«Monsieur l'ambassadeur du Maroc et sa suite assistant au spectacle de la Comédie italienne» est le nom d'un tableau peint par Antoine Coypel en 1682. Derrière ce chef-d'œuvre, l'histoire de la visite de Mohammed Temim, émissaire de Moulay Ismail pour Louis XIV, en France. En octobre 2017, une exposition intitulée «Visiteurs de Versailles 1682-1789» s'était ouverte au Château de Versailles, autrefois résidence des rois de France Louis XIV, Louis XV et Louis XIV. A l'origine de l'exposition, une collaboration entre le Metropolitan Museum of Art et le Château de Versailles. Particularité de cette exposition pour les Marocains ? Un magnifique tableau intitulé «Monsieur l'ambassadeur du Maroc et sa suite assistant au spectacle de la Comédie italienne», peint par Antoine Coypel, vers 1682. Un tableau qui immortalise la visite, en janvier 1682 de l'ambassadeur marocain Hajj Mohammad Temim Attitouani alias Mohammed Temim à Paris. Pacha de Tétouan puis de Salé, Mohammed Temim était l'émissaire du sultan alaouite Moulay Ismail pour négocier avec le roi Louis XVI à propos de la ratification d'un traité signé un an auparavant entre le Maroc et la France le 13 juillet 1681. Un Maroc uni sous les alaouites Nous sommes en 1672. Moulay Ismail, septième fils de Moulay Chérif, fondateur de la dynastie alaouite, vient d'être élu Sultan du royaume chérifien. Si ses deux frères aînés, Moulay Mohamed et Moulay Rachid, sont à l'origine d'une campagne d'unification du Maroc, le règne de Moulay Ismaïl est marqué par l'apogée de la puissance marocaine. Succès militaires, armée forte et originale reposant sur les «guichs» (principalement des Oudaïas) et sur la garde des Abid al-Bukhari, des esclaves noirs qui lui sont totalement dévoués, le pouvoir central sous son règne est plus fort que jamais. Le makhzen est en effet moins dépendant des différentes tribus souvent rebelles. Portrait du sultan alaouite Moulay Ismail. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain» Après avoir passé plusieurs années à s'asseoir son pouvoir, Moulay Ismail entamera, dès 1681, une large opération visant à libérer les villes portuaires du royaume chérifien. En effet, à la fin du XVIe siècle, la ville de Mehdia, appelée alors Al Maamoura, est un repaire de pirates. Pour répondre aux agressions des corsaires, les Espagnols tenteront à deux reprises de s'en emparer. En 1611, ils tenteront de rendre le port de la ville inutilisable en y coulant 8 vaisseaux. Les Espagnols reviendront en 1614 avec une flotte de 100 vaisseaux pour achever leur travail. Le port d'Al Maamoura est alors occupé jusqu'en 1681, année durant laquelle le sultan Moulay Ismail parvient à chasser les occupants et récupérer ce port. Le jour même, un traité est signé entre le sultan et un représentant de la France au Maroc contre l'Espagne et la Grande-Bretagne. Le traité évoquait aussi le cas de Marocains capturés par des navires français. En effet, une année auparavant, quelques 228 Marocains sont capturés par des bateaux français, comme le rapporte Nabil Matar, dans son livre «Dans les terres des chrétiens: l'écriture de voyage arabe au XVIIe siècle» («In the Lands of the Christians: Arabic Travel Writing in the Seventeenth Century», Editions Psychology Press, 2003). La «grande surprise» de l'ambassadeur immortalisée dans un tableau Le 21 septembre 1681, Moulay Ismail choisit le gouverneur de Tétouan, Mohammed Temim, comme émissaire pour le roi Louis XIV. Objectif : négocier avec le monarque français la ratification du traité de 1681 et le dossier épineux des Marocains dans les geôles de Louis XIV. Mohammad Temim, accompagné par Ali Maâninou et six autres diplomates s'embarque sur le navire du chevalier Le Febvre de La Barre, pour la France. Bien que la délégation marocaine rencontre des difficultés sur son chemin à Paris, elle n'arrivera à Brest que le 7 octobre après un voyage ayant duré 3 mois et 10 jours. L'émissaire est alors reçu par Louis XIV au château de Saint-Germain-en-Laye le 4 janvier 1681. L'occasion pour Mohammed Tamim et ses compagnons d'assister à plusieurs manifestations culturelles, toujours selon Nabil Matar. «En janvier 1682, l'ambassadeur marocain Mohammed Temim et sept membres de la délégation qui l'accompagne visiteront la France et découvrent la révolution sociale, artistique et intellectuelle du pays. L'ambassadeur assistera au spectacle de l'opéra Atys de Jean-Baptiste Lully, pendant lequel il ne cachera pas sa grande surprise, probablement à la vue du décor de la pièce qui inclut ''Une montagne consacrée à Cybele'' avec un temple, un palais et des jardins.» C'est donc durant cet événement que l'artiste peintre Antoine Coypel immortalisera la grande surprise de l'émissaire marocain et ses compagnons. Le tableau peint par Antoine Coypel en 1682. / Ph. DR Mohammed Temim assistera aussi à un ballet à l'académie royale de la musique. Une semaine après, il visitera la cathédrale Notre-Dame de Paris et assisteraà un concert d'orgue. «Cet ambassadeur est curieux de tout ce qui regarde les sciences, les arts,…» commente un interprète français ayant accompagné l'envoyé du sultan Moulay Ismail. Des relations marquées par des hauts et des bas Le 25 février, à son retour au Maroc, Mohammed Temim recevra de beaux cadeaux d'adieu de Louis XIV. Toutefois, si Nabil Matar qualifie la visite de «succès» diplomatique, les «Mémoires du patrimoine marocain» (Quatrième volume, Editions Nord Organisation, 1986) rapporte une toute autre version. Bien qu'au cours de la visite de l'ambassadeur du sultan chérifien, un accord est signé, le Maroc ne récupérera aucun prisonnier à l'issue de ce déplacement. On y raconte que Louis XIV demandera à ses généraux de cacher les prisonniers marocains pour affirmer devant l'ambassadeur que la France n'a aucun marocain dans ses prisons. Illustration de l'arrivée d'un ambassadeur de la France au Maroc en 1693. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain» Les relations diplomatiques entre le monarque français et le sultan alaouite sont officiellement rompues en 1708. Jusqu'à cette date, Louis XIV refuserait toujours d'échanger les captifs marocains avec des français, brandissant un article sur le rachat des captifs. La détérioration des relations entre les deux monarques aurait commencé dès 1687, année durant laquelle Louis XIV dictera une loi interdisant l'export de produits alimentaires et militaires à des pays étrangers, dont le Maroc. Les «Mémoires du patrimoine marocain» cite même une correspondance adressée au peuple français par leur roi, qui dit avoir appris que malgré l'interdiction, des produits seraient «transférés par des corsaires vers le Maroc». Cela n'empêchera pas le sultan Moulay Ismail de réserver une place particulière à Louis XIV. Le sultan chérifien aurait même demandé la main de Marie Anne de Bourbon, princesse de Conti et fille de Louis XIV. Une demande qui sera bien évidemment déclinée.