Afin de redéfinir les notions de violence sexuelle, sexiste, de viol et de consentement, il reste primordial de changer les perceptions sociétales qui demeurent largement stéréotypées, de l'avis des spécialistes. Le Comité parité et diversité de 2M a consacré une conférence-débat à ces questions, avec une lecture sociologique, juridique et psychologique. Marquant la reprise des rencontres en présentiel pour ses conférences-débat, après une interruption due à la crise sanitaire de Covid-19, le Comité parité et diversité de 2M a organisé, jeudi 4 mai, une rencontre sous le thème «Comprendre la violence sexuelle et sexiste dans la société marocaine». L'idée a été d'analyser et d'interagir autour de la perception de la violence sexuelle et sexiste avec le sociologue et universitaire Abdessamad Dialmy, de l'impact sur la victime et sur la société avec le psychosociologue et universitaire Mohcine Benzakour, du traitement juridique des violences sexuelles avec l'avocate Me Ghizlane Mamouni, co-fondatrice de l'association Kif Mama Kif Baba, ainsi que le rôle de l'éducation aux nouveaux médias, avec la créatrice de contenu à Jooj Media, Chaimae Bentananat. La thématique de cette conférence-débat a été choisie dans un contexte de débat public sur la réforme du Code pénal et du Code de la famille, mais aussi et surtout les récentes actualités remettant la situation des victimes de viol aux devants de la scène, à la suite du procès des violeurs de la petite fille de Tiflet, devenu une affaire d'opinion publique. En effet, les épisodes de ce dossier en première instance et en appel ont plus que jamais rappelé l'importance de questionner les dimensions de protection, de prise en charge et de réparation aux victimes, mineures de surcroît, à la lumière de l'essence et de l'objectif des lois. Il a interrogé également sur la dimension du pouvoir discrétionnaire de la justice, ainsi que sur les méthodes et les principes de l'interprétation des lois au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. Une interaction nécessaire entre droit et sciences sociales Dans une déclaration à Yabiladi, l'intervenante Me Ghizlane Mamouni a souligné que ce sujet avait une importance extrême, rappelant que «les sanctions du viol dans notre pays restent très insuffisantes, comme nous l'a rappelé le cas récent de la petite fille violée à Tiflet». Selon l'avocate, les solutions «passent par le droit, car il est important de réformer notre Code pénal pour renforcer la protection des enfants, redéfinir le viol et les violences sexuelles, et surtout interdire toute circonstance atténuante dans les cas de crimes l'égard de mineurs en particulier, mais aussi à l'égard les femmes qui restent les plus exposées». Ph. Comité parité diversité 2M Maroc : Quelles sont les motivations de la peine légère de 2 ans contre les trois violeurs à Tiflet ? L'associative rappelle, dans ce sens, que «les circonstances atténuantes permettent la réduction à des peines dérisoires et reflètent l'idée que le viol de nos petites filles au Maroc est impuni, ce qui est inadmissible et c'est contre quoi nous nous inscrivons». Pour elle, «l'autre axe de changement est à caractère social, de manière à transformer notre conscience collective et réaliser l'importance notamment de l'éducation sexuelle, pour apprendre à nos enfants à connaître leur corps, à le protéger, les sensibiliser aux changement de la puberté et à la notion majeure du consentement». Ce processus au niveau juridique, judicaire et sociétal à la fois doit tenir compte également de dimensions plus complexes, permettant d'analyser les faits de société à partir d'une approche interdisciplinaire. Le psychosociologue Mohcine Benzakour rappelle auprès de Yabiladi qu'il s'agit d'une question de représentation. «Plus qu'une image cérébrale, c'est une façon de sentir les choses, avec une dimension émotionnelle et linguistique. Lorsqu'on parle de viol ou de violence sexuelle, il est important d'analyser comment ces crimes sont perçus au sein de la société marocaine, pour se rendre compte que nous avons encore une image stéréotypée, que l'on cerne dans une situation relevant plutôt du drame cinématographique», a-t-il souligné. «La réalité est autre et plus complexe, car le viol dans le sens de la pénétration forcée est la dernière illustration d'un ensemble de violences de divers genres, à commencer par la perception à l'égard de l'autre et du corps de l'autre, parce que c'est un enfant