L'Algérie argue que sa position de «soutien à l'autodétermination du peuple sahraoui» serait le principe inaliénable d'un pays ne se considérant qu'une partie observatrice dans le différend régional du Sahara occidental. Mais des documents déclassifiés de la CIA montrent bien que cet appui n'est pas exprimé uniquement pour les beaux yeux du Polisario. Alger lorgne surtout sur un couloir vers l'Atlantique, par la création d'un petit Etat sur lequel elle pourrait pleinement faire main basse. L'Algérie instrumentalise le prétexte de «soutien à l'autodétermination du peuple sahraoui» pour tenter de légitimer son alignement sur la thèse séparatiste du Front Polisario, qu'elle appuie financièrement et par les armes. Au-delà d'affaiblir le Maroc et d'être sur le devant de la scène politique du Maghreb, l'objectif principal de cette diversion est surtout de se frayer un chemin vers la côte Atlantique, selon un document de la CIA daté de décembre 1977 et déclassifié en novembre 2012. Les renseignements américains indiquent que «l'annexion du Sahara espagnol» par le Maroc représente un «intérêt national vital», soutenu par toutes les couches sociales du royaume. Le document note que cette annexion «a une base historique et religieuse profonde, avec des répercussions fondamentales sur la vie politique et la stabilité du régime, tout en étant intimement liée à la capacité du Maroc à faire face à son principal rival géopolitique, l'Algérie». Par la même occasion, la CIA s'est interrogées sur la validité des analyses qui parlent de l'annexion du Maroc au Sahara en raison de sa volonté de «dominer le marché international du phosphate». Elle affirme que les revendications du Maroc sur le Sahara «sont profondément ancrée dans des éléments de l'Histoire nationale». Avant la colonisation, «les souverains marocains ont contrôlé politiquement, à des degrés divers, une grande partie de ouest de l'Afrique du Nord». «Du Xe au XVIIe siècle, l'influence marocaine s'est enracinée dans la vie politique du Sahara occidental, de la Mauritanie actuelle, du sud-ouest algérien et même du Mali», ajoute la même source. Ainsi, si la plupart des composantes de la population marocaine ont accepté, par le passé, «la perte d'une grande partie du territoire précolonial du Maroc comme un fait accompli» en référence au Sahara oriental, «le Sahara occidental, lui, est l'exception notable : depuis le début des années 1970, la forte tendance irrédentiste s'est concentrée sur la reprise de l'ex-Sahara espagnol, ce que le Maroc a considéré comme une dernière chance de récupérer certaines de ses terres volées», analyse le document. «La revendication du Sahara par le Maroc ne repose pas sur une définition du principe de souveraineté à l'occidentale. (La décision de la Cour internationale de justice d'octobre 1975 a noté que les liens entre les différentes tribus de la région avec le Maroc et la Mauritanie, à l'époque de la colonisation espagnole en 1885, étaient insuffisants pour établir la souveraineté territoriale). Elle est plutôt d'une nature profondément ancrée dans les notions religieuses d'allégeance d'un peuple à son roi. Elle est liée aussi à l'hégémonie précoloniale du Maroc sur la région… En conséquence, presque toutes les composantes de la population marocaine, à la fois modernes et traditionnelles, ont massivement soutenu la justesse de la politique du Maroc dans le dossier du Sahara.» Document de la CIA Le document indique que l'ensemble des tendances des partis d'opposition ont aussi employé tous les moyens pour défendre le droit du Maroc à avoir sa souveraineté sur le Sahara, «comme en témoigne la mobilisation lors de la Marche verte en novembre 1975». «De manière remarquable, le soutien national à la politique royale au Sahara n'a pas faibli, malgré le budget militaire croissant que cela a impliqué. Aussi, la question du Sahara est considérée par les dirigeants marocains comme décisive, du point de vue de la politique intérieure. Si Hassan II recule sur les exigences du Maroc au Sahara, il devra faire face à une perte de légitimité», analyse encore la CIA. Histoire : 27 février 1976, proclamation d'une république sahraouie sur papier L'Algérie, une partie prenante principale Par ailleurs, le document indique que le président algérien Houari Boumédiène avait revu la position de l'Algérie après l'accord maroco-mauritanien sur le Sahara occidental, lors du Sommet arabe tenu à Rabat en 1974. Selon lui, l'Algérie aurait mené «une guerre par procuration» contre la Mauritanie et le Maroc en utilisant le Polisario. «Bien que la raison apparente de l'Algérie pour soutenir le Polisario soit le principe d'autodétermination, sa rivalité historique avec le Maroc pour l'hégémonie en Afrique du Nord-Ouest en est le principal moteur. L'objectif de l'Algérie est d'établir une 'République sahraouie indépendante', sur laquelle elle aura une influence totale, ce qui priverait le Maroc des ressources économiques de la région et entraverait les efforts de Rabat pour restreindre l'accès futur de l'Algérie à l'océan Atlantique.» Document de la CIA Le rapport de l'agence a souligné que Boumédiène s'opposait «à l'inclusion du Sahara occidental au Maroc, car cela remettrait en cause les aspirations de l'Algérie à dominer l'Afrique du Nord». Et d'ajouter : «Les Marocains sentent qu'ils ne peuvent pas renoncer à leurs revendications sur le