Le discours du roi Mohammed VI à l'occasion du 18e anniversaire de son accession au Trône continue de susciter plusieurs réactions. Si les partis les plus représentés au Parlement esquivent nos questions, d'autres formations politiques et mouvement ont réagi, pointant du doigt le rôle de l'Etat dans les maux mis en exergue par le souverain. Alors que les partis politiques les plus représentés au Parlement se murent dans un silence qui dit long sur leur compréhension des messages envoyés par le souverain lors du discours du Trône prononcé samedi, d'autres formations et mouvements politiques ne mâchent pas leurs mots. Ils pointent du doigt notamment le rôle de l'Etat lui-même dans la conjoncture actuelle. Certains fustigent les partis du gouvernement et ceux qui sont les plus représentés au Parlement, alors que d'autres évoquent l'institution monarchique. Fédération de la gauche démocratique : «Nous ne sommes pas concernés» Alors qu'une grande partie du discours du roi Mohammed VI prononcé samedi depuis Tétouan n'est autre qu'un réquisitoire contre les partis de l'échiquier politique, Abdeslam El Aziz, secrétaire général du Conseil national ittihadi (CNI), parti membre de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), estime que tous les partis ne sont pas concernés. «Le roi n'a pas pointé du doigt tous les partis politiques. En tant que Fédération de la gauche démocratique, nous ne sommes pas concernés car que nous ne sommes pas chargés de la gestion de la chose publique», nous déclare-t-il. «Nous n'avons donc pas de responsabilités. Même notre représentation au Parlement est limitée (deux députés à la Chambre basse, ndlr).» Pour Abdeslam El Aziz, sont concernés par le discours «les partis qui dominent l'échiquier politique, ceux qui utilisent les pots-de-vin lors des élections et ceux qui profitent du Code électoral pour conforter cette dominance». «Aujourd'hui, ce vide est causé par ceux qui sont dans les instances élues, dont la plupart sont très loin du citoyen», explique-t-il, imputant tous les maux à l'Etat. «Cette dominance est surtout l'œuvre de l'Etat qui a favorisé les partis de l'administration, l'ingérence dans les élections et le favoritisme vis-à-vis de certaines formations politiques. Nous vivons donc les répercussions de cette politique. C'est l'Etat qui en est le responsable. Nous espérons que le discours sera un début pour revoir les orientations du pays depuis l'indépendance afin de mettre fin à plusieurs pratiques, dont l'encouragement des partis de l'administration et le phénomène des technocrates.» Le secrétaire général du CNI note aussi que «dans le discours (du roi, ndlr), une partie est consacrée aux orientations 'stratégiques' et une autre à l'actualité du pays, c'est-à-dire le Hirak du Rif». «Sur ce dernier point, on espérait la libération de tous les détenus, d'autant que leurs revendications sont légitimes et justes». Abdeslam El Aziz de conclure : «Si on était dans une véritable démocratie, ces jeunes seraient dans des institutions élues par le peuple, parce qu'ils sont directement liés aux citoyens.» Annahj Addimocrati: «Le discours du roi se limite à 'Gare aux prieurs'» De son côté, Mustapha Brahma, secrétaire national d'Annahj Addimocrati (Voie démocratique) pointe directement la responsabilité de l'Etat. «Le discours a évoqué le rôle d'intermédiaire que doivent assurer les partis politiques envers les citoyens. Or ce qui les empêche d'assurer cette mission, c'est la pratique, lancée par l'Etat depuis l'indépendance, qui consiste à affaiblir l'échiquier politique», nous dit-il. «Nous ne pouvons donc pas s'attendre à ce qu'elles (les formations politiques, ndlr) assurent le rôle qu'elles doivent jouer.» «Le responsable de cette situation, c'est l'Etat makhzanien qui veut s'accaparer le pouvoir. Le discours du roi s'est arrêté à 'Gare aux prieurs' (début du verset de la sourate 'Al Maoun', ndlr) en décrivant la situation, sans pour autant en citer les causes. Ce sont les pratiques répressives et l'affaiblissement des partis, ainsi que la création d'autres formations, qui sont à l'origine de cette impasse.» Mustapha Brahma cite notamment l'exemple des élections, arguant que «quel que soit le parti arrivé en tête, le programme appliqué est celui de l'Etat. Le parti n'a donc plus de valeurs et les jeunes boudent les formations politiques». «Cette situation laisse place à la naissance d'une élite en dehors des structures partisanes», enchaîne-t-il. Le leader d'Annahj cite également un autre exemple : le Rif. «Lorsqu'ils ont voulu que les partis jouent un rôle, ils les ont poussés à assurer celui de sapeur-pompier pour calmer la contestation, au lieu de soutenir ou de se solidariser avec le Hirak du Rif», affirme-t-il. Quant à la question de l'après-discours royal, Mustapha Brahma reste pessimiste. «Le discours laisse entendre qu'il y aura un régime plus autoritaire, une tendance à l'autocratie et une approche encore plus répressive, car le roi a critiqué la fonction publique et l'administration mais, en même temps, a rendu hommage à la sécurité, aux hommes de la sécurité et à l'approche sécuritaire», conclut-il. Al Adl Wal Ihsane : «Les responsables doivent assumer, et à leur tête l'institution monarchique» De son côté, Hassan Bennajeh, membre du secrétariat général du Mouvement Al Adl Wal Ihsane (AWI), estime que «le roi lui-même reconnaît la crise profonde qui touche tous les niveaux au Maroc». «On l'a déjà dit mais certains nous ont traités de nihilistes», fait-il savoir. Il considère aussi que parmi les conclusions du discours, «l'absence des autres institutions qui traduit le monopole de la monarchie». «Le fait que tous les pouvoirs soient dans les mains du roi alors que le rôle de certains se résume à être des exécuteurs et des serviteurs est même un choix politique officiel», déclare-t-il. «Les responsables doivent assumer leurs responsabilités dans cette situation, et à leur tête l'institution monarchique et le roi. Le monarque a évoqué la reddition des comptes et n'a parlé que des autres, au moment où la logique, la Constitution et la vie politique impliquent que le premier à assumer la responsabilité et à rendre des comptes est celui qui dispose de tous ces pouvoirs, soit le roi.» Hassan Bennajeh ne manque pas d'évoquer le Hirak. «Le discours est l'annonce de l'aggravation de la situation au lieu de sa résolution», explique-t-il. «On s'attendait à une résolution politique de ce dossier puisque le discours reconnaît des dysfonctionnements, et surtout la responsabilité directe des institutions de l'Etat dans la production de cette crise», regrette-t-il. «Au lieu de cela, certains ont été libérés, en se basant sur un indicateur scandaleux et sans précédent, qui constitue à porter atteinte au pouvoir judiciaire : le fait de libérer certains et de maintenir d'autres en détention en arguant que ces derniers ont commis des crimes et de délits graves est un jugement précoce. Quel juge osera innocenter ces détenus si le roi les a déjà condamnés ?», s'interroge cette figure du secrétariat général de la Jamâa. Hassan Bennajeh de conclure : «Au lieu d'une volonté de résoudre la crise, il y a une volonté de l'aggraver, surtout avec l'adoption effective et officielle de l'approche sécuritaire et de la répression. L'approche sécuritaire est donc, pour l'Etat, l'unique réponse disponible pour l'instant.»