La plupart des ministres du gouvernement Benkirane ont leur plan stratégique. Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture veut lui aussi se joindre à la fête et avoir son quart d'heure de gloire. Il vient ainsi d'évoquer la stratégie 2020 de son département. Seul contre tous. Peut-on avoir une stratégie quand on est ministre de la Culture au Maroc ? Mohamed Sbihi veut faire comme ses collègues de l'Industrie, de l'Agriculture, ou du Tourisme. La culture aussi aura son plan stratégique à l'horizon 2020, vient d'annoncer fièrement le ministre dans une interview au journal L'Economiste. Mais avant de décliner les multiples aspects de sa stratégie, Mohamed Sbihi tient à faire un état des lieux pour pointer les faiblesses du secteur de la culture. Un bilan qui peut se résumer par : "c'est la faute des autres !" Si les biennales d'art ne rencontrent pas le succès espéré, c'est la faute des villes qui n'y mettent pas les moyens. La rareté des bibliothèques dans les écoles publiques, de la responsabilité du ministère de l'Education. Les quantités misérables de vente de livres au Maroc, de la faute des sociétés de distribution qui ponctionneraient 50% du prix pour leurs bénéfices. Enfin, si le Salon international de l'édition et du livre (SIEL) de Casablanca n'a pas rencontré son public, c'est de la faute du ministre de la Communication qui n'a pas assuré la médiatisation qui lui sied. S-tragédie ? Ce flot de reproches semble ahurissant pour un ministère qui a fait preuve d'une remarquable discrétion ces dernières années. Sans rejeter la part de responsabilité des autres acteurs (gouvernement ou pouvoirs publics), il est tout de même assez malvenu de masquer les lacunes des organisateurs du SIEL en attribuant au ministère de la Communication le rôle d'agence RP. De même, les villes marocaines ont d'autres reproches bien plus urgents à gérer que celui du financement trop faible pour les biennales d'art. Enfin, la solution miracle proposée par le ministre, d'une société nationale de distribution pour les livres pour diminuer le coût de distribution prête à sourire. L'efficacité, l'organisation, et la réduction des coûts exigées pour une telle entreprise, ne sont pas les premières qualités qui nous viennent à l'esprit quand on évoque le ministère de la Culture. Mais Mohamed Amine Sbihi est là pour nous donner tort. Au-delà des reproches qui ont pris la moitié de l'interview, il a réservé une réponse très courte pour présenter sa stratégie 2020. Ouf ! On y croyait plus. Comme pour l'aménagement urbain qui a le fonds Wessal Capital, le ministère a lui aussi mis en place un fonds pour financer les réformes dans les secteurs clés : les arts plastiques et visuels, le théâtre et l'art de rue, le livre et l'édition, ainsi que la musique et l'art chorégraphique. La vision 2020 de la culture bénéficiera, tenez-vous bien, d'une enveloppe de 40 millions de dirhams. Si ce montant peut vous paraître abstrait, il suffit de le comparer au budget de l'édition 2012 du SIEL de Casablanca qui était de 10 millions de dirhams. Les acteurs du monde de la culture qui attendent depuis longtemps une stratégie digne de ce nom apprécieront ! Les fondations d'une stratégie Cependant, il serait malhonnête de notre part de ne relever que cette partie de la stratégie du ministre. Il a ajouté que les fondations auront également un rôle important à jouer pour soutenir le secteur. Il fait sans doute allusion à l'expérience récente de la Fondation des musées dirigée par Mehdi Qotbi suite à une nomination royale le 19 décembre 2013. Quatorze musées sous la responsabilité du ministère de la Culture sont ainsi passés sous contrôle de cette fondation. Pour 2020, il suffira donc de créer une fondation du livre et de l'édition, dirigée par Tahar Benjelloun, une fondation du cinéma avec à sa tête Noureddine Saïl et enfin une fondation de la musique chapeautée par Don Bigg. Mohamed Sbihi n'aura ainsi plus rien à faire et pourra assister aux biennales (comme celle de Dakar) et aux festivals (du rire puisqu'il a sans doute beaucoup d'humour) à travers le monde. Finalement, la stratégie 2020 du ministre de la Culture a elle aussi quelques touches de couleur azur.