Concernant l'affaire de la petite fille violée à l'âge de 11 ans, près de Tiflet, Me Mohamed Sebbar a estimé que la réouverture rapide du procès en appel était un indicateur sur la reconnaissance d'une erreur par le pouvoir judiciaire, ainsi que sur la volonté de celui-ci de rectifier le tir. Mais au-delà, il espère que le retentissement de cette affaire soit un catalyseur, pour renforcer les mécanismes de protection et harmoniser l'arsenal relatif aux droits des enfants. En charge du dossier en appel dans le cadre de l'affaire du viol d'une petite fille de 11 près de Tiflet, ayant résulté sur une grossesse et la naissance d'un nouveau-né, ainsi que la condamnation à 2 ans de prison de trois adultes, l'avocat Me Mohamed Sebbar a exprimé son souhait pour que ce procès en appel soit «celui de l'équité et de la réparation». «Nous espérons aussi que le débat ira au-delà du procès en lui-même et constituer l'ouverture vers une législation qui protège suffisamment ces personnes en vulnérabilité, les enfants, filles et garçons», a-t-il déclaré ce mercredi, lors d'une conférence de presse tenue par l'association Insaf, qui s'est portée partie civile. «Il est nécessaire de revoir certaines dispositions légales. Lorsqu'on est face à un mineur, la question du consentement est inconcevable et n'a pas sa place. Nous souhaitons aussi que ce débat soit l'occasion à saisir pour signer l'ensemble des protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l'enfant (CIDE), avec un renforcement des mécanismes institutionnels de protection de l'enfance», a plaidé l'avocat. En première instance, les trois accusés ont été reconnus coupables de «détournement de mineur avec fraude» et «attentat à la pudeur sur une mineur avec violence», qui sont des faits passibles entre 10 et 20 ans, voire jusqu'à 30 ans de réclusion, en cas d'aggravation de la peine. Joint au dossier, un test ADN a confirmé la compatibilité du nouveau-né avec l'un des coupables à 99,99%, sans contraindre le concerné de reconnaître l'enfant et de verser une pension. «Un verdict préjudiciable» pour la victime Dans ce sens, la sociologue Soumaya Naamane-Guessous, membre de l'association Insaf et auteure d'une lettre ouverte au ministre de la Justice au sujet de l'affaire, a souligné l'«enthousiasme général pour la solidarité avec cette petite fille afin de lui rendre justice». «Ce que j'espère, c'est que cet engouement ne tombe pas et que ce verdict en appel soit juste. Nous devons rester en alerte, de manière à ne pas baisser les bras, pour que le drame vécu par cette pauvre victime serve à faire changer les lois dans ce pays», a-t-elle déclaré. Maroc : Quelles sont les motivations de la peine légère de 2 ans contre les trois violeurs à Tiflet ? A ce sujet, Me Sebbar a rappelé que le législateur marocain avait mis en place «trois degrés de juridictions, en première instance, en appel et en cassation, fruit d'une réflexion sur la probabilité d'erreurs dans des jugements, qui ne seraient pas alignés sur les faits, sur la logique des choses ou qui n'appliqueraient pas correctement les dispositions de la loi». «Dans le cas en l'espèce, le verdict est inacceptable, ni sur le plan juridique, ni en termes d'éthique. Non seulement il s'est détourné de la vérité, mais en plus il a donné lieu à des préjudices», a-t-il constaté. «Ce jugement en première instance est plus proche de l'acquittement que de la condamnation. C'est de là que la polémique a retenti sur le plan médiatique, encore plus qu'au lendemain du suicide de la jeune Amina Filali à Larache, en 2012. Ce drame-là a d'ailleurs accéléré l'amendement de l'article 475 du Code pénal, mettant ainsi fin à la possibilité pour les condamnés pour viol d'épouser leurs victimes mineures afin de se soustraire à la justice.» Me Mohamed Sebbar L'avocat rappelle, par ailleurs, que les peines prévues peuvent différer pour un même crime. «Les textes de loi prévoyant des peines de prison permettent des variations acceptables, en fonctions des circonstances des faits. Mais en l'espèce, les peines prévues peuvent atteindre jusqu'à 20 ans de prison, alors que la condamnation prononcée est de 2 ans, ce qui est inacceptable et a fait que ce procès soit injuste et inéquitable», a-t-il insisté. Dans ce contexte, Me Sebbar a estimé que «la rapidité avec laquelle la réouverture du procès a été annoncée, tout juste huit jour après l'appel, sachant que des dossiers ne sont toujours pas réouvert, six mois après un recours, est un indicateur d'abord sur l'iniquité du jugement en première instance, ensuite sur une volonté de rectifier le tir». Soulignant que «le sujet a été à la Une dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les médias étrangers, dans les radios, les télévisions, la presse papier et électronique», Mohamed Sebbar souligne que cette dynamique gagnerait à avoir des effets positifs, outre la réhabilitation de la victime en elle-même, afin de garantir l'efficacité des mécanisme de protection mais aussi d'accès à la justice pour les mineurs. Maroc : Les ONG dénoncent la condamnation légère à 2 ans de prison pour le viol collectif d'une mineure «Ne pas tourner la page» après le procès en appel Par ailleurs, l'avocat est revenu sur la question de l'interprétation des textes de loi au bon vouloir du pouvoir judiciaire, soulignant que cette notion ne doit pas donner lieu à «une mal interprétation des lois». En première instance, le verdict a insisté sur ce point en en faisant le point le plus important des motivations de son allègement de la peine de 20 à 2 ans de prison. Invitée également à la conférence de presse, Siham, une citoyenne qui a rencontré la petite fille pour la première fois à la Cour d'appel de Rabat, il y a un an, a déclaré avoir été interpellée par l'aspect de la mineure tenant un nouveau-né. «Mon avocate s'est portée volontaire pour demander au juge d'instruction d'accompagner la victime à la chambre criminelle», a-t-elle déclaré. Après la publication d'une vidéo, ce n'est qu'après le rendu du verdict que l'affaire a pris de plus grandes proportions, après que cette décision a provoqué l'ire des proches de la victime ainsi que des bénévoles l'accompagnant. «J'espère que ce ne sera pas uniquement un épisode médiatique après lequel la page sera tournée», a plaidé la citoyenne. Vice-président d'Insaf, Me Mohamed Oulkhouir a pour sa part déclaré qu'«aujourd'hui, sur le plan juridique, améliorer la situation des petites filles de manière générale» est le cheval de bataille de l'association, parallèlement au suivi du procès en appel. «Nous allons continuer le travail de plaidoyer pour la mise en place d'un Code de l'enfant, pour la réforme du Code pénal afin qu'il tienne compte de la situation de vulnérabilité dans les cas d'agression sexuelle, de manière plus significative que ça ne l'est actuellement au-delà du cas précis. Cette décision en première instance est non définitive et il y a une procédure en appel», a-t-il souligné. Jeudi 13 avril, une audience à la Cour d'appel au Palais de justice de Rabat est prévue, après qu'une première séance a été reportée, la semaine dernière. Les avocats de la partie civile avaient demandé un délai pour la préparation de leur plaidoirie, tandis qu'une demande a été formulée pour auditionner une témoin dans l'affaire, qui est une mineur ayant déclaré précédemment avoir assisté aux faits incriminés.