L'affaire des 16 migrants morts noyés dans une tentative d'entrée à la nage à Ceuta a créé une grosse polémique de l'autre côté de la Méditerranée. Le ministre de l'Intérieur espagnol est même appelé à se prononcer aujourd'hui au Congrès pour expliquer les agissements de la Guardia civil qui a utilisé des balles en caoutchouc contre les migrants. L'affaire prend encore d'autres proportions puisque l'Espagne a encore rapatrié des migrants vers le Maroc estimant que ces expulsions sont légales. Les ONG et les associations de défense des migrants fustigent les décisions des autorités ibères qui ne respectent pas les dispositions d'un accord signé en 1992 avec le Maroc. L'Espagne est actuellement secouée par la mort de 16 migrants, noyés lors d'une tentative pour rejoindre l'enclave de Ceuta effectuée la semaine dernière. Hier, le chef de la Guardia civil, sous pression depuis les révélations faisant étant de l'utilisation de balles blanches contre les migrants, est même allée jusqu'à menacer tous ceux qui ont «vilipendé, calomnié ou fait des fausses allégations» concernant l'agissement des forces de sécurité sur les migrants. Si cette situation est devenue embarrassante pour la Guardia civil, cette dernière est aussi accusée d'avoir illégalement expulsé des Subsahariens vers le Maroc. Un état de fait qu'elle ne nie d'ailleurs pas mais qu'elle justifie en se basant sur un accord bilatéral en matière de migration, signé en 1992, entre l'Espagne et le Maroc. Les forces de sécurités ibériques sont décidemment prêtes à tout pour assurer leurs arrières face à cette situation devenue très délicate. Cependant les justifications restent très approximatives. Certes l'accord a été signé en 1992 par le ministre marocain de l'Intérieur de l'époque, Driss Basri, et son homologue espagnol, José Luis Corcuera, et a été publié au Bulletin officiel le 25 avril avant de n'être ratifié que tout récemment, le 13 décembre 2012. Mais cet accord ne signifie pas que les expulsions sont, de facto, légales. Et pour cause, les critères définis dans l'accord ne sont jamais respectés. Un constat qui frustre au plus haut point les ONG et les associations de défense des migrants. Demande, identité, examen des migrants…l'Espagne bafoue toutes procédures Selon ElConfidential, l'accord exige que les expulsions soient effectuées après une «demande de réintégration» avec toutes les «données disponibles sur l'identité» des immigrants. Cependant, il est clair qu'aucune donnée fiable n'est obtenue des migrants étant donné qu'ils ne disposent même pas de papier d'identité. En plus de ce premier constat, la Garde civile doit «veiller à ce que la communication soit établie entre les fonctionnaires de police des deux côtés de la frontière pour effectuer le transfert des migrants». Selon la même source, il s'agit du côté formel pour procéder aux expulsions. A ces manquements fréquents, s'ajoute l'absence de déclaration des migrants qui doit être enregistrée par les forces de sécurité espagnoles. Ce manque de transparence et ce non-respect des conditions de l'accord font que les expulsions sont illégales. Ce que ne manquent pas de siganler les associations de défense des migrants. Pour Stéphane Julinet du Groupe antiraciste de défense des migrants (GADEM), contacté par la rédaction, «on ne peut pas expulser de cette manière les migrants». Toujours selon Julinet, «il faut respecter les procédures administratives, procéder à l'examen de chaque migrant, assurer sa protection et avoir son avis avant de passer aux expulsions», vers le Maroc. «Ce ne sont pas les forces de police qui détiennent la clé des frontières», fustige-t-il. Deux poids deux mesures de l'Espagne De son côté, Mehdi Alioua, enseignant-chercheur en migration à l'Université internationale de Rabat abonde dans le même sens. Selon lui, l'expulsion des migrants «est totalement illégale et en contradiction avec un grand nombre de textes marocain, espagnol ou internationaux». «Si l'Espagne veut expulser des personnes elle doit respecter des procédures - longues et coûteuses - et le Maroc doit en être informé par voie officielle», précise-t-il. Et de rappeler que les migrants ont le droit de faire appel et même de refuser d'être expulsés dans un pays qui n'est pas le leur s'ils estiment que leur vie ou leur intégrité physique peuvent être mises en danger. Le chercheur ne comprend pas la politique de deux poids deux mesures de l'Espagne sur la question migratoire. Par exemple, poursuit-t-il, «le Maroc reçoit tous les jours des marocains expulsés d'Europe - Espagne comprise - mais cela se passe en respectant les procédures..., mais là, ils - les membres de la Guardia civil - entrent sur le sol marocain et jettent des personnes comme des poulets, c'est honteux!». La Guardia civil entre le marteau de l'accord de 1992 et l'enclume des ONG Devant cette confusion, c'est la Guardia civil qui ne sait plus à quel saint se vouer. Alors que le Conseil de l'Europe a approuvé en 1995 une série de recommandations pour corriger les vides possibles au sujet des expulsions de migrants, l'application de ces mesures fait défaut. Le Conseil demandait notamment aux pays ''expulseurs'' «un acte de mise à la frontière / réadmission par une procédure accélérée», une «demande de réadmission / dévolution dans un passage» ou «un acte de mise à la frontière / réadmission». Mais ces recommandations n'ont jamais été mises en application par l'Espagne. Aujourd'hui, la Guardia semble dépassée et exige qu'un protocole soit approuvé dès que possible pour que les agents sachent comment ils vont agir en cas «d'expulsions à chaud». «Cela fait déjà plusieurs mois que nous sollicitons la Direction générale de la Garde civile pour qu'elle éclaircisse la manière dont nous devons procéder, mais nous n'avons reçu aucune réponse», dénonce un porte-parole de l'Association Unifiée de la Garde Civile (AUGC). «Cela génère une incertitude pour les gardes civils, qui ne savent pas ce qu'ils ont à faire quand un cas de ce type se présente», souligne-t-il. C'est quasiment la même remarque du côté de l'Association Pro Guardia Civil (APROGC). Si cette dernière juge légales les expulsions, estimant «qu'il ne suffit pas d'entrer sur le territoire espagnol pour y rester», elle demande toutefois à ce que le ministère de l'Intérieur clarifie les procédures pour améliorer la sécurité juridique des migrants et des agents.