Après les détails donnés par le ministre de l'Intérieur sur la menace jihadiste pesant sur le Maroc, deux spécialistes de cette question relativisent le danger. Si les jihadistes marocains sont plus nombreux que jamais, les objectifs des mouvements auxquels ils appartiennent ne se situent pas au Maroc. Les jihadistes marocains en Syrie ne sont pas réellement une menace pour le Maroc, selon plusieurs spécialistes, pour une raison simple : le royaume n'est pas, loin s'en faut, leur priorité. Ils sont pourtant plus nombreux que jamais. "L'engagement sur le front syrien a déjà surpassé les mobilisations jihadistes précédentes pour l'Irak, la Tchétchénie, la Bosnie et même pour le premier jihad afghan contre les soviétiques", a écrit Romain Caillet doctorant associé à l'Institut français du proche orient et spécialiste du salafisme contemporain, dans son article "L'influence de la guerre en Syrie sur le courant jihadiste marocain". Ils sont, 3122 à être "affiliés à des organisations terroristes en Irak et en Syrie", selon Mohamed Hassad, ministre de l'Intérieur. Il ne sont donc pas au Maroc : "il n'y a pas de menaces directes pour le Maroc, parce qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle de mouvement jihadiste sur le sol marocain. Il y a des sympathisants, un mouvement très important et invisible parce qu'il n'a pas accès aux mosquées, mais aucun groupe armé n'existe aujourd'hui", insiste Romain Caillet que nous avons joint par téléphone. Aujourd'hui, les jihadistes marocains sont donc concentrés sur leurs actions en Syrie. Jusqu'en avril 2013, les nouveaux recrutés et les anciens d'Irak et d'Afghanistan ont d'abord rejoint la formation Jabhat an-Nusra, selon le chercheur. La plupart d'entre eux ont rejoint ensuite Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou Daiich lors de sa "fusion" avec an-Nusra. Abu Oussama Al Maghribi, célèbre combattant marocain de Jabhat an-Nusra, passé à l'EIIL, a été tué par des membres de son ancienne formation, le 15 mars dernier. C'est le Daiich qui se montre aujourd'hui la plus menaçante à l'égard du Maroc, mais les Marocains sont beaucoup plus nombreux au sein du mouvement Harakat Sham al-Islam (HSI) qu'ils composent en majorité. Harakat Sham al-Islam Après les annonces du ministre de l'Intérieur marocain faisant état "de menaces terroristes sérieuses sur le Maroc", les analyses de Romain Caillet et Mohamed Darif viennent tempérer les alarmes de Mohamed Hassad. "Je pense que le ministère de l'Intérieur a réagi à la médiatisation de la création du califat islamique, mais Harakat Sham al-Islam, qui compte le plus de Marocains, n'est pas allié au Daiich. Au Maroc, parmi les sympathisants de ce mouvement, ceux qui devaient partir sont partis, je pense. Aujourd'hui, ils recherchent plutôt une forme légale pour exister", explique Romain Caillet. "Les sympathisants de l'EIIL sont, eux, incités à partir combattre en Syrie, plutôt qu'à mener des opérations au Maroc", conclut -il. "Ces organisations ne peuvent pas faire la guerre contre tout le monde. Elles ont des priorités et n'ont pas assez de moyens pour élargir le champs des combats vers le Maroc", complète Mohamed Darif, politologue marocain et spécialiste des mouvements islamistes. "Depuis 2003, et la chute de Sadam Hussein, Al Qaïda a surtout mobilisé le Maghreb dans une dynamique de recrutement pour fournir des combattants jihadistes au conflit irakien. C'est aussi le cas avec la Syrie", estime Mohamed Darif. En plus de l'élévation du niveau d'alerte par le ministère de l'Intérieur, des vidéos ont été postées et des menaces proférées par les jihadistes marocains du Daiich contre plusieurs personnalités marocaines. Pas de quoi s'alarmer pour Mohamed Darif : "ce n'est pas la première fois. A chaque fois qu'un Marocain rejoint une organisation jihadiste, il menace le Maroc dans des vidéos. C'était déjà le cas, il y a 3 ou 4 ans, avec Aqmi et pourtant rien ne s'est concrétisé." Détourner les jihadistes marocains du Mali Si la menaces d'attentats jihadistes au Maroc est faible selon les deux analystes, les évènements qui se déroulent en Syrie ne sont pas sans effet sur la mouvance marocaine en sympathie avec le jihad, qui existe bel et bien sur le sol chérifien. Les leaders des mouvements salafistes ont dû prendre position face au départ de jeunes Marocains vers la Syrie. Omar Haddouchi a choisi de condamner ces départs qui n'ont rien, selon lui, d'obligatoire selon l'Islam. Suite aux combats opposant l'EIIL et Jabhat an-Nusra, Hassan al-Kettani a pris parti pour le second en rejetant l'EIIL. Enfin, Um Adam el Mejjati soutient au contraire l'EIIL. La mouvance idéologique à laquelle ils appartiennent tous fait le lit des cellules de recrutement pour le jihad. "Bien que les services marocains répriment désormais [ces cellules, ndlr], on ne peut écarter l'hypothèse d'une relative bienveillance auparavant afin de détourner les jihadistes marocains les plus motivés du front malien, représentant pour les autorités marocaines un enjeu plus proche que la lointaine Syrie", écrit Romain Caillet. "Aggrave la question des salafistes jihadistes" A ceci près que ceux qui partent combattre reviennent un jour forts de leur expérience en Syrie. "Mais alors que beaucoup d'entre eux reviennent sains et saufs du champ de bataille, les autorités les jettent en prison, souvent dès qu'ils arrivent à l'aéroport, de peur que ces jihadistes aguerris puissent former un groupe de base pour mener une action armée au Maroc lui-même. La plupart des rapatriés reçoivent une peine de prison de quatre ans sur la base d'une interprétation large de la loi sur la lutte contre le terrorisme", écrit Mohammed Masbah, conseiller pour l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité. Le nombre de jihadistes marocains que le pays aura à gérer à terme augmente donc. En agissant ainsi, les autorités marocaines non seulement "aggravent la question des détenus salafistes jihadistes, mais créent un cercle vicieux : ceux qui reviennent du jihad sont jetés en prison et ceux qui sortent de prison sont autorisé à aller combattre ", analyse Mohammed Masbah. "Je n'envisage pas de retour massif de jihadistes à cours ou moyen terme", temporise Romain Caillet.