Chaque année, en France, pendant le ramadan, fleurissent, dans les rayons et les catalogues promotionnels, des références, plus ou moins directes, au mois sacré. Opportunistes, les enseignes généralistes s'y sont mises. Succès mitigé, communication médiocre. Il rebute certains et en fascine d'autres, mais dans l'ensemble, il y a une sorte de banalisation du ramadan», analyse Franck Fregosi, chercheur au CNRS et spécialiste de l'islam en France. Preuve en est faite, chaque année, dans nombre d'enseignes généralistes. Produits spécifiques, affichages, dispositions en rayon, publicités rappellent plus ou moins explicitement le mois de ramadan. Depuis «saveurs des milles et une nuits» jusqu'à «ramadan moubarak», les messages publicitaires n'ont guère évolué les cinq dernières années : rudimentaires et généralisants. En 2010, la marque Isla Délice (société Zaphir) de charcuterie et de plats cuisinés halal, a reçu le prix de la campagne la plus innovante de l'Observatoire de l'innovation publicitaire créé par les agences Dufresne Corrigan Scarlett et Plan Net. Le film publicitaire débute avec la mise en place, le matin, de grands panneaux publicitaires dans les rues de Paris. Les affiches présentent seulement le nom de la marque sur un fond blanc que l'on devine être une nappe. La journée passe dans le ciel de la capitale et, quand le soir tombe, les panneaux publicitaires s'éclairent. Apparaissent alors, sur la nappe, les mets du ftour autour d'une assiette de charcuteries produites par la marque. Si l'esthétique des affiches est limitée, l'exploitation du principe marketing du teaser est originale. «Cette année, le spot sera visible sur le site, mais nous ne réaliserons pas de nouvelles publicités spécifiques au ramadan», explique Frédérique Dokes, directrice marketing d'Isla Délice. Pour le mois de jeûne 2011, elle prévoit seulement, à la demande notamment des distributeurs, de disposer un habillage spécifique du site web et des produits où il sera inscrit «ramadan moubarak». Les Milles et une nuits vendues aux musulmans L'innovation d'Isla Délice, société spécialisée, semble répondre à la croissance du marché du halal en France. Les enseignes de la grande distribution tentent aussi de toucher spécifiquement la clientèle musulmane. Quel meilleur moment pour le faire que le mois de ramadan ? Pourtant, Isla Délice reste une exception dans le champ de la communication ramadanesque. La plupart des dispositifs publicitaires restent très inadaptés à leur cible. «On prend les musulmans pour des abrutis, tranche, amère, Jean-Christophe Desprès, directeur général de l'agence conseil en communication affinitaire Sopi, d'année en année, le marché ne s'améliore pas.» En 2008, le catalogue promotionnel de Leclerc titrait, pendant le mois de ramadan, «Mille et une saveurs d'Orient». «Les saveurs orientales à petits prix» ouvre celui d'Auchan en 2010. «Comme un parfum d'orient». Continue Carre-four Market, au même moment. «La plupart du temps, les catalogues de ces grands magasins vous proposent de venir goûter les produits de l'orient, en exposant des produits qui n'ont rien à voir avec le ramadan», continue Jean-Christophe Deprès : nuggets, hamburger, pizza ... La méconnaissance de la cible peut expliquer, en partie, le ridicule de certaines propositions commerciales. L'an der¬nier, dans le catalogue de Lidl, du vin marocain était présenté entre un plat de couscous et une silhouette de dromadaire. Ces publicités et les installations très «orientales» dans les magasins amalgament ramadan, Maghreb, orient fantasmé et Ailleurs exotique. «Aucune étude n'est faite par la grande distribution, estime Jean-Christophe Desprès, en amont, afin de connaître la clientèle musulmane». Seuls des trac¬king en rayon permettent éventuellement de connaître quand, et par quel type de client, a été acheté un produit particulier. Le mot «ramadan» tabou Le flou entretenu par les enseignes généra¬listes pousse à se demander, quand bien même ces actions promotionnelles coïncident avec le ramadan, si ce sont bien les musulmans qui en sont la cible. La majorité des catalogues évoquent l'orient à l'envie mais, nulle part, ou presque, n'apparait le mot «ramadan». Seul Casino avec ses grands panneaux d'affichages «ramadhan» et sa marque halal Wassila faisait figure d'exception. L'usage du passé est de mise puisque le directeur des relations presse du groupe, Frédéric Croccel, annonce que «Casino souhaite «décommunautariser» la communication halal». Un formule très maladroite puisque le halal ne s'adressera jamais, par définition, qu'aux musulmans. Le mot «communautarisation» utilisé pour justifier ce retournement - le di-recteur marketing insiste aussi sur le fait que, contrairement à ce qu'affirme le site de la marque Wassila, «aucun projet de magasin halal» n'existe - est révélateur du comporte¬ment des autres chaînes de la grande distribu¬tion. Le refus de mettre directement en relation leur communication avec les musulmans par le mot «ramadan» s'explique, en partie, par des raisons politiques. En République française il a toujours été et il est encore, plus que jamais, déconseillé de s'adresser à une «communauté» dans l'espace public, fusse-t-il commercial. Pour Jean-Christophe Desprès, directeur général de Sopi, le manque d'engagement des grandes enseignes à faire évoluer leur communication pour s'adresser spécifiquement aux musulmans peut aussi s'expliquer par une certaine déception. «La population musulmane en France a des origines ouvrières. Elle n'a pas, pour la plupart, un pouvoir d'achat considérable.» Pourtant, en dehors du secteur de la consommation courante, une autre enseigne communique ouvertement sur le ramadan, et avec succès. Une spécificité : elle ne s'adresse pas seulement aux musulmans. La FNAC, renouvellera cette année l'expérience lancée en 2010 : placer en exergue tout un rayon rempli d'une trentaine d'ouvrages relatifs au ramadan. «Il y aura le Coran en français, en arabe, des livres de prières pour garçon et filles, mais aussi des livres destinés aux non-musulmans comme l' «Islam pour les nuls» ou «Sagesses d'Islam», détaille Laurence Deschamps, chefs de produits librairie à la FNAC. Impossible de connaître exactement le succès commercial de l'opération, mais, en 2010, «nos ventes ont été multipliées, assure Laurence Deschamps, croyez moi, ça a bien marché sinon on ne recommencerait pas cette année.» Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°9