Sahara pour les raisons suivantes : la création d'un petit Etat dominé par Alger sera comme un nœud autour du Maroc, le séparant de son allié mauritanien et du reste ; une république sahraouie extrémiste servirait de base arrière aux groupes révolutionnaires marocains en lien avec le Front Polisario ; la richesse conséquente que constitue le phosphate.» Le document conclut que «le Maroc est peu susceptible d'accepter une formule de règlement qui menace sa revendication de souveraineté sur le Sahara, bien qu'il puisse être flexible sur d'autres aspects d'un éventuel règlement (exploitation conjointe des ressources, garantie d'accès à l'Atlantique, amnistie pour les combattants du Polisario…)». En tout état de cause, le royaume compte sur «la poursuite de la coopération française et du soutien financier saoudien, qui semble garanti». Un autre document datant d'avril 1987, déclassifié en juillet 2012, a souligné que Rabat et Alger se rendaient compte que l'option militaire ne résoudrait pas le différend. «Leurs visions sur un règlement négocié convergent lentement», ajoute la même source. Par ailleurs, celle-ci a qualifié le président algérien Chadli Bendjedid (1979 – 1992) de «clé du progrès», car il «sera éventuellement contraint de faire des concessions diplomatiques, vu que son gouvernement ne voudrait pas prendre le risque de mener une guerre ouverte dans l'espoir de faire reculer le roi Hassan II, dans ses efforts fructueux pour consolider sa souveraineté sur le Sahara occidental». Maroc : Les conséquences de la Marche verte sur le Polisario [documentaire] En l'espèce, l'Algérie chercherait «une option pour sauver la face», éventuellement en préconisant «une forme de gouvernance par fédéralisme, permettant une souveraineté effective de Hassan II sur ces territoires, contre une certaine forme d'autonomie pour le Front Polisario», de façon à ce qu'Alger ne se trouve pas entièrement vaincue. Par ailleurs, l'issue au différend n'affecterait aucunement les relations de Moscou, chef-lieu de l'ex-URSS, à la fois avec le Maroc et l'Algérie. «Un règlement pourrait renforcer la position des Etats-Unis au Maghreb, principalement parce qu'il renforcerait le Maroc, pays ami le plus proche de Washington dans la région. Il pourrait aussi encourager le roi Hassan II à prendre des mesures, telles que des initiatives unilatérales dans le cadre du processus de paix arabo-israélien, ce qui compliquerait d'autres intérêts américains dans la région. Le roi pourrait faire pression sur les Etats-Unis pour une aide financière et militaire accrue, en échange de sa volonté de soutenir les intérêts stratégiques américains, mais ceci n'affaiblira probablement pas ses relations avec les Etats-Unis. L'Algérie est susceptible de considérer Washington comme responsable, en partie, du succès du Maroc au Sahara occidental.» Document de la CIA L'Algérie soutiendrait des «actes terroristes» du Polisario Quant aux affrontements militaires, le document précise que le Front Polisario et ses parrains algériens «ont conservé le contrôle jusqu'en 1981, date à laquelle le Maroc a construit son premier mur». Depuis, le royaume a repris les devants et a contrôlé plus des deux tiers du Sahara occidental, enregistrant ainsi un succès plus conséquent que ce que Rabat aurait fait sur le plan diplomatique. «Rabat est prêt à poursuivre la guerre indéfiniment. Le gouvernement construit un nouveau remblai qui lui permettra de contrôler environ 90% du territoire. Nous pensons que cette étape reflète le pessimisme de Rabat quant aux chances de parvenir à un règlement politique favorable, dans un avenir proche», a ajouté la CIA. Dans ce contexte, les renseignements américains ont tendu à croire que «la stratégie diplomatique du roi Hassan Il a consisté en une tergiversation temporaire, tout en campant sur ses positions». «Malgré son refus de compromis et son engagement militaire ferme, nous pensons qu'il comprend qu'une victoire militaire ne peut être obtenue ou ne résoudra pas le différend, et que seule une solution politique peut mettre fin au conflit», ajoutent-ils. A ce titre, le document note que «la dépendance économique et militaire du Front Polisario vis-à-vis de l'Algérie ne lui laisse pas assez de place pour contester les volontés de d'Alger». Ainsi, la CIA estime que la frustration de Bendjedid face à cette impasse et le cloisonnement quasi-total de la zone face à l'Algérie pourraient éventuellement inciter cette dernière à des surenchères militaires. Elle pourrait notamment permettre aux mercenaires du Polisario de se livrer à des actions terroristes à l'intérieur du Maroc, selon les informations de la CIA. Elle pourrait également décider de participer plus formellement à une confrontation directe. Dans les deux cas, le voisin de l'Est chercherait à forcer la main au roi Hassan II sur la table des négociations, sans pour autant provoquer une guerre non désirée entre les deux pays, ajoute le document. Dans ce sens, un micro-Etat dans la région «ne sera pas économiquement viable, compte tenu de sa petite population et de son manque de ressources». «Il dépendra fortement du soutien étranger et sera vulnérable au sabotage. A notre avis, le Maroc et l'Algérie finiront par entrer en compétition pour le contrôle du territoire, ce qui ramènera la situation à la case départ», souligne la CIA. Article modifié le 15/05/2023 à 21h13