Beaucoup de travail pour la presse arabe bien décidée pour une fois à couvrir l'actualité dans son intégralité ! «Couvrir», en l'occurrence, cela veut dire que, dans les rédactions, on s'est évertué à trier, à recadrer ou encore à cacher par de pudiques carrés noirs, les images prises devant l'ambassade d'Egypte en Suède. Récidiviste car elle avait déjà fait beaucoup parler d'elle en dévoilant, via son blog et Twitter, sa nudité en octobre 2012, la jeune activiste égyptienne Alia el-Mahdi a donc fait à nouveau parler d'elle en révélant aux regards des passants et aux objectifs des journalistes ce que des médias se sont cru obligés de couvrir d'un voile pudique pour cacher cette 'awra (un peu l'équivalent arabe des «parties honteuses»). En compagnie des «post-féministes» de Femen, la jeune Egyptienne protestait cette fois contre le projet de Constitution soumis à référendum dans son pays. En vain a t-on envie d'écrire tellement il était évident qu'il recueillerait la majorité des suffrages (au final, 64 % de oui, mais guère plus de 30 % de votants). La première fois que la jeune Alia el-Mahdi s'était montrée en costume d'Eve, les critiques lui avaient en quelque sorte «taillé un costard» en lui reprochant un goût puéril de la mise en scène (bas noirs et escarpins vermillon), susceptible de détourner de combats autrement plus importants, celui de Samira Ibrahim par exemple, intentant à peu près à la même époque un procès contre le Conseil suprême des forces armées et sa pratique des tests de virginité… Cette fois encore, bien des militants – ceux du Mouvement du 6 avril notamment – ont préféré se désolidariser de celle qui a enrôlé à ses côtés les militantes ukrainienne pour une dénonciation sans nul doute assez outrancière du projet soumis au vote en Egypte. Le fait que les principes de la charia soient «la principale source de la législation» dans la nouvelle Constitution – une formulation déjà présente dans la version jusqu'alors en vigueur – justifiait-il vraiment cette image du Coran (avec la Torah et la Bible pour faire bonne mesure, sans oublier les bas noirs et les escarpins vermillon) en guise de cache-sexe ? On ne l'a pas suffisamment noté, mais il faut tout de même remarquer que cette hénaurme provocation, en long et en large reprise dans les médias, n'a pas suscité dans le monde arabe (ou même musulman) l'explosion d'indignation à laquelle on pouvait s'attendre (et que désiraient sans doute les manifestantes). Sentiment de lassitude devant cette énième mise à l'épreuve de l'«innocence des musulmans» ? Trop grande gêne pour s'opposer à un affront qui oblige à traiter en quelque sorte du «corps du délit» ? Ou bien serait-ce parce que les slogans sont écrits en anglais, et trop évidemment destinés à la galerie globale des actualités Google ? Peut-être tout cela à la fois, et bien d'autres choses encore, à commencer par le fait que le monde arabe s'accommode peu à peu à ces outrances qui témoignent de la violence des transformations actuelles, transformations dont, précisément, le corps et la sexualité en général sont une des scènes les plus brûlantes, comme le montrent bien des séquences du «Printemps arabe». Incontestablement, ce dernier n'a fait que donner plus de vigueur à la poussée de sève qui travaille depuis longtemps déjà la jeunesse arabe. Avec cette particularité que l'essor des réseaux sociaux dans la région et la banalisation des pratiques numériques s'accompagnent de toutes sortes de manifestations de l'extimité, entendues comme de nouvelles manières de vivre son corps et d'exhiber ce qui relève traditionnellement de l'intime, de ce que l'on garde (en principe) pour soi… Phénomène propre à la jeunesse bien entendu, minoritaire sans nul doute, mais pas tant que cela en fait. De ce point de vue – et j'espère qu'on ne m'en voudra pas là-bas de prendre cet exemple –, le Maroc constitue un cas d'école assez intéressant. Pour s'en tenir à l'actualité très récente, on pourrait parler des images (parfois vidéos) «postées» sur Facebook par de très jeunes filles en tenues plus que suggestives… «Fléau» trop connu, pourrait-on croire, en particulier dans ce pays qui a vécu, depuis plusieurs années, différents scandales relatifs à la mise en circulation de vidéos privées (fin 2008 pour cet article en arabe, mais il doit y avoir plus ancien). Si ce n'est que l'actuelle vague d'exhibitionnisme sur le Net se distingue des précédentes par le fait que, cette fois-ci, les actrices sont bien davantage consentantes. Dans cet article (en arabe), un sociologue local considère ainsi que ces actes sont manifestement liés aux problèmes de l'adolescence, certaines jeunes filles ayant recours à ce type de provocation pour tenter de surmonter leur mal-être… Vraie ou non, l'explication témoigne en tout cas d'une prise de conscience d'une évolution du rapport au corps et à la sexualité que l'on retrouve, dans un autre domaine, dans Femme écrite (Maouchouma, «Tatouée»), un film réalisé par Lahcen Zinoun. Pornographique pour les uns, érotique pour les autres, sans nul doute osé dans ce pays dont le gouvernement est dirigé désormais par le Parti de la Justice et du Développement dominé par les islamistes, le film vient de sortir et l'objet du scandale, si l'on ose l'expression, est la belle Fatym Layachi, qui avait déjà fait sensation il y a quelques semaines en posant, dans un très sexy boxer masculin, pour la couverture d'un mensuel local. Presque une tradition locale puisqu'une de ses collègues, Latifa Ahrar, avait déjà fait hurler quelques mois plus tôt en posant, dans des tenues tout aussi suggestives, dans un autre magazine marocain (article en arabe). Une démarche parfaitement réfléchie et militante pour celle qui avait déjà associé modernité et tradition en faisant admirer le galbe de ses jambes à travers l'échancrure d'un superbe caftan, après avoir déjà osé se montrer sur scène très dénudée (en maillot de bain en fait) à l'occasion d'une pièce représentée à la fin de l'année 2010. Faut-il suivre Nadéra Bouazza lorsqu'elle évoque la «renaissance du féminisme arabe» ? Avec les inévitables outrances qu'expliquent les outrages encore si nombreux faits à la condition des femmes arabes, on refermera l'année 2012 sur l'optimisme d'une Zakia Salim discernant les «signes d'un nouveau féminisme» (en anglais) dans le monde arabe. Sans oublier de rappeler que ces affirmations féministes ne passent pas nécessairement, il faut le rappeler, par un détachement de la religion car, comme l'explique Zahra Ali dans un livre récent qui sort du commun (voir aussi cette vidéo), il y a aussi, n'en déplaise à certains et certaines, des féminismes islamiques… Visiter le site de l'auteur: http://cpa.hypotheses.org/