Le magazine en ligne Lallab a publié un concentré non exhaustif des remarques que reçoivent les femmes de confession musulmane en France, au nom de normes sociales souvent définies par les hommes, non musulmans de surcroît. Au milieu du remue-ménage des traditionnelles voix féministes qui s'élèvent en France, le magazine en ligne Lallab a publié la semaine dernière un billet qui devrait en faire tiquer plus d'un(e). Le site, qui se veut également la plateforme d'une association «laïque, féministe et antiraciste», s'assigne l'épineuse mission de donner la parole aux femmes musulmanes françaises, souvent prises dans l'étau des mouvements féministes dits «blancs». A travers le prisme de l'humour, cette association, qui regroupe aussi bien des non musulmanes qu'une poignée d'hommes, décrit «trois injonctions contradictoires faites aux femmes musulmanes» par et dans la société française. En premier lieu, il y a bien sûr les impératifs d'émancipation, dictées par celles et ceux qui-vous-veulent-du-bien, sur le quoi et le comment : «Devenez de vraies femmes Barbara Gould : habillez-vous librement, dites haut et fort ce que vous pensez - bref, émancipez-vous... / Ah oui, alors par contre ça serait bien si vous y arriviez sans avoir accès à l'emploi, voire aux études. On ne va pas tout vous servir sur un plateau d'argent, non plus.» Des plateaux télés dopés à la testostérone Comment ? En choisissant librement de s'habiller, leur dit-on. Une «liberté» qui reste toutefois conditionnée par des «sauf si» : «Bien sûr que tu as le droit de choisir librement comment t'habiller ! Enfin, sauf si c'est un hijab parce que t'es soumise, si c'est une robe couvrante parce que t'as des belles jambes alors pourquoi tu les montres pas (…) si c'est trop moulant parce que ça te boudine, si c'est... Bon, en gros, mets un jean H&M et arrête de nous casser les pieds.» Emnus (*), l'auteure de l'article, explique à Yabiladi : «Dans la société française, les femmes musulmanes sont souvent considérées comme étant incapables de raisonner par elles-mêmes. On les perçoit comme des victimes qu'il faudrait sauver. Même si ce sont parfois des conseils bien intentionnés, au final, tout le monde nous dit comment on doit vivre notre vie. Nos voix, on ne les entend pas dans les médias traditionnels. On se retrouve avec des plateaux télés animés par des hommes non musulmans qui parlent à la place des personnes concernées, et ça, ça ne choque personne.» «C'est contradictoire dans le sens où on dit aux femmes musulmanes comment elles doivent se comporter au nom d'une certaine liberté, ce qui paraît assez incohérent, d'autant que ça intervient dans un cadre très précis qui oppresse les femmes de manière générale. On nous dit d'être libres en tant que femmes, mais dans un cadre délimité souvent déterminé par des hommes», observe Emnus. «Des tonnes d'anecdotes» A ces diktats vestimentaires, se greffe bien sûr le fâcheux foulard. Depuis la fin des années 80, date des premières affaires dites «du voile islamique», ce carré de tissu est devenu le catalyseur de débats enflammés et, plus encore, la matière première de médias un brin tapageurs et d'acteurs politiques en mal de popularité. «Beaucoup de personnes que je rencontre estiment que le port du voile ne relève pas d'un choix consenti par la femme, de son libre-arbitre. Quand je dis aux gens que je suis la seule personne de ma famille à être voilée, ils sont tout de suite surpris. Ils s'imaginent que c'est forcément mon père ou mon frère qui m'obligent, poursuit Emnus. Quand j'explique que c'est un choix, je suis souvent confrontée à une forme de condescendance et de paternalisme qui consiste à me dire 'tu penses que t'es libre, mais en réalité t'as été manipulée'. Or, nous sommes tous conditionnés et influencés par notre environnement.» «N'importe quelle femme qui porte le voile en France vous le dira ; on a des tonnes d'anecdotes sur les discriminations auxquelles on est confrontées, ne serait-ce que le fait de se sentir tout le temps observées. Ceci dit, c'est sûr que quelqu'un qui vit en région parisienne n'a pas le même vécu que quelqu'un qui vit dans la campagne française», reconnaît la jeune femme, pour qui la notion d'intégration doit être réciproque. «Ce n'est pas un effort que doit faire la personne à qui on demande de trouver sa place dans un pays qui est le sien. Ça ne fait qu'alimenter le terreau des discriminations et des comportements hostiles.» Emnus raconte aussi ses échanges avec les dilettantes de l'islam : «Ce qui est paradoxal, c'est que certaines personnes sont souvent incapables de citer les cinq piliers de l'islam, mais elles pensent en revanche avoir des connaissances très pointues sur des points de jurisprudence ou sur l'obligation ou non de porter le voile. Suite à mon article dans Lallab, j'ai reçu des réponses de personnes qui me disent que ce n'est pas obligatoire de se voiler. Or, mon droit de le porter est-il soumis au fait qu'il faut que je prouve que c'est obligatoire dans l'islam ? Je ne vois pas la notion de liberté lorsqu'on me dit exactement ce que je dois faire et comment je dois le faire.» «Ne nous libérez pas, on s'en charge» Aux injonctions vestimentaires, s'ajoutent celles d'ordre social. Pour traduire son propos, Lallab tente une définition du communautarisme inspirée de certains discours politiques, qui se sont finalement dilués auprès d'une large frange de l'opinion publique : «Communautarisme (n.m.) : reproche fait aux minorités qui osent rester entre elles dans les quartiers où elles sont parquées, au lieu de fréquenter les milieux blancs et huppés qui attendent désespérément de bénéficier de leur compagnie. A ne pas confondre avec l'innocent entre-soi des milieux majoritairement composés d'hommes blancs hétérosexuels de plus de 40 ans, qui passent simplement du temps entre gens respectables.» «Quand j'ai commencé à porter le foulard, j'ai gardé mes habitudes et j'ai continué à fréquenter des endroits variés, éloignés de mon milieu d'origine, brassant des personnes aux identités diverses et parfois aux antipodes de la mienne, témoigne l'auteure de l'article. Je continue à le faire, parce que je ne veux pas que ma vie soit dictée par des ignorant·e·s, mais je suis souvent tentée de me réfugier dans un endroit avec des gens qui me ressemblent, où je passerais inaperçue et je pourrais vivre ma vie sans être dévisagée, importunée, voire humiliée», lit-on dans l'article. Emnus de traduire : Les femmes voilées sont perçues différemment de celles qui ne le sont pas. Les secondes sont considérées comme ayant réussi à s'émanciper, alors que pour les premières, on se dit qu'il y a encore du boulot. Chez Lallab, ce qu'on dit, c'est 'ne nous libérez pas, on s'en charge'. J'en ai assez de cette image selon laquelle les femmes musulmanes doivent être sauvées par quelqu'un d'extérieur. Chez Lallab, même si on travaille sur la question des femmes musulmanes, dont les voix manquent sur les plateformes d'expression, notre projet de société concerne toutes les femmes.» (*) Pseudo utilisé par l'auteure de l'article.