertion professionnelle, Mohamed Yatim, a finalement confirmé qu'«entre 10 et 12 ouvrières marocaines ont été victimes de tentative de harcèlement». Cependant, il déclare qu'il ne s'agirait que de «cas très isolés», préférant ne pas parler d'«agressions sexuelles» présumées. Grâce au syndicat espagnol des travailleurs d'Andalousie (SAT), ces Marocaines ont pu s'enfuir et déposer plainte pour agressions sexuelles. Désormais cachées dans un petit village non loin de Huelva, elles racontent à Yabiladi leur difficile parcours. Esclavagisme et droit de cuissage Nous les interrompons en plein cours d'espagnol, réunies autour du téléphone, elles nous disent être soulagées et contentes de pouvoir enfin s'exprimer. Elles sont dix, issues de toutes les régions du Maroc. La plus âgée n'a que 34 ans et c'est pour la première fois qu'elles viennent travailler en Espagne comme saisonnières. Leur cheftaine, celle qui s'est enfuie en premier, parle au nom des autres. Elle nous raconte que lorsqu'elle a su qu'elle irait travailler en Espagne, elle était très contente. Quand ces femmes ont été embauchées via l'ANAPEC, il leur a été expliqué qu'elles allaient travailler 6 heures par jour et percevoir une indemnisation de 40 euros. De plus, au Maroc, on leur avait promis que l'entreprise allait se charger du logement, du ravitaillement et des déplacements. Un contrat alléchant, pour lequel elles ont dû mettre toutes leurs économies et parfois même endosser un crédit afin de payer les frais de demande de visa et ceux de la traversée. Arrivées à Tarifa, c'est un Tangérois qui les accueille. Il leur explique qu'elles feront une formation de 15 jours avant de pouvoir travailler. Elles sont six à partager une caravanes d'à peine 12 m², nous explique leur porte-parole. Il y avait des lits superposés. Beaucoup d'entre elles ne pouvaient même pas y dormir. De plus, les toilettes étaient loin et pour la cuisine, elles se partagent une bonbonne de gaz à 12. «Dès le premier jour, nous avons eu un sentiment d'indignation», nous confie-t-elle. Sans formation, on les emmènera dans les champs de fraises. Elles n'ont pas d'équipement spécifique et elles travailleront plus de 12 heures par jour, pour cueillir 5 kilos de fraises. Des conditions difficiles, qui n'ont été ni annoncées à leur départ du Maroc, ni sur place en Espagne. Pis, depuis leur arrivée, elles disent n'avoir signé aucun contrat jusqu'à aujourd'hui. Elles n'en connaissent même pas les termes. Elles affirment avoir été «agressées sexuellement» et nous assurent avoir des preuves de ces accusations. «Les supérieurs se jetaient vers les plus vulnérables, en leur promettant un logement, les papiers et parfois de la nourriture, mais ils abusaient d'elles. Quelques-unes étaient consentantes, mais d'autres étaient prises au piège. Souvent, elles n'avaient pas le choix, ils les prenaient de force et les emmenaient dans les bois. Certaines on subi des avortements, mais beaucoup n'osent pas parler parce qu'on leur dit qu'elles ne pourront plus revenir la saison prochaine.» Une ouvrière marocaine travaillant dans les champs de Huelva «Voir la vérité en face» Par ailleurs, dans ces champs, «il y a de l'exploitation et même si nous sommes dans un pays démocratique, l'esclavagisme se pratique toujours», ajoute notre interlocutrice. Si certaines ont osé dénoncer ce qui leur est arrivé, d'autres ont été contraintes de garder le silence, ou encore rappatriées au Maroc. «Sous prétexte que la saison de récolte se serait achevée, elles ont été obligée à monter dans des voitures et non pas dans des bus, à 6 heures du matin», nous précise-t-elle. Par ailleurs, on leur avait promis qu'elles allaient percevoir leurs commissions une fois au Maroc. En contact avec certaines d'entre elles, cette ouvrière nous confirme que plusieurs n'ont toujours pas été indemnisées. Cependant, une pétition signée par plus de 140 autres saisonnières dénonce cette action. Des femmes y affirment ne pas avoir été victimes d'agressions sexuelles, rappelait hier Mohamed Yatim à la Chambre des représentants. Concernant cette pétition, les saisonnières ayant déposé plainte nous affirment que plusieurs parmi les signataires viennent en Espagne depuis des années et essayent de «convaincre les autres de ne pas dénoncer» et de se «plier aux règles». «Certaines ne travaillent même pas avec nous et servaient d'entremetteuses», affirment-elle. Désormais, le seul but de ces saisonnières et d'obtenir gain de cause, car «la vérité a éclaté au grand jour», nous assurent-elles. Elles disent être «esquintées et épuisées», car «ça commence à bien faire, [elles] veulent revoir [leurs] familles, [leurs] enfants, mais ne s'en ir[ont] pas tant que justice n'est pas faite». Dans leur combat pour la dignité, les saisonnières contactées par Yabiladi déplorent le manque d'intérêt du gouvernement marocain, qui «ne veut pas voir la vérité en face» et qui ne les «soutient pas». Et d'ajouter : «Personne ne se soucie de nous, personne n'est venu nous aider.» Nos interlocutrices estiment enfin avoir «été vendues».«Qu'attendre de plus ?», se demandent-elles avant d'aller jusqu'à saisir publiquement le ministre marocain du Travail, en lui demandant de «venir dans les champs, pour voir ce qui s'y passe réellement».