Invitée par le ministère israélien des Affaires étrangères, une délégation de neuf journalistes arabes dont cinq marocains s'est récemment rendue à Tel Aviv. Le ministère palestinien de l'Information réagit en appelant l'Union des journalistes arabes à prendre des mesures coercitives. Dans un communiqué publié jeudi dernier sur son site, le ministère palestinien de l'Information appelle l'Union arabe des journalistes (UAJ) à prendre des mesures contre les professionnels ayant répondu à l'invitation d'Israël. «Si elles acceptent et cautionnent le fait que leurs journalistes effectuent ces visites de normalisation», les entreprises de presse pour lesquels travaillent ces ressortissants doivent tout autant être mises sur «liste noire», indique encore le communiqué. Le ministère de l'Information appelle également à cesser toute collaboration entre l'UAJ et lesdites rédactions. En effet, il rappelle que la démarche des journalistes est «contraire au consensus des Etats arabes sur la question, notamment la position du Conseil des ministres arabes de l'Information. Une honte qui ne peut être justifiée, car elle contredit également la position populaire des pays, considérant Israël comme une occupation, un Etat terroriste assoyant racisme et épuration ethnique». Une réception «policée» Reçue par le ministère israélien des Affaires étrangères, la délégation des médias arabes est composée de neuf journalistes : Cinq Marocains, un Libanais, un Yéménite, un Irakien et un Syrien. Sur la page Facebook «Israël parle arabe», l'hôte se félicite de Hassan Kaabia, porte-parole du ministère en langue arabe, qui fait visiter à ses invités des hôpitaux où se font soigner des syriens, blessés de guerre. Pour les organisateurs, le but de la visite est de permettre à ces journalistes de «voir de plus près Israël et sa politique vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, ainsi que la coexistence qu'elle permet entre les différentes composantes des milieux politiques, au sein des départements gouvernementaux et de la Knesset» (sic). Par ailleurs, la page indique que la délégation des médias arabes a visité la vieille ville de Jérusalem et ses marchés, où elle a été «impressionnée» par les expressions de liberté de culte, que «garantit Israël aux trois religions monothéistes». Depuis plusieurs années, l'Etat sioniste cible particulièrement les journalistes arabes et ceux issus d'autres pays, leur proposant des «formations» pour «apprendre à parler d'un conflit de façon neutre et professionnelle». Une manière de mener des actions parallèles aux démarches officielles pour contrer le boycott populaire dans ces Etats-là. En septembre 2014, peu après l'offensive israélienne sur la bande de Gaza, le site Orient XXI a fait un compte-rendu de l'une de ces «réceptions» résolument tournées vers les médias : «La «formation» devient digne des plus grandes campagnes politiques. Les organisateurs se disent étudiants ou anciens étudiants intéressés par les relations internationales. Mais qui paie les cinq jours tous frais payés (à l'exception du billet d'avion pour se rendre à Tel-Aviv), avec bus privé affrété tous les jours et séjour dans un hôtel à 150 dollars par jour ? Sans compter que devant le micro, ce sont pour la plupart des militaires haut-gradés, des porte-paroles ou d'anciens porte-paroles de l'armée qui se relaient. (…) Israël, vers laquelle tous les yeux sont braqués depuis des décennies, est la terre promise pour le reporter en herbe qui n'a jamais mis un pied en zone de guerre. Quelle fierté d'y être ! Et pourtant. Les heures de conférences s'enchaînent, mais très peu parmi les auditeurs prennent des notes. Très peu de mains se lèvent pour protester contre les discours assénés. L'oreille semble attentive, c'est déjà bien assez. Tout le monde garde ses forces pour les sorties du soir. Selfies, tournée des pubs et dîner-pizzas initiés par les jeunes cadres dynamiques de la capitale israélienne font oublier les bombes qui pleuvaient sur Gaza il y a à peine quelques semaines.» Des visites assumées Alors que quatre parmi les journalistes marocains ayant répondu à l'invitation du ministère israélien des Affaires étrangères ont souhaité ne pas être publiquement nommés, la journaliste Samira Ber a été citée par le journal israélien Maariv, où elle affirme son soutien pour l'Etat hébreux : «Dans les médias du monde arabe, la configuration est simple: Israël est toujours présentée comme le tueur. Spontanément, votre sentiment de solidarité se range du côté de ceux qui sont tués.» Plus loin, la journaliste dénonce même l'élan de solidarité populaire avec la Palestine, au lendemain de la déclaration de Donald Trump sur le statut de Jérusalem et la reconnaissance de celle-ci comme capitale d'Israël : «Lors des manifestations dans le monde arabe, on a porté atteinte à des juifs et à des pro-israéliens. Mais cela n'a pas été le cas au Maroc. Notre roi sait gérer les différences d'opinion des uns et des autres. Il trace une ligne rouge qui permet de ne pas aller sur le terrain de la violence.» Enfin, Samira Ber arrive à une conclusion schématisée, tout en s'adressant aux Israéliens : «Cette terre [la Palestine, ndlr] vous est appartenue depuis des siècles (…) Lorsque nous avons visité le Mur des lamentations, personne ne nous a demandé si nous étions chrétiens ou musulmans. En mettant nos mains sur le mur, nous avons été gagnés par un sentiment de quiétude. Mais lorsque nous sommes allés à la mosquée Al-Aqsa, on nous a rappelé que nous devions porter le voile. On m'a demandé si je connaissais la sourate Al Fatiha, si nous maîtrisions l'arabe… Ma conclusion est que là où se trouvent des juifs, il y a la paix.» Le SNPM réagit Le lendemain de la publication du communiqué du ministère palestinien de l'Information, le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) a pris position vendredi, en considérant que cette réception rentre dans le cadre d'une «campagne hostile de normalisation qui vise le journalisme». Plus loin, le SNPM a dénoncé cette visite en affirmant «sa position ferme contre toute forme de normalisation avec l'entité sioniste, qui occupe la terre d'un autre peuple et y perpètre des massacres, des meurtres et des déplacements forcés». Le syndicat des journalistes marocains a rappelé également les résolutions des Nations unies condamnant les exactions d'Israël et l'appelant au respect des traités internationaux.