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Le partenariat de mobilité entre le Maroc, l'UE et ses Etats membres, ou la politique de la carotte au bout du bâton : III- Raisons du refus de la signature de l'accord de réadmission par le Maroc
Publié dans L'opinion le 22 - 07 - 2014

Dernièrement, s'est tenu à l'INSEA à Rabat, un colloque international organisé par l'Association des Migrations Internationales (AMI) sur le thème : « l'avenir des migrations méditerranéennes : au-delà des crises ».
Due au professeur Abdelkrim Belguendouz, chercheur spécialisé en migration, la présente contribution actualisée au 15 juillet 2014, s'est inscrite dans ce cadre. Quatre parties principales y sont développées. La première a pour thème : les éléments essentiels du Partenariat pour la Mobilité, la deuxième a été consacrée à l'interpellation du Maroc par l'Union européenne concernant la réadmission. Celle qui fait l'objet de la présente édition de « L'Opinion » traite des raisons du refus de la signature de l'accord de réadmission par le Maroc. Enfin, la quatrième et dernière partie aura pour titre : « la carotte et la bâton ».
Le projet d'accord euro-marocain soumis officiellement en septembre 2000 n'a toujours pas abouti à ce jour (15 juillet 2014), après trois rounds de négociations informelles (jusqu'en 2003), quinze rounds de négociations formelles (dont 3 en 2007 et le dernier en date le 10 mai 2010 à Bruxelles) et quatre réunions techniques sur le flagrant délit et ce, en dépit d'innombrables pressions, allant de « l'encouragement » à la signature de cet accord, à un conditionnement et chantage de plus en plus nets. Prenons quelques exemples parmi des dizaines qui peuvent être cités dans cette perspective.
C'est ainsi que dans sa déclaration à l'occasion du 5ème Conseil d'association UE Maroc tenu le 23 novembre 2005, l'UE note que : « le projet d'accord sur la réadmission a déjà l'objet de huit cycles de négociations. Elle invite le Maroc à poursuivre les progrès en vue de conclure un accord de réadmission avant la fin de cette année ».
Trois années plus tard, lors du 7ème Conseil d'association UE-Maroc tenu à Luxembourg le 13 octobre 2008, on observe la formulation d'un chantage certain dans la Déclaration de l'UE sur le statut avancé accordé au Maroc. Dans le point 26 de ce document, il est mentionné que l'approfondissement du dialogue bilatéral pour la concrétisation de ce statut avancé, est conditionné par la nécessaire signature par le Maroc de l'accord de réadmission avec l'UE. En clair, tant que l'accord de réadmission n'est pas signé, il ne peut y'avoir de possibilité de développement de la coopération.
En termes moins diplomatiques encore et prenant une attitude de maître à élève, le précédent ambassadeur de l'UE à Rabat, Eneko Landaburu, s'était habitué à exercer le forcing sur le Maroc et à lui fixer de manière péremptoire des échéances :
- C'est ainsi que dans une longue interview accordée au journal Akhbar Al Youm du 22 mars 2010, il déclarait notamment : « Pas de partenariat avancé avec le Maroc sans la reprise des immigrés clandestins ayant transité par le Maroc ». Pour l'ambassadeur de l'UE, cette exigence devait se concrétiser courant 2010...
- Fin février 2011, dans une conférence de presse tenue à Casablanca, le même ambassadeur déclarait de manière catégorique : « Il n'y aura pas d'avancées sur la facilitation d'octroi des visas sans qu'au préalable, un accord soit trouvé et signé sur la réadmission » (La Nouvelle Tribune, Casablanca, n°733 du 3 mars 2011).
Si un pays plus puissant que le Maroc, à savoir la Russie a cédé en signant dés le 1er juin 2007 l'accord de réadmission avec l'UE, comment se fait-il que Rabat n'ait pas cédé jusqu'à maintenant à cette pression, a ce forcing et chantage incessant ? Dix raisons au moins pourraient, à notre sens, justifier un « niet » catégorique, venu réellement non pas des divers gouvernements qui se sont succédés depuis 2000, mais selon toute vraisemblance du sommet de l'Etat.
3.1- L'intérêt unilatéral de l'UE d'abord
Précisons d'ores et déjà que du côté de l'UE, il suffit de lire les conclusions du Conseil de l'Union européenne dans son «plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains dans l'Union européenne» du 27 février 2002, pour comprendre qu'en matière de négociation des accords de réadmission, on est loin de la présence de véritables partenaires à égalité de forces et de moyens : « ( ... ) Avant de négocier tout accord de réadmission, il convient de prendre en considération l'intérêt de l'Union européenne et de ses Etats membres ».
De même, c'est la Commission des Communautés européennes qui reconnaissait deux mois plus tard, le 10 avril 2002 dans le « livre vert relatif à une politique communautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier», que : «les accords de réadmission sont dans le seul intérêt de la communauté».
Du coté marocain maintenant, surtout à la Direction de l'Union européenne au ministère marocain des Affaires étrangères, le mutisme est de rigueur, la société civile marocaine en particulier, n'ayant jamais été par ailleurs impliquée même indirectement aux pourparlers. Des bribes d'information qui ont circulé ces dernières années sur l'évolution de cette thématique très confidentielle des négociations euro-marocaines sur la réadmission et des éléments de débat qui s'est instauré occasionnellement ici ou là, on peut avancer les principales observations et critiques suivantes.
3.2- La question de la preuve
Le projet d'accord de réadmission UE- Maroc souffre, à notre sens, de nombreuses lacunes en matière de droits humains. Ce qui pose problème, c'est d'abord la question du flagrant délit et la charge de la preuve, en dépit du fait qu'ils aient donné lieu à quatre réunions techniques.
Pour ce qui est de la « présomption de preuves » de ressortissants de pays-tiers censés avoir transité par le Maroc vers l'Europe, cette présomption ou début de preuve est suffisante pour les Etas membres pour exiger l'extradition. Par contre, elle pose un problème au Maroc, puisqu'il doit, à chaque fois, produire sans tarder les documents nécessaires.
Par ailleurs, pourquoi faire assumer au Maroc la responsabilité de rapatrier un ressortissant d'un pays tiers qui a passé 5 à 6 frontières africaines ou asiatiques avant d'arriver au Maroc ? S'agissant des pays africains, et en se situant dans la logique européenne que nous récusons, l'article 13 de l'Accord de Cotonou, signé le 23 juin 2000 par les pays ACP et l'UE (et entré en vigueur le 1er avril 2003), n'impose t-il pas aux pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) la responsabilité de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière en Europe ? Cet article « fatidique » 13 met en effet en avant un principe général de réadmission par les Etats ACP parties à l'accord de leurs ressortissants en situation illégale et prévoit la négociation d'accords de réadmission applicables également (comme pour le Maroc dans le projet d'accord de réadmission avec l'UE) aux ressortissants de pays-tiers.
Dans l'alinéa C du paragraphe 5 de l'article 13, il est stipulé notamment que : « chacun des Etats accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne à la demande de ce dernier et sans autre formalités (...). Les Etats ACP fourniront à leurs ressortissants des documents d'identité appropriés à cet effet ».
Plus loin, il est précisé que : « À la demande d'une partie, des négociations sont initiées avec les Etats ACP en vue de conclure de bonne foie et en accord avec les principes correspondants du droit international, des accords bilatéraux régissant les obligations spécifiques de réadmission et de retour de leurs ressortissants. Ces accords prévoient également, si l'une des parties l'estime nécessaire, des dispositions pour la réadmission de ressortissants de pays-tiers et d'apatrides. Ces accords précisent les catégories de personnes visées par ces dispositions ainsi que les modalités de leur réadmission et retour ».
Par conséquent, cette politique européenne en matière de migrants en situation irrégulière, en partant de la perception de l'UE elle même que nous ne partageons nullement, n'est-elle pas à mener en direction des principaux pays d'origine, plutôt que de transit!?
3.3- Double langage de l'UE
Sur le même plan, on notera le double langage ou l'absence de cohérence de l'UE. D'une part, celle-ci exige du Maroc de jouer le rôle de gendarme, d'autre part comme l'avait fait son ex-ambassadeur à Rabat en octobre 2012, elle avait qualifié le traitement des Subsahariens par le Maroc de « problématique ».
Il ne s'agit pas, bien entendu, surtout pour la période avant le déclenchement de la nouvelle politique migratoire du Maroc, de fermer les yeux sur la répression qui s'était abattue sur les Subsahariens, les rafles policières, les expulsions et les violences commises contre eux par les forces marocaines de sécurité en particulier, dénoncés par de multiples témoignages et rapports, dont celui de Médecins Sans Frontières (2013) et des rapports alternatifs d'ONG marocaines au comité onusien de suivi de la Convention internationale pour la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (voir notamment le rapport coordonné par le GADEM en été 2013).
Mais l'UE a également une lourde responsabilité. Elle a fait le plus souvent au Maroc la leçon en termes humanitaires, en disant que le Maroc doit garder les Subsahariens alors que le souhait, la volonté de ces derniers a été et reste toujours celle de rejoindre l'Europe, qui se ferme au contraire sur les ressortissants de la rive sud et n'adhère pas à leur libre choix.
3.4- Absence de recours
Par ailleurs, et de notre point de vue, la place du juge est totalement absente, le projet d'accord communautaire de réadmission n'ayant prévu aucune garantie juridictionnelle, en permettant notamment les recours.
Dans ce cadre, on relèvera l'avis émis le 13 octobre 2010 par le Centre Européen de Coopération Juridique (Cdcj) relevant du Conseil de l'Europe qui réaffirme, à propos des accords de réadmission, « la nécessité de garantir aux migrants en situation irrégulière un accès à la justice et notamment dans le cadre de leur processus de retour vers leur pays d'origine. En effet, le respect de la protection des droits de l'Homme doit être assuré dans ce cadre, que cela concerne une réadmission ou un retour volontaire. Par ailleurs, ces solutions de retour ne doivent pas remettre en cause le droit de demander asile ou protection ». (Cdcj) (2010) 26 final).
3.5- Remise en cause de droits acquis
Sur un autre plan, une personne qui avait auparavant un statut légal, peut se retrouver dans «l'illégalité », si entre temps, la politique du pays concerné en matière d'immigration change dans un sens restrictif, ce qui est le cas actuellement de nombreux pays européens, en particulier en Italie, en France, en Espagne...
Le comportement des services chargés de l'immigration est important également à relever. C'est ainsi que sous le titre « les dix commandements pour les immigrés en Espagne », le site d'information espagnol Paraimmigrantes. Info a publié le 6 mai 2014 une liste d'erreurs à ne pas commettre pour l'immigré résidant en Espagne, afin de ne pas perdre sa carte de séjour. En tout, le site répertorie dix pièges à éviter afin de ne pas tomber du jour au lendemain du statut de résidant légal à celui d'immigrant illégal. Les voici :
1- Le renouvèlement hors délai.
2- Avoir des problèmes avec la justice ou avec la police.
3- Etre au chômage.
4- Travailler au noir.
5- Passer plus de 6 mois par an en dehors du territoire espagnol.
6- Ne pas chercher « actuellement » un travail.
7- Ne pas payer les taxes.
8- Ne pas être au beau fixe avec la sécurité sociale.
9- Présenter de faux documents pour demander la carte résidence.
10- Revenir sur le territoire espagnol après l'expiration de la carte de séjour.
C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'à la 96ème session plénière des 18 et 19 juillet 2012, le Comité des Régions relevant de l'UE, réagissait par rapport à la communication de la Commission européenne sur la migration et la mobilité: une approche globale. Le Comité « est d'avis qu'il convient d'éviter que des étrangers en séjour régulier, puissent devenir illégaux en raison du manque de souplesse de la réglementation nationale et qu'ils aillent aussi grossir les rangs des personnes dépassant la durée de séjour autorisée ».
Précisons en effet que les accords communautaires de réadmission, qui posent des obligations réciproques pour les Etats membres et le pays partenaire, ne définissent pas les conditions de la régularité de la présence d'une personne dans l'UE ou dans un pays partenaire, cette question relevant des autorités nationales, en référence à la loi nationale ou européenne.
De plus, même si la Commission européenne est responsable de la négociation des accords de réadmission, elle n'est pas impliquée dans les opérations au jour le jour. Le retour/renvoi physique d'une personne repose entièrement sur les autorités compétentes des Etats membres de l'UE et du pays partenaire, en l'occurrence ici le Maroc.
3.6- Prédominance du sécuritaire
Par ailleurs, les soubassements du projet d'accord de réadmission sont dominés par des enjeux sécuritaires, au détriment des questions de développement, des aspects humanitaires et de la dimension des droits humains.
Ainsi, lors du sixième round de négociation formelle entre l'UE et le Maroc, qui s'est déroulé les 17 et 18 janvier 2005 à Bruxelles, la dimension socio-économique des retours et la réinsertion économique n'ont nullement été pris en considération. La partie européenne voulait se limiter à une simple déclaration d'intention en annexe de l'accord, sachant bien entendu que ceci ne constitue nullement un engagement contraignant :
« Les Parties soulignent que cet accord de réadmission fera partie d'un véritable partenariat en matière de gestion des flux migratoires entre le Maroc et l'UE.
L'UE veillera à ce que, dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d'action issu de la politique européenne de voisinage, soient promues des initiatives concrètes et spécifiques d'assistance technique et financière visant à améliorer la capacité du Maroc à mettre en œuvre les dispositions de cet accord de réadmission ayant trait, notamment aux ressortissants des pays tiers, dans une perspective de synergie entre la migration et le développement ». (Projet de déclaration commune sur l'assistance technique et financière).
Cela veut dire à notre sens, qu'il y a des pré-requis à assurer en terme de protection des voies de recours, des mesures d'accompagnement en termes de réinsertion et de développement, l'absence de «chartérisation», bref l'accord devant être humainement acceptable, ce qui n'est pas du tout le cas actuellement.
3.7- La sous-traitance sécuritaire
Plus important encore, en voulant astreindre un pays-tiers comme le Maroc à réadmettre également ceux qui auraient transité sur son territoire, l'accord de réadmission a nécessairement comme impact de reporter la pression migratoire à l'extérieur des frontières de l'UE et de la transférer en particulier vers lui. En effet, la signature de l'accord obligerait le Maroc à reprendre les Subsahariens (ou autres) qui auraient transité par son territoire vers l'Europe, à les installer (même provisoirement) dans des camps de rétention et à les rapatrier chez eux à travers des accords de réadmission qu'il doit signer avec les pays d'origine subsahariens (ou autres).
3.8- Atteintes aux intérêts géostratégiques du Maroc
En plus de la dimension droits de l'Homme à respecter, les enjeux humains, politiques et géostratégiques pour le Maroc en Afrique sont énormes, en particulier la défense de la question de son intégrité territoriale, celle-ci ayant fait l'objet auprès des Nations Unies, de l'initiative marocaine d'autonomie, comme solution durable, juste et définitive de la question du Sahara.
Cette attitude européenne comporte des dangers pour l'Etat de droit, les droits humains des personnes concernées, l'image et les intérêts vitaux du Maroc en termes de profondeur géographique, historique, culturelle, géostratégique et économique africaine.
Or, la signature d'accords de réadmission entre le Maroc et ces pays subsahariens comme le pendant d'un accord de réadmission UE-Maroc, ne sert nullement les intérêts stratégiques du Maroc.
3.9- Usage abusif du droit international
Au delà des raisons politiques précitées, invoquons un autre argument plus lié au droit international. Si la réadmission des nationaux ne pose pas de problème en dehors du genre de ceux relevés précédemment, étant admise conformément au droit international coutumier, par contre, la réadmission de ressortissants de pays-tiers, c'est-à-dire de ressortissants autres que ceux des parties contractantes, ne constitue nullement une obligation en vertu du droit international coutumier. L'Union européenne cherche ainsi à imposer de toute pièce une doctrine nullement fondée en droit international.
3.10- Des accords bilatéraux existent déjà
Enfin, pourquoi établir un accord communautaire et demander comme le fait l'UE, l'abrogation d'accords bilatéraux de réadmission qui fonctionnent, à l'instar de ceux liant déjà le Maroc à l'Allemagne (22 avril 1998), l'Italie (accord de réadmission du 27 juillet 1998 et son protocole additionnel du 18 juin 1999), l'Espagne (1992) et des accords d'identification signés notamment avec la France, la Belgique, les Pays- Bas)... ?
Tels sont les mêmes objections et griefs qui peuvent être opposés maintenant au projet d'accord sur la réadmission, qui est enrobé désormais dans un emballage plus vaste et se voulant plus attrayant, celui du Partenariat pour la Mobilité, qui est un fourre-tout à prédominante sécuritaire.
*Professeur à l'Université Mohammed V-Rabat Agdal,
Chercheur spécialisé en migration
DEMAIN : IV- LA CAROTTE ET LE BATON ET L'ALTERNATIVE EXTRA-SECURITAIRE


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