Fort de plus de 35 ans dʼexpérience dans le domaine de la traduction, l'universitaire Dr Mourad Alami, qui a passé de longues années en Allemagne, est rentré définitivement au Maroc en juillet 2008. Son cheval de bataille : redonner sa place et une force à la darija dans laquelle se trouve selon lui lʼidentité des Marocains. Dans cet entretien quʼil nous accorde, Dr Mourad Alami revient sur son plaidoyer pour une meilleure prise en compte de la darija au Maroc. Il pointe également la production dʼouvrages littéraires jugée insatisfaisante. Yabiladi.com : Comment voyez-vous la cohabitation de lʼarabe classique avec la darija au Maroc ? Dr Mourad Alami : Je ne vois pas de soucis dans lʼutilisation collective de lʼarabe classique et de la darija, et même dʼune autre langue à lʼinstar de lʼamazigh. Le brassage culturel a toujours été fort au Maroc. On retrouve dans le Royaume différentes cultures parmi lesquelles la culture andalouse, juive ou gnawa entre autres. On parle dès lors dʼune vive diversité culturelle. Par ailleurs, il existe un amalgame entre la langue du Coran et la langue Arabe. Il faudrait arriver à distinguer les deux. On pense que celui qui est contre la langue arabe est contre lʼIslam. Lʼarabe classique est un symbole dʼunité contre lʼoccupant français. Nous en avons hérité. Seulement, aujourdʼhui il faut se départir de cette langue et encourager une liberté dans lʼenseignement de la darija dans les écoles. - La richesse culturelle de la darija provient du fait quʼelle possède plusieurs accents et dérive vers plusieurs dialectes. Chacun sʼapproprie la langue selon sa géographie. Serait-il possible dès lors de parler tout simplement des darijas et non plus de la darija ? - Cʼest une expérience quʼon ne peut juger aussi facilment. Il faudrait tout simplement parvenir à rendre la darija plus profonde, à la rendre beaucoup plus riche. En plus dʼêtre orale, elle doit aussi devenir écrite, ce qui implique une systématisation et une standardisation de cette langue. En outre, pratiquement toutes les langues ont eu une influence extérieure. Par exemple dans la darija nous avons plusieurs termes qui proviennent de lʼArabe classique, du Français ou encore de lʼItalien. On pourrait dire quʼune langue se construit au fil du temps par les hommes. Nous gagnerions pleinement à combiner toutes ces différences qui se sont incrustées dans la darija pour en faire une langue unique commune à tous les Marocains. - Votre double culture germanique et marocaine vous a permis d'adapter plusieurs œuvres dont des contes en darija. Quel était votre but ? - Jʼai publié la traduction des «Elégies de Duino», du poète allemand Rainer Maria Rilke. Jʼai également adapté et publié en mai 2010 la pièce de théâtre «Nathan le sage» de G.E. Lessing, penseur, philosophe et théologien allemand en arabe marocain. Jʼai changé lʼintitulé et son titre est «Mhhebbet elhhekma kenz, eddiyanat ettlata». Pour cette pièce, je nʼai pas voulu lʼécrire avec des caractères latins. Par contre en 2009, jʼai publié des contes allemands, avec des caractères latins et de prononciation française destinés aussi bien au public marocain quʼà chaque étranger désireux dʼapprendre la darija. Ce qui mʼa intéressé dans lʼadaptation de contes européens, cʼest la transmission de la culture occidentale aux jeunes Marocains dʼici ou dʼailleurs, mais également, lʼenrichissement de leur culture générale. Il faut quʼune grande partie de la population profite de cette richesse culturelle que sont les contes et ouvrages et pas juste une élite minoritaire. Lʼobjectif essentiel en gros était de montrer aux Marocains dʼici la richesse du patrimoine culturel germanophone mais aussi de permettre aux jeunes Marocains dʼailleurs dʼacquérir un vocabulaire en relation avec leurs origines. Malheureusement, le problème qui se pose est quʼil nʼy a pas assez dʼouvrages traduits vers lʼarabe classique ou la darija. - Vous êtes rentré définitivement au Maroc. Arrivez-vous à vivre de la vente de vos ouvrages ? - Vous savez, mes ouvrages ont été soumis à un tirage très faible. Il faut aussi que je vous avoue que jʼai moi-même financé leurs parutions. Ce qui mʼimporte avant tout cʼest que les grands parents par exemple continuent de raconter des histoires à travers les livres à leurs petits-enfants. Mes contes sont destinés aussi à la jeunesse marocaine. Ils sont accessible dès 10 ans et peuvent être lu sans problème. Le point sur lequel je voudrais insister cʼest par rapport à la production intellectuelle au Maroc. Elle est beaucoup trop minime. Nous ne produisons pas plus de 1200 livres par an et nous avons tout juste 40 maisons dʼédition. Cʼest beaucoup trop peu. De surcroît, ce sont généralement de petites structures avec des problèmes. En Allemagne ce ne sont pas moins de 94 000 nouveaux titres qui paraissent chaque année et nous y retrouvons plus de 17 000 maisons dʼédition. La comparaison ne peut se faire. Cet entretien a été publiée au préalable dans Yabiladi Mag de décembre 2010 Mourad Alami, un passionné de la darija Le professeur Mourad Alami, passionné de langues et civilisations est un défenseur exalté de la darija. Il a à son actif la publication et lʼadaptation de divers ouvrages de littérature allemande et universelle en arabe marocain. En 2009, paraissait son recueil de contes internationaux en darija. Y figurent 29 histoires merveilleuses choisies parmi les plus connues, comme celles recueillies par les frères Grimm. Ses dernières publications sont une traduction en arabe marocain des poèmes « Elégies de Duino » de Rainer Maria Rilke et une adaptation de la pièce de théâtre « Nathan le sage » de G.E. Lessing à l'arabe. Avant sa passion pour la darija, Mourad Alami est traducteur d'arabe classique, de français et d'anglais vers l'allemand. Il a traduit plus dʼune quarantaine dʼouvrages, surtout économiques, juridiques et scientifiques.