Dans cette série, Yabiladi fera la lumière sur les organisations secrètes qui ont marqué l'histoire du Maroc contemporain. Dans cette septième partie, zoom sur l'histoire «Le réseau de Hoummane El Foutouaki». Comme tout pays qui a subi l'injustice et l'oppression du colonisateur, ainsi que la répression postcoloniale, le Maroc a lui aussi disposé de ses organisations secrètes. Des groupuscules destinés tantôt à lutter contre le protectorat français et espagnol, tantôt à mener la vie dure au roi Hassan II. De 1912 à 1956, l'histoire de la lutte nationale contre la colonisation a été marquée par plusieurs étapes. L'ère pré-indépendance reste sans doute la plus féroce et la plus meurtrière, écrite par une France déterminée à se maintenir au pouvoir au Maroc et, parallèlement, par une résistance aspirant à la liberté. Avec la montée des tensions entre Marocains et forces coloniales dès 1950, la résistance nationale décide de franchir une étape cruciale : celle de la lutte armée. Plusieurs organisations secrètes prennent ainsi le relai, visant les Marocains qui collaborent avec les autorités coloniales ou des personnalités françaises établies au Maroc. A l'nstar de la bouillonnante ville de Casablanca, Marrakech a, elle aussi, eu droit à un réseau de résistants prêts à tout sacrifier pour l'indépendance du Maroc. Une première tentative de former un réseau de plusieurs organisations clandestines verra le jour dès les premières années du protectorat. Mais ce n'est que vers l'automne 1953 que neuf organisations clandestines, formant le noyau de la résistance marrakchie, s'activeront à l'ancienne médina et au quartier Kasbah, relate le septième volume des «Mémoires du patrimoine marocain» (Editions Nord Organisation, 1986). L'arrestation en décembre 1954 de Mohamed El Bakkal, l'un des membres les plus actifs de ce réseau, poussera ses compatriotes à revoir leurs cartes. Ce réseau, dirigé jusque-là par l'insaisissable Moulay Abdeslam Jebli, et dont le mentor n'est autre que Fqih Basri, ne fera parler de lui qu'en février 1954 avec une série d'attentats visant les figures emblématiques du protectorat dans la ville ocre, à commencer par le pacha de Marrakech, le puissant Thami El Glaoui. Les opérations interviendront avec le changement à la tête du réseau. Moulay Abdeslam Jebli est appelé à rester à Casablanca au sein de «L'Organisation secrète» de Mohamed Zerktouni. Mohamed Ben Brik Ben Brahim alias Hoummane El Fetouaki est alors le candidat idéal pour diriger les opérations du réseau marrakchi. Mohamed Ben Arafa à Marrakech en compagnie du pacha Thami El Glaoui. / Ph. G.I. Hoummane El Fetouaki, de Tassoumt à Marrakech Ce commerçant, contacté par la résistance à Marrakech pour devenir leader, verra le jour en 1908 au village de Tassoumt, dans le Haouz, au sein d'une famille de paysans. Un village où il passera son enfance et son adolescence avant de quitte le foyer familial et s'engager, à Tétouan, dans les rangs de l'Armée espagnole en tant que soldat. C'est durant cette même période que la guerre du Rif éclatera entre Mohamed Ben Abdelkrim El-Khattabi et le colonisateur espagnol. Une guerre durant laquelle El Fetouaki assistera ses compatriotes mais surpris, s'enfuira vers Tanger, rapporte El Massaia El Arabiya dans un article paru en 2012. De Tanger, Hoummane El Fetouaki rentrera à nouveau à Tassoumt avant d'aller s'installer à Marrakech où il enchaînera plusieurs métiers. Il est donc contacté par Moulay Abdeslam Jebli pour prendre les arènes du réseau clandestin. Le cap est vite mis sur les cibles à éliminer et les terrains d'opérations. Le réseau, qui prendra le nom d'El Fetouaki, visera gros en mettant le nom du pacha El Glaoui à la tête