ou une femme. La violence sexuelle s'installe à partir du moment qu'une situation de vulnérabilité pousse une personne à considérer qu'elle a des droits sur le corps de l'autre, sur l'intégrité de l'autre et cela prend différentes formes, notamment la pédophilie», a analysé le spécialiste. Viol à Tiflet : 20 et 10 ans de réclusion en appel contre les trois accusés Ces violences existent dans la société et restent indissociables du cadre privé comme du public. De ce fait, elle se retrouvent aussi dans le cadre du travail, ce qui est une autre dimension non-négligeable dans l'analyse sociétale de ces violences, tient à rappeler le psychosociologue. «On assiste à des situations impliquant souvent des liens hiérarchiques, qui sont exploités pour imposer un ascendant qui ne relève en rien de l'aspect professionnel et qui n'a donc pas lieu d'être», a-t-il insisté. «On se permet de penser de cette manière, parce qu'on est toujours dans la représentation, une vision selon laquelle on pourrait avoir un droit sur le corps d'une subordonnée et autrement, on lui mènera la vie dure», analyse encore le spécialiste. Dans ce sens, il indique que «ce processus peut être entamé avant même le passage à l'acte physique en lui-même, comme nous y avons assisté notamment dans le milieu universitaire, avec des affaires de harcèlement et de chantages sexuels». «La victime est représentée comme une personne qui doit avoir peur de son agresseur, lequel prend plaisir dans cette situation, ce qui relève du crime et de la déviance psychologique, traduisant une perception elle-même déviante du rapport à l'autre», a-t-il ajouté. Ph. Comité parité diversité 2M Une sensibilisation primordiale auprès des plus jeunes Mohcine Benzakour estime que dans le traitement de ces questions par les différentes parties prenantes en société, le système scolaire doit avoir un rôle primordial pour «développer un système cognitif allant dans le sens de la stabilité de la représentation réelle de ce qu'est le viol, le rapport sexuel et le rapport l'autre». «C'est un travail de sensibilisation qui doit se faire dans une approche de complexité, à partir de l'âge de 10 ans. Autrement, on interprète mal ses sentiments en avançant vers l'âge adulte, en développant une perception déviante. L'agresseur potentiel traduit tout fait et geste de son éventuelle victime comme un appel. Le manque d'empathie s'installe, on ne comprend pas les idées et les sentiments de l'autre et on se permet d'imposer violemment sa façon de voir, d'aborder l'autre», explique le professeur, pour qui «c'est une façon aussi d'aborder la violence sexuelle dans une approche en interaction avec le droit, la sociologie et la psychologie». Chaimae Bentananat, créatrice de contenu sur Instagram et pour Jooj Media, a déclaré pour sa part à Yabiladi que les jeunes générations sont plus conscientes de ces questions, grâce à leur accès à d'autres savoirs et à d'autres manière de voir à travers la sensibilisation sur les réseaux sociaux. «La génération Z dont je fais moi-même partie est engagée et avertie sur ces notions : elle a grandi non seulement avec l'éducation reçue à la maison et à l'école, mais aussi avec les nouveaux médias, les films et les séries qui traitent de thématiques rattachées à l'éducation sexuelle dont on n'entend presque pas encore parler dans notre société à grande échelle», a-t-elle indiqué. «Nous sommes une génération qui n'a pas les tabous qui sont encore ancrés dans notre société. Nous sommes très au fait aussi des questions de culture du viol. En effet, beaucoup de jeunes utilisateurs sur les réseaux sociaux peuvent accéder à des comptes dédiés à la sensibilisation et à la conscientisation sur des dimensions du viol que l'on connaît peu, comme le viol digital ou les attitudes faisant que même consenti, un rapport sexuel peut virer au viol à un moment», souligne encore la créatrice de contenu. Chaimae Bentananat rappelle que «ce sont là des subtilités qui méritent toute notre vigilance. Dans les espaces de débat public, elle estime que les plus jeunes n'ont pas toujours accès aux bonnes personnes pour en parler sans tabou. «Sur Internet, il existe des comptes d'utilisateurs qui font ce travail pédagogique et cela change beaucoup notre jeunesse en mieux, car elle prend encore plus conscience de l'importance de se préserver, de préserver son intégrité physique et psychique et d'être à l'écoute, dans une démarche bienveillante», souligne-t-elle.