Karima El Fillali est chanteuse, poète et musicienne ; mais au lieu de faire partie de la scène musicale dominante, elle a décidé de se différencier par le classique, l'authenticité et sa marocanité. Bien qu'elle ne parle pas couramment l'arabe classique, l'artiste maroco-néerlandaise, résidant à Amsterdam, s'est lancée en chantant du Oum Kelthoum, en jouant du Oud et parfois même du Guenbri. Portrait. Surmonter la pression des pairs, c'est ce que Karima El Fillali, une jeune artiste maroco-néerlandaise vivant à Amsterdam, a choisi en optant pour la musique arabe classique. Née dans un petit village appelé De Lier, aux Pays-Bas, d'un père marocain et d'une mère néerlandaise, Karima est tombée amoureuse dès son enfance de ses origines marocaines. A côté de son amour pour la musique, elle montre également un grand intérêt pour la langue de ses ancêtres africains. «Ma mère était musicienne, elle jouait de la guitare. Sa famille est chrétienne, alors ils chantaient toujours à l'église (...) Nous allions chanter tout le temps», confie Karima à Yabiladi en insistant sur le fait qu'elle «avait une forte préférence pour la musique classique et plus précisément la musique arabe». Karima El Fillali. / Ph. Karima El Fillali Le chanteuse de 30 ans est entrée sur la scène alors qu'elle n'était qu'étudiante, elle avait seulement 16 ans à l'époque. Elle a d'abord entendu parler d'Oum Kelthoum dans la camionnette de son père où il avait l'habitude d'écouter des chansons de la grande artiste égyptienne. C'est lors d'une session d'Amdah (musique classique arabe, ndlr) à Fès que Karima a pu prendre connaissance des chansons de la diva égyptienne, «ils m'ont dit que si je voulais apprendre [la musique classique], je devais écouter Oum Kelthoum», raconte-t-elle. «Plus les chansons étaient méditerranéennes, plus je me suis régalée à les chanter. Au début, j'ai commencé à chanter beaucoup de musique de Fado portugaise, puis j'ai entendu de la musique arabe et j'ai été émerveillée. Je voulais la chanter, mais j'ai dû faire face à la barrière de la langue.» Prise par la mélodie, les instruments et l'authenticité, Karima se sentait accro à cette musique. Malgré le handicap linguistique, l'expérience lui a rappelé son pays, le Maroc. Aux questions relatives à sa capacité à se produire en arabe, Karima répond simplement : «Je suis très mauvaise en arabe, alors par exemple, lorsque je dois apprendre un poème, je travaille vraiment pour livrer le meilleur de moi-même». La langue arabe, une barrière à laquelle l'artiste fait face En effet, Karima a réussi à interpréter d'anciennes chansons telles que «Ya Jarat al Wadi», l'une des chansons les plus classiques jamais chantées. Pour surmonter cet obstacle de la langue, Karima a pris des cours de Tajwid (psalmodie, ndlr) avec des récitateurs du Coran pour l'aider à prononcer correctement des mots et des sons. Elle a même voyagé au Maroc pour apprendre l'arabe : «J'avais décidé d'aller au Maroc pour apprendre à connaître la musique traditionnelle, comme Gnawa et la musique classique. J'ai pris des cours d'arabe et je me suis retrouvée professeure de chant arabe. C'est ainsi que tout a commencé», se souvient la jeune femme. Et d'ajouter : «c'était en 2011 et cela a duré 9 mois.» Karima est le mouton noir de sa génération, elle a choisi de laisser tomber ce qui est considéré comme courant et dominant pour suivre son instinct. «Notre génération a été bercée par la musique hip-hop, j'avais l'habitude de rechercher toutes sortes de musique ... Africain, Sahraoui, Flamenco, alors j'ai connu toutes ces influences», se remémore la trentenaire. «J'ai essayé d'apporter ma touche et mon influence», explique l'artiste binationale.
Karima est aujourd'hui membre d'un groupe qu'elle a créé avec ses amis et baptisé Shakuar. Elle s'occupe de plusieurs tâches au sein de cette bande puisqu'elle chante, écrit et joue également de son instrument préféré, le Guembri. «Je fais des projets différents. Je vois la musique classique comme un chemin et comme une école où l'on apprend, mais aussi comme quelque chose que j'aime faire», souligne-t-elle. Karima et son groupe. / Ph. Karime El Fillali «En plus de la musique arabe classique, je mène aussi des projets expérimentaux pour les films par exemple. J'ai également travaillé pour un théâtre de danse et maintenant je me prépare pour un autre album avec mon propre groupe. Nous avons mis en ligne une des chansons de l'album, cela dit nous publierons les autres dès l'achèvement de celui-ci», a-t-elle déclaré. L'héritage marocain, une richesse Pour la jeune artiste, découvrir son héritage marocain était un «choix délibéré, un voyage que je prenais consciemment». En précisant que son «côté occidental est et restera une partie intrinsèque de ce que je suis en tant que personne et artiste». Vivre dans un pays où différentes communautés ethniques coexistent et où tout le monde essaye de découvrir sa double identité permet à Karima de s'inspirer des deux mondes. Mais ceci est à la fois une force et une malédiction. «Lorsque vous êtes de double héritage, la société remet toujours en question votre identité : qui êtes-vous ? Vous n'êtes ni cela ni cela, mais vous êtes tel et tel...», pointe la musicienne. La réponse qui a le plus convaincu Karima est l'acceptation de soi. Avec son Guembri entre les mains et ses ambitions, ses rêves et sa créativité, Karima souhaite aider à reconnecter les Marocains qui vivent aux Pays-Bas à leurs racines. «Je pense qu'il y a un réel désir pour les jeunes ici de reconsidérer leur propre héritage, parce que lorsque vous habitez dans un pays comme les Pays-Bas, si vous allumez la télévision, vous ne trouverez pas une représentation de la richesse des différentes communautés», note-t-elle. Et de conclure : «Dans [ma] génération, il y a un nouveau mouvement de jeunes qui découvrent de la musique traditionnelle» Être capable d'embrasser ses différences et d'aimer son héritage, la voix, les performances et les objectifs de vie de Karima font d'elle une musicienne passionnée. Elle s'est engagée à en apprendre davantage sur le Maroc et la musique, Karima El Fillali, un nom dont il faudra se souvenir dans le futur.