de sa liste noire. Un portrait de Hoummane El Fetouaki dessiné à la main. / Ph. DR Mais le puissant pacha de Marrakech, à l'origine du complot contre le sultan Mohammed Ben Youssef, échappera miraculeusement à une tentative d'assassinat ayant eu lieu à la mosquée de la Koutoubia, le 20 février 1954. Le «Réseau d'El Fetouaki» enchainera donc avec d'autres tentatives. Le 11 mars 1954, alors que Mohammed Ben Arafa, «sultan des Français» est en visite dans la ville ocre, une grenade explose dans la mosquée de Berrima en pleine prières du vendredi. Ben Arafa, tout comme le pacha El Glaoui s'en sortent vivants. Ben Arafa après la tentative d'assassinat à la mosquée Berrima. / Ph. INA Un réseau ayant semé la terreur à Marrakech Au sein de la mosquée, «neuf bombes seront découverts ; le réseau comptait en finir avec El Glaoui si ce dernier n'avait pas tiré des balles sur l'un des résistants (présents au sein même de la mosquée, ndlr)», rapporte-t-on dans le septième volume des «Mémoires du patrimoine marocain». Mais l'échec n'est toutefois pas entier, puisque le «Réseau d'El Fetouaki» réussira à semer la terreur dans les rangs des partisans d'El Glaoui et des représentants de la France coloniale. L'organisation clandestine ne baissera pas les bras. «Le 29 mars 1954, une autre bombe artisanale visera des inspecteurs de police au café de France à Jamâa El Fna. Treize personnes seront blessées dans cette opération.» Le 15 mai 1954, le commissaire du gouvernement près le tribunal chérifien, Maurice Monier, est abattu par l'un des membres de l'organisation. Un autre attentat visera, le 20 juin 1954, le chef de région à Marrakech, le général d'Hauteville, le blessant grièvement par balles à la place Jamâa El Fna. Le mois d'après, soit le 23 juillet 1954, le contrôleur civil délégué aux affaires urbaines, Claude Jean Thivend, connu pour ses positions anti-marocaines et ses pratiques «haineuses» contre la population, est lui aussi assassiné par balles «alors qu'il sortait de la maison de son amante», raconte-t-on dans les «Mémoires du patrimoine marocain». Le général d'Hauteville, chef de région à Marrakech, assassiné par le «Réseau d'El Fetouaki», le 20 juin 1954. / Ph. mangin2marrakech Après cinq mois d'actions, le réseau est démantelé Mais le 25 juillet 1954, lors d'une nouvelle tentative d'assassinat, cette fois du président de la chambre de commerce marocaine, un des membres du «Réseau d'El Fetouaki» sera arrêté. Sous la torture, il révélera les noms de ses camarades, obligeant la plus part à s'enfuir vers d'autres villes. El Fetouaki se dirigera vers Casablanca où il est accueilli par des membres de «l'Organisation secrète», comme le rapporte El Massaia El Arabiya. Il est toutefois contraint de revenir à Marrakech le 10 août de la même année. Le lendemain, il est arrêté par la police et sa maison perquisitionnée. El Fetouaki sera torturé pendant plusieurs jours avant d'être condamné à mort le 6 novembre 1954. Ce n'est qu'en mars 1955 que le leader du «Réseau El Fetouaki» et d'autres membres seront transférés au pénitencier d'El Ader suite à la confirmation de la première condamnation par le Tribunal militaire. Le jugement est exécuté le 9 avril 1955, El Fetouaki est fusillé. «Lorsque l'heure de l'exécution fut arrivée le 9 avril 1955, Hoummane El Fetouaki la subit avec courage et dignité. Il refusa de porter une bande sur les yeux. Un geste qui força l'admiration de ses compatriotes marocains, mais surtout de ses bourreaux», raconte un article du quotidien Le Matin paru en 2013. Contrairement à d'autres membres de son réseau, Hoummane El Fetouaki n'assistera pas à l'indépendance pour laquelle il a lutté durant les dernières années de sa vie.