Démocratiser la culture, engager de grands chantiers à caractère culturel concernant tous les domaines, de la musique à la lecture en passant par les arts plastiques, le théâtre, le patrimoine ou encore le savoir scientifique et technique, achever les projets déjà lancés par ses prédécesseurs... de nombreux sujets attendent d'être traités par le nouveau ministre de la Culture, Mohamed Amine Sbihi. Mais avant de s'atteler à ces projets épineux, le nouveau responsable devrait faire oublier aux artistes, écrivains et intellectuels les récents bras de fer entre le ministère et les différents acteurs de la scène culturelle nationale. Bref, le secteur traîne de plus en plus de chantiers qui se transforment en boulets, retardant ainsi son développement. Tour d'horizon. Musique : L'aide qui divise C'est en 2008, que le Conseil du gouvernement avait adopté une loi pour venir en aide au secteur musical. La ministre de la Culture de l'époque, Touria Jabrane, avait expliqué qu'un comité serait mis en place pour étudier les demandes et qu'une quinzaine de projets devraient bénéficier chaque année de cette aide, dans une limite maximale de 300.000 DH par projet. L'initiative avait été saluée à l'unanimité par les professionnels. Quatre ans plus tard, le projet se concrétise. La commission présidée par Abdelhak Afendi (directeur central au ministère de la Culture à l'époque de Himmich) et composée de professionnels, notamment Nouâmane Lahlou, a dévoilé les noms des premiers bénéficiaires de cette aide. Huit projets, donc, qui répondent aux critères de sélection adoptés par le comité. Le choix de cette commission a été largement contesté par les artistes qui fustigeaient même un manque de neutralité, puisque la commission est «dépendante du ministère de tutelle». Mais au-delà de cette polémique, «stérile» selon les membres de la commission, plusieurs se posent aujourd'hui la question quant à la capacité de cette commission de contribuer réellement au développement du secteur de la musique au Maroc. En effet, le département de la culture a toujours peiné à mettre en place une véritable industrie de la musique. «L'industrie musicale n'existe pas au Maroc. Nous n'avons pas de producteurs ni de managers qui travaillent dans l'intérêt de la carrière des artistes. Bref, nous n'avons aucune structure claire et solide. On reproche souvent aux artistes de chanter dans les cabarets et on oublie que nous n'avons pas d'autres plateformes pour qu'ils puissent subsister. Produire un album de nos jours est vraiment suicidaire», nous avait confié le compositeur Nabil El Khalidi. Il faut dire que produire un album au Maroc est un véritable calvaire. L'absence de producteurs ou de managers, oblige nos artistes à s'auto-produire ou, pire, à s'envoler vers d'autres cieux, là où le secteur musical est bien structuré. Le piratage demeure également parmi ces fléaux qui freinent la mise en place d'une industrie musicale dans notre pays. Ceci sans oublier la formation qui reste l'un des maillons faibles du secteur. Tant de problèmes qui expliquent l'état de léthargie de la chanson marocaine arabe, amazighe ou hassanie. Seuls les artistes de la nouvelle vague (rap, hip hop...) arrivent à subsister à cette situation mortifère. Ces derniers ont décidé, en effet, de mettre leurs tubes sur le Net. Une solution pour créer le buzz en attendant des actions concrètes du ministère de tutelle. Le théâtre, le mal-aimé Au titre de l'année 2011/2012, ce sont 14 pièces qui ont reçu l'aide à la production théâtrale du ministère de la Culture. Cette initiative lancée il y a quelques années déjà, est-elle suffisante pour redorer le blason d'un secteur agonisant ? Rappelez-vous, bon nombre d'artistes avaient critiqué cette stratégie, «inefficace» selon eux. Il faut dire que nos artistes n'avaient pas tort. Malgré la mise en place d'un soutien financier, le théâtre au Maroc n'a pas encore réussi à (re) trouver sa place. «Au-delà du problème financier, le théâtre dans notre pays souffre de plusieurs problèmes notamment l'absence de salles où l'on peut se produire», nous explique le metteur en scène Mohamed Zouhair. Ainsi, et contrairement aux pays européens, où une troupe peut entamer une tournée de plusieurs mois, les troupes locales se contentent d'animer quelques spectacles occasionnellement. Même celles dites «commerciales» n'arrivent plus à résister. À cette situation chaotique, s'ajoute le conflit entre le ministre sortant de la Culture et les hommes de théâtre. Ces derniers avaient même boycotté le festival de théâtre de Meknès en 2011 mis en place par le ministère. Mieux, ils ont mis en place en juillet dernier un festival à Casablanca (organisé en partenariat avec plusieurs organismes hormis le ministère de la Culture) afin de marquer leurs positions. Une situation compliquée dont l'écheveau doit être démêlé sans erreur ! Le livre, le grand absent À presque un mois de la 18e édition du Salon international de l'édition et du livre (SIEL) de Casablanca prévue du 10 au 19 février, les préparatifs vont bon train pour accueillir cette grande manifestation culturelle. Le prix du Maroc du livre a été lancé et l'on sait déjà que l'Arabie Saoudite sera l'invité d'honneur de cette édition. Toutefois, ce qui suscite la curiosité des observateurs est ailleurs. En effet, tout le monde se demande comment cette édition va se dérouler après celle de l'année dernière marquée par des événements inédits. D'ailleurs le scénario de ces événements est digne des plus grands films hollywoodiens ! À quelques distances du jour J, les plus importantes organisations culturelles du pays notamment l'Union des écrivains du Maroc, la Maison de la poésie ainsi que la Coalition marocaine de la culture et des arts ont décidé de boycotter le Salon, protestant contre la politique menée par Himmich. Des intellectuels ont décidé, eux aussi, de ne pas prendre part à cet événement. Le Prix Goncourt de la poésie, Abdellatif Laâbi avait même demandé lors de ce Salon à l'ancien ministre de démissionner... Tant de frictions qui ont fait de l'édition 2011 du SIEL, un événement insipide malgré la présence d'un grand penseur comme Edgar Morin. Mais au-delà du SIEL, la lecture et le livre sont les parents pauvres de la culture dans notre pays. Fini le temps où les Marocains,notamment les élèves et les étudiants couraient d'une librairie à une autre pour se procurer des livres. Les libraires chôment, les bouquinistes agonisent, les éditeurs sont en voie de disparition et les bibliothèques sont une denrée rare ! Seul le livre scolaire fait des bénéfices. Les différentes études réalisées par le ministère de tutelle ou par d'autres organismes tirant la sonnette d'alarme sont restées lettre morte. Comment réconcilier les Marocains avec la lecture ? Telle est la question qui se pose aujourd'hui... Le patrimoine à valoriser Nous sommes le 27 mai 2011. L'institution «Archives du Maroc » vient d'être inaugurée. Ayant pour mission de «sauvegarder le patrimoine archivistique national, d'assurer la constitution, la conservation, l'organisation et la communication des archives à des fins administratives, scientifiques, sociales et culturelles», ce nouvel établissement vient donc combler un vide en matière de sauvegarde des archives. Un mois après, le ministère du Tourisme, en partenariat avec celui de la Culture décide de lancer un programme visant à revaloriser les ksours et Kasbahs du sud du Maroc. Un autre projet aussi ambitieux, attend à ce qu'on le concrétise. Il s'agit de l'aménagement de base sur le site de Volubilis. Les projets de restauration des musées qui fonctionnent sous l'égide du ministère de la Culture demeurent aussi en suspend. Toutefois, le problème réside ailleurs. En effet, bon nombre de joyaux architecturaux sont aujourd'hui laissés à l'abandon. Pourtant, nombreux sont ceux qui sont classés «patrimoine national». À Casablanca, Fès, Tanger ou encore Rabat, on autorise toujours la démolition de demeures magnifiques, qui ont, jadis, fait la fierté de leurs villes, sans que le ministère ne pipe mot. Le grand théâtre Cervantès à Tanger en est l'exemple. Construit au début du siècle dernier, cette bâtisse est aujourd'hui en ruine. On l'avait bien compris, le classement au classement national n'a jamais été une solution ! Arts plastiques : Le sursaut d'orgueil S'il y a un secteur culturel qui s'avère en bonne forme, c'est bien celui des arts plastiques ! Grâce aux galeries et aux foires des arts contemporains lancées ces dernières années par des particuliers sans aucun soutien financier du ministère de tutelle, nos artistes arrivent à exprimer leurs talents. Il faut dire que le secteur a été sauvé par le privé qui s'est engagé à donner un coup de main aux artistes marocains. Des fondations comme l'ONA, la BMCI ou encore la banque SGMB organisent d'une manière régulière des expositions pour le grand bonheur de nos artistes, désormais connus par le grand public. Ceci dit, le ministère organise, lui aussi, des expositions souvent à Bab Rouah ou à Bab Lkbir d'artistes marocains ou étrangers. Une initiative suffisante pour développer le secteur ? À méditer. Festivals: la situation des artistes ... Savez-vous que les plus grands festivals au Maroc sont organisés sans le partenariat du ministère de la Culture? Ce département qui devrait normalement chapeauter les événements culturels et artistiques du pays est souvent «hors jeu». Une meilleure implication dans la mise en place de ces manifestations, l'organisation d'autres événements susceptibles de promouvoir la diversité culturelle de notre pays ne peuvent qu'être de bon augure pour la culture. Certes, avec un budget dérisoire qui ne représente que 1% du budget global du gouvernement, le ministère de la Culture semble bloqué. Toutefois, il ne faut point oublier que les attentes sont immenses. Les artistes, par exemple, souhaitent consolider les acquis et surtout pouvoir compter sur leur ministère. Des images où l'on voit des grands artistes malades, sans aucune couverture médicale, livrés à eux-mêmes choquent plus d'un. En un mot, le ministre de la Culture aura du pain sur la planche. À suivre !