Le tribunal de Rabat a récemment condamné trois hommes à 2 ans de prison, pour détournement et attentat à la pudeur avec violence sur une petite fille de 11 ans, à Tiflet. Une grossesse et un accouchement en ont résulté, ce qui devait alourdir la peine à la réclusion, conformément au Code pénal. Les juges ont cependant eu un autre point de vue, provoquant l'ire des associations. Depuis la semaine dernière, les expressions d'indignation et de consternation se multiplient. Nombre d'acteurs de la société civile, principalement les associations féministes, dénoncent la condamnation légère à 2 ans de prison à l'encontre de trois adultes, reconnus coupables de détournement de mineur avec fraude et d'attentat à la pudeur avec violence ayant conduit à la défloration, sur une petite fille de 11 ans à douar Ghazouana, près de Tiflet (province de Khémisset). La peine a été assortie d'amendes de 20 000 dirhams pour chacun de deux des accusés et de 30 000 pour le troisième. Les mis en cause sont âgés de 25, 32 et 37 ans. Pourtant, c'est bien devant le juge de la chambre criminelle près la Cour d'appel de Rabat que les accusés ont été déférés, annonçant ainsi qu'il s'agit de poursuites pénales et non pas correctionnelles. Dans le Code pénal, les faits incriminés sont aggravés en cas de perte d'hymen et de grossesse de la victime, exposant les mis en cause à de lourdes peines de réclusion criminelle. Les faits ont d'ailleurs été révélés suite à la grossesse de la victime, menacée de manière répétitive en cas de dénonciation. Les accusés sont un cousin de la jeune fille, un voisin et un ami de la famille. La victime «s'est habituée» au modus operandi Consultés par Yabiladi, les attendus de ce jugement daté du 20 mars indiquent même que les juges ont consulté les résultats du test ADN confirmant à 99,99% la paternité de l'un des mis en cause, qui est déjà marié et père d'enfants. Le juge fait ainsi référence au Code pénal, invoquant les articles 471 relatif au détournement avec fraude, 485 relatif à l'attentat à la pudeur et 488 aggravant les peines de réclusion, en raison de la perte d'hymen. Ce sont ces mêmes