Dépêché par le sultan alaouite Moulay Ismail pour négocier un traité entre le Maroc et la Grande-Bretagne autour de plusieurs questions, dont le dossier épineux des captifs dans les deux pays, Mohamed Ben Hadou Al Attar, originaire de Safi, deviendra le premier marocain membre honorifique de la prestigieuse British Royal Society. Sa mission de libérer Tanger de la présence anglaise ne sera accomplie qu'après son retour au Maroc. Histoire. Mohamed Ben Hadou Al Attar est un ambassadeur marocain dépêché par le sultan alaouite Moulay Ismail à la cour anglaise du roi Charles II de 1681 à 1682. Le Maroc lui doit notamment la libération de la ville de Tanger et le titre de «premier marocain» à devenir membre honorifique de la prestigieuse Royal Society en Angleterre. Nous sommes en 1661. Le roi du Portugal, Jean IV alias Jean le Restaurateur offre la ville de Tanger au roi Charles II d'Angleterre dans le cadre d'une dot de mariage entre le monarque anglais et la princesse Catherine Henriette de Bragance. Le 29 janvier 1662, 3 000 soldats anglais arriveront dans la baie de Tanger pour occuper la ville. Les relations entre l'empire chérifien et l'Angleterre seront dorénavant marquées par une longue période de tensions suite à l'occupation anglaise de la ville du Détroit. Une occupation qui ne prendra fin qu'en 1684. Au Maroc, le décès de Moulay Rachid, premier sultan alaouite du royaume chérifien, le 9 avril 1672 à Marrakech, sera vite comblé par le couronnement, le 14 avril 1672 à Meknès, de son demi-frère, Moulay Ismail. Son règne correspond alors à une période d'apogée de la puissance marocaine, avec des succès militaires dus à la création d'une armée forte et des «guichs» et sur une garde royale composée d'esclaves noirs connus sous l'appellation de «Abid al-Bukhari». Dès les premières années de son règne, Moulay Ismaïl combat victorieusement les Ottomans d'Alger et leurs vassaux. Il arrive même à chasser les Européens des ports qu'ils occupent depuis plusieurs années, à l'instar de celui de Mehdia, de Larache, d'Assilah, d'El-Mamoura. Un ambassadeur hors du commun Mais Tanger est occupée depuis déjà une dizaine d'années et les relations maroco-anglaises sont déjà perturbées par l'épineuse question des captifs britanniques au Maroc. Connu pour épuiser toutes les solutions possibles avant de faire appel à son armée, le sultan alaouite décide alors d'envoyer un émissaire à la Cour de Charles II. Le choix est vite fait : Moulay Ismail dépêche alors Mohamed Ben Hadou Al Attar, originaire de la ville de Safi et issu d'une grande famille ayant soutenu depuis toujours le Makhzen. Mohamed Ben Hadou Al Attar, célèbre émissaire et deuxième ambassadeur du Maroc de Moulay Ismail en Angleterre est arrivé à Londres en décembre 1681 et a été reçu par le roi Charles II le 11 janvier 1682», rapporte le chercheur et professeur à l'Institut des études africaines de l'Université Mohammed V de Rabat, Mohamed Laamiri dans un article intitulé «Moroccan British Relations : A Brief Survey». «Ben Hadou a impressionné les Londoniens par ses robes exotiques et son équitation. Un événement immortalisé par une peinture célèbre de l'ambassadeur du Maroc sur son cheval à Hyde Park par Sir Godfrey Kneller.» Mohamed Laamiri. Portrait en couleur de Mohamed Ben Hadou. / Ph. DR Une version confirmée par l'historien Nabil Matar dans son ouvrage «Turcs, Maures et Anglais à l'âge de la découverte» (Turks, Moors, and Englishmen in the Age of Discovery, Editions Columbia University Press, 2012). «Il y avait des poèmes écrits à propos de l'occasion, des descriptions dans des correspondances privées et des journaux intimes, et surtout, des reportages sur l'ambassadeur dans La Gazette de Londres (l'un des premiers journaux britanniques, ndlr)», rapporte-t-il. Nabil Matar raconte aussi que Mohamed Ben Hadou «a été amusé par les nobles et les pauvres (…) se baladait dans le Palais et la ville (de Londres, ndlr)». «Il a voyagé à Oxford et à Cambridge avant de visiter la Royal Society (la Société royale de Londres pour l'amélioration des connaissances naturelles, ndlr), rencontrer quelques-uns de ses membres, examiner ses recherches». «Premier marocain à devenir membre honorifique de la Royal Society» L'émissaire de Moulay Ismail a même visité la Lincoln's Inn, prestigieux collège judiciaire de Londres à l'époque, rapporte cet institut sur son site. «Pendant sa visite en Angleterre, Ben Hadou visita non seulement Lincoln's Inn, mais aussi les Universités Cambridge et Oxford et la Royal Society, ainsi que de nombreux rassemblements à Whitehall, le Palais de Westminster et Westminster Hall qui abritait des audiences avec Charles II, des concerts et des représentations théâtrales», écrit la Lincoln's Inn. «Avec sa suite, il a été largement observé et scruté. Il a été rapporté par John Evelyn qu'il (Mohamed Ben Hadou, ndlr) ne buvait pas de vin, qu'il était courtois envers les femmes, qu'il était magnifique à cheval à Hyde Park et qu'il s'intéressait aux manuscrits arabes et à l'innovation scientifique. Pendant la durée de leur séjour en Angleterre, l'ambassadeur et les Maures devinrent ''la mode de la saison'', suscitant tellement d'enthousiasme [parmi les] Londoniens.» Nabil Matar. Le professeur Ibrahim Kredya, l'historien marocain ayant consacré trois livres à l'histoire de l'ambassadeur Mohamed Ben Hadou Al Attar, affirme de son côté que l'émissaire de Moulay Ismail aurait été le «premier marocain à devenir membre honorifique de la Royal Society». «Homme de grande culture et parfait anglophone, l'ambassadeur Ben Hadou allait dans son temps libre au théâtre, à l'opéra et visitait le pays. Ses qualités ont été vite remarquées à l'Académie des Sciences, The Royal Society où il sera reçu avec les honneurs le 26 avril 1682. L'ambassadeur a donné une conférence dans les locaux de la bibliothèque de l'Académie et a produit sur l'assistance un immense attrait», poursuit-on de même source. L'ambassadeur Mohamed Ben Hadou par John Lloyd en 1682./ Ph. Bridgeman Art Library Libération de Tanger : échec ou réussite ? Le 23 Juillet 1683, Mohamed Ben Hadou rentre au Maroc, avec plusieurs cadeaux offerts par Charles II à Moulay Ismail ainsi qu'un projet de traité de paix et de commerce, comme le rapporte l'historien marocain Khalid Ben-Srhir dans son livre «La Grande-Bretagne et le Maroc sous l'ambassade de John Drummond Hay 1845-1886» (Edition Routledge Curzon, 2005, traduit en anglais par Malcolm Williams et Gavin Waterson). «Mohamed Ben Hadou est revenu avec un projet de traité de paix et de commerce. Le sultan, cependant, a refusé de ratifier ce traité en raison de la présence continue des Anglais à Tanger et de la complexité croissante des problèmes des captifs. En raison de problèmes interdépendants, qui comprenaient les graves difficultés que Moulay Ismail avait causées à Tanger en 1679 (…) [La ville du Détroit] sera abandonnée en 1684.» Khalid Ben-Srhir. Mohamed Ben Hadou par M. Tomkins et Susannah-Penelope Rosse, portrait publié en 1797. / Ph. British National Portrait Gallery De son côté, Ibrahim Kredya précise que «contre toute attente, Moulay Ismail n'était pas content» des résultats des négociations menées par son ambassadeur. «De l'avis du sultan, son ambassadeur était trop indulgent avec un interlocuteur arrogant et infidèle», poursuit-il avant de rapporter que Mohamed Ben Hadou engagera des «pourparlers secrets avec Charles II, à titre particulier et amical». «Il lui a déconseillé toute confrontation avec les armées aguerries de Moulay Ismail (…) Le Roi anglais a fait confiance à son ami et ancien ambassadeur dans sa cour. Tanger a été libérée et les relations entre les deux royaumes sont devenues amicales et privilégiées», conclut-il. L'ambassadeur aurait donc réussi sa mission avant de disparaître, à nouveau, des livres d'histoire.