Ni les diplomates, ni les hommes politiques, ni même les rois seraient à l'origine de la levée du nouveau blocage de Melilla, intervenue mercredi 18 août dans la journée, mais bel et bien les concernés eux mêmes. 4 heures de négociations directes valent mieux que deux semaines de déclarations verbales à distance pour faire baisser les tensions que beaucoup utilisaient déjà à des fins diverses et variées. Ce mercredi, 18 août, on aurait bel et bien pu s'attendre à une nouvelle montée des tensions à Melilla, et à fortiori, entre le Maroc et l'Espagne. Le nouveau blocage de l'approvisionnement annoncé par les associations marocaines à l'origine du blocus de la semaine dernière et surtout la campagne du Partido Popular (PP) espagnol contre la gestion «laxiste» de la crise du gouvernement de Zapatero ne laissaient rien présager de bon. Mais au contraire, le blocus se serait rapidement levé, certains disent qu'il n'a même pas été mis en place. Les manifestants ont laissé la place aux politiciens pour qu'ils règlent leurs différends, et à première vue, les provocations du PP ne semblent pas influencer outre-mesure la position du gouvernement espagnol. Plusieurs vagues d'attaques verbales à l'encontre du Maroc et des Marocains... Pour rappel, dès que des tensions sont apparues et surtout depuis «l'incident de la sardine», une partie de la presse espagnole et surtout le Partido Popular n'ont pas hésité à balancer des accusations spéculatives sur le gouvernement du Maroc et le comportement des Marocains autour de Melilla. D'abord, la version espagnole plutôt bancale et incohérente sur les incidents à la frontière de Beni Nsar n'a été mise en doute à aucun moment. D'agressé, l'étudiant marocain en question est devenu agresseur aux yeux de la presse espagnole. La victime : une policière espagnole. De là s'ensuivait la deuxième étape : un condamnation des agression soi-disant récurrentes d'hommes marocains envers les policières espagnoles, reprise par le PP de Melilla. Contre l'accusation de racisme, l'étendard de la misogynie des Marocains est levé. Après cela, et quand le blocus de Melilla montre la détermination des manifestants et surtout la vulnérabilité de l'enclave, deux responsables du blocus sont présentés comme des criminels. Interdits d'entrée en Espagne, ils ne peuvent qu'être coupables de quelques monstruosités... Mais dès le départ, ces amalgames et critiques suggestives étaient liées à un aspect qui prend le devant de la scène depuis quelques jours : le conflit de politique intérieure entre le PP et le gouvernement PSOE de Zapatero. Pour désigner Melilla, le Maroc utilisait la formule «ville occupée». Face à cela, le gouvernement espagnol n'a pas réagi pour ne pas créer de polémique. Le PP, lui, ne s'en est pas privé et s'est positionné comme défenseur de l'appartenance de Melilla à l'Espagne, pour ensuite critiquer la soi-disant faiblesse du gouvernement central. Si ce n'était au début que le représentant local à Melilla, depuis peu, les grosses pointures du PP ont saisi l'occasion de nuire à leurs adversaires politiques. Mardi 17 août, le vice-secrétaire à la communication du PP, Esteban González Pons, s'est rendu à Melilla pour demander une posture plus ferme du gouvernement de Zapatero. Deux jours plus tard, il considérait même que le Maroc «insultait» les femmes espagnoles par son devant les policières de Melilla. Un jour après, son collègue du PP, José María Aznar, ancien président du gouvernement espagnol (prédécesseur de Zapatero) s'est également rendu à Melilla – une ville qu'il n'avait pas visité durant ses 8 ans de mandat à la tête du gouvernement espagnol. Une manœuvre populiste mal dissimulée de celui qui avait donné l'ordre, en 2002, à l'armée espagnole de réoccuper l'ile Laila ou Perejil. Et après l'ancien chef du PP, le nouveau s'est également lancé dans le «débat». Son intervention, datée de ce jeudi, 19 août : c'est le Maroc «qui doit s'expliquer», l'Espagne «ne doit expliquer rien du tout». Voilà qui reste dans la même logique populiste, d'ailleurs fortement critiquée par le gouvernement qui tente depuis le début de faire baisser la tension et à garder un dialogue constructif avec les autorités marocaines. Selon José Blanco, ministre du développement, Aznar aurait fait preuve de «déloyauté» en se rendant à Melilla, voyage qui compromettait directement les efforts consentis à effacer la crise. ...se perdent devant les efforts consentis par les acteurs locaux Mais ces derniers semblent tout de même prendre le dessus. Une rencontre entre responsables marocains et espagnols des forces de sécurité a abouti mercredi à un communiqué conjoint qui mettait en avant la «qualité de la coopération» en matière sécuritaire entre les deux pays. L'objectif était aussi de préparer la visite du ministre de l'intérieur espagnol, Alfredo Pérez Rubalcaba, qui rencontrera lundi 23 août son homologue marocain à Rabat, où ils donneront une conférence de presse commune. Et contrairement aux déclarations de la semaine dernière, qui n'avaient que peu d'effet sur le terrain, cette semaine, les manifestants marocains aux abords de Melilla ont suivi la tendance. Le blocus a été levé, et il a été convenu qu'il n'y en aurait pas d'autres avant la fin du mois de ramadan. Un virement quelque peu inattendu, vu le peu d'effet que les déclarations même royales ont eu sur le terrain la semaine dernière. Il est difficile à savoir quel rôle en quoi les gouvernements respectifs ont pu influencer ce changement de cap de la part des manifestants. La seule chose certaine est que mercredi 18 dans la matinée, les responsables du blocage ont consenti à se réunir avec l'association des commerçants de Melilla, principaux touchés par le blocage des marchandises. Et les 4 heures de négociations directes ont abouti au résultat voulu. D'ailleurs, le président de l'association en question, Yussef Kaddour, ne s'est pas privé d'en faire la remarque. Plusieurs jours de gestion diplomatique du gouvernement espagnol et des responsables politiques à Melilla n'ont pas obtenu le même effet qu'une matinée des discussions entre les acteurs de terrain.