Un cheikh autorise des sextoys bio, la police ferme un sexshop, une jeune fille violée se suicide après un mariage forcée et l'unique ministresse du gouvernement qui désavoue son comportement… Mais qu'on ne s'y trompe pas : sous ces aspects californiens de libération sexuelle, c'est d'abord, et toujours, de libération politique qu'il s'agit. Féminisme et démocratie Omar Saghi Politologue et écrivain, www.omarsaghi.com Le féminisme, la liberté sexuelle, le droit de disposer de son corps, ne sont pas des ajouts luxueux à la démocratie institutionnelle. Car la place qu'accorde une société à la femme détermine sa vision de la sexualité, et celle-ci fonde sa représentation du pouvoir. De telles choses ne sont pas si éloignées les unes des autres. Certes, politiciens professionnels comme observateurs avertis ne feront jamais explicitement le rapprochement, mais l'homme du commun, qui est plus avisé, ne cesse d'utiliser métaphores et insultes à caractère sexuel à propos du pouvoir. Voilà qui en dit long sur des profondeurs mal recouvertes par la pudibonderie mensongère. L'exclusion des femmes de l'espace public – exclusion réelle : la claustration, ou imaginaire : ne pas sortir la nuit, ne pas quitter les grands axes, ne pas provoquer… est révélatrice d'une vision particulière de la sexualité. Celle-ci est pensée comme prédation : le rapport entre un homme et une femme se déploie sur le mode du rapt. Enfermer, ou – par euphémisme – protéger la femme, c'est dire que celle-ci est une passivité absolue à défendre de l'activité absolue qu'est l'homme. Cette représentation a vidé l'espace public des femmes pendant des siècles, mais il ne s'agit pas là de la seule conséquence, quoiqu'elle soit celle qui est principalement soulignée, par les féministes par exemple. Les femmes, proies potentielles, étant écartées, reste le règne des mâles en compétition. Ce règne – qu'on peut appeler politique – se concevra selon des modalités pas très éloignées. Il y aura des dominants et des dominées, ou plutôt une cascade de domination, depuis le despote au sommet, jusqu'au plus pauvre bougre. Et chaque interaction, chaque rapport, qu'il soit de servilité envers un supérieur, de dureté envers un inférieur, seront pensés comme des rapports entre un mâle dominant et une femelle dominée. Répression politique, répression sexuelle L'indignation puis la polémique déclenchées par l'affaire Amina El Filali ne questionnent pas seulement la liberté des femmes, ou la liberté sexuelle plus généralement. Cette affaire peut être décisive, car le réaménagement juridique demandé, la reconnaissance d'une place de la sexualité – et en particulier de la sexualité féminine - sapent les fondements de l'autoritarisme mental. La fureur ou le déni que de telles revendications provoquent disent bien combien elles touchent aux repères de l'espace public classique. Qu'une femme sorte sans se faire harceler, qu'on distingue entre rapport sexuel et agression, que la suite mentale séduction-viol-soumission par le mariage soit brisée nette par la justice, de telles transformations affecteront directement la vision de l'espace public – donc de la politique – comme arène de prédation, de domination et de soumission. Répression sexuelle-autoritarisme politique, ce binôme fut mis en lumière par Adorno et W. Reich dès les années 1930. La leçon a été quelque peu oubliée, surtout en Occident, tant les choses semblent désormais aller de soi – à tort, cependant. Mais dans des sociétés qui se réveillent à peine à la liberté politique, il est essentiel de rappeler combien, dans chaque policier, dans chaque agent de l'ordre public, dans chaque acte de répression se retrouve très souvent, cachée mais centrale, la hantise du viol, de la pénétration, de la féminisation, par le maître tout-puissant qui leur permet, pour prix de leur soumission, d'agresser plus faible que soi.