Le 4 mars 2003, le Roi Mohammed VI a présidé à Fès, la cérémonie de signature des conventions portant sur la requalification et la réhabilitation du cadre bâti de la médina de Fès. Cet événement a marqué les esprits, en particulier de celles et ceux des fassis de souche. Outre sa dimension matérielle, basique, portant sur le traitement du patrimoine au sens lato sensu, cette initiative revêt également une dimension immatérielle : se réconcilier avec sa mémoire, arrêter le processus d'étiolement d'un héritage culturel et spirituel menacé de disparition. En fait, il s'agit de faire de l'espace dans lequel on vit, un lieu de fixation des rêves, des souvenirs, de communication et d'échanges. Un repère culturel de socialisation. Contrairement à la ville ocre de Marrakech, devenue au fil des années -ryads aidant- le fleuron du tourisme marocain, Fès, après avoir été la deuxième ville industrielle du royaume a sombré imperceptiblement, à petit feu dans l'indifférence ambiante. Sa médina, une cité médiévale par excellence, offrant une topographie indicible a subi les contrecoups de cette malédiction, abandonnée par les siens, en proie au phénomène de l'anthropisation. (exode rural et à son corollaire la sur densification, la sous-location, prolifération de métiers artisanaux etc..) L'inscription de la médina de Fès sur la liste du patrimoine universel de l'humanité par L'UNESCO en 1981 est une opportunité pour cette cité. La création une décennie plus tard d'un organisme public sous forme d'une société anonyme avec un capital de 5 millions DH, connue sous l'acronyme de l'agence pour la dédensification et la réhabilitation de la médina de Fès (ADER- Fès) a-t-elle désamorcé le compte à rebours de cette décrépitude ? Rien n'est moins sûr. L'Ader Fès : Un statut juridique inhibiteur L'idée de créer cette entité fut annoncée en 1989, mais son lancement effectif intervint en 1991. Depuis cette date, cette institution bancale à statut juridique controversé est empêtrée dans une indigence financière chronique. Elle ne doit sa survie qu'aux subventions accordées par l'Etat. Le ministère de l'Intérieur qui fait office de puissance tutélaire, a dû intervenir à plusieurs reprises pour augmenter ses fonds propres et par ricochet renforcer sa solvabilité vis-à-vis-à-vis de ses créanciers. Le montant cumulé de ces aides financières a atteint en 2010, 56 millions DH. Et comme on dit, un malheur en appelle d'autres, «la pluie tombe toujours plus fort sur un toit percé», le personnel travaillant à l'agence n'est pas soumis à un régime statutaire. Cette vulnérabilité juridique compromet imparablement la mission de service public dévolue à l'agence. Pendant plus de 10 ans (1991-2002), les 60 employés de cet organisme ne percevaient que des avances sur salaire. Des sit-in, des grèves sont assez souvent organisés, avec comme toile de fond : restructuration de l'agence sur le plan juridique et financier, le règlement des arriérés depuis 1991 jusqu'à mars 2002, la mise en œuvre de la formule «départ volontaire» comme il a été décidé par les organes délibératif et exécutif de l'agence. La réhabilitation de la médina de Fès est un chantier titanesque, transgénérationnel qui ne peut être confié ad vitam aeternam à une personne morale de droit privé. Certes, l'initiative royale vient à point nommé pour relancer les programmes inachevés ou mis en stand-by faute de financement. Les deux conventions cosignées par les membres du conseil d'administration au moyen du financement croisé injecteront 615,5 millions de DH dans la trésorerie de l'agence. Cependant, il y'a lieu de relever que ce regain de volontarisme étatique a un goût d'inachevé. On aurait dû au préalable reconsidérer le statut juridique de l'agence, l'ériger en établissement public et en faire une véritable administration de mission ayant la personnalité morale et l'autonomie financière, et exerçant des prérogatives de puissance publique. Un statut juridique avec de nouvelles prérogatives J'en citerai quelques unes : la faculté de recourir à l'expropriation pour lancer des opérations de rénovation, de transfert des populations extra muros, d'édicter souverainement des règlements de construction et d'hygiène applicables dans la médina intra-muros, de proposer et d'élaborer des plans d'aménagements appropriés, droit de préemption en cas de vente d'un immeuble par un tiers, cela suppose la révision de la loi 12.90 relative à l'urbanisme, etc. La mission de service public et l'exercice de ces prérogatives vont de pair, ils sont difficilement sécables. A cet effet, pourquoi ne pas s'inspirer du modèle de l'agence pour l'aménagement et la mise en valeur de la vallée du Bouregreg ? L'autre scénario, qu'on peut qualifier de proximité est prévu dans l'article 38 de la charte communale qui dispose que «le conseil communal décide de la réalisation ou de la participation aux programmes de sauvegarde et de réhabilitation des médinas et de rénovation des tissus urbains en dégradation.» La réalisation induit donc pour le conseil, la faculté de décider du mode de gestion le plus adéquat. Une réhabilitation en mal de partenariat Par ailleurs, la sauvegarde de la médina repose également sur un acteur relais, qu'est la société civile. La démocratie de proximité en est le levier, laquelle se déploie à travers les associations de quartiers. L'octroi du statut d'utilité publique aux associations méritantes, et qui répondent aux critères définis par le secrétariat général du gouvernement(1) est de nature à booster la fibre associative. Ce label ouvre droit à des avantages fiscaux et autres aussi bien pour l'association bénéficiaire que pour les donateurs, personnes physiques ou morales. Le dialogue national sur la société civile qui vient de s'entamer devrait défricher cette question. Un autre relais non moins stratégique, le mécénat d'entreprise et le mécénat individuel. Grâce à cette forme de solidarité citoyenne, des monuments historiques ont retrouvé leur lustre d'antan. Fondouk Nejarine et la Medersa Bouanania restaurés respectivement par les fondations Med Karim El Amrani, et Othmane Benjelloun. Mais on est conduit à constater que ces initiatives impactent faiblement la sauvegarde du patrimoine. Le ministère de la Culture, département de tutelle, est interpellé pour réfléchir à une stratégie nationale du mécénat culturel. Il urge donc d'élaborer un cadre juridico-institutionnel pour étayer cette œuvre noble qu'est la sauvegarde de toutes nos médinas. (1) Circulaire N° 1/2005 du 2 Août 2005 relative aux conditions et procédure de reconnaissance d'utilité publique au profit des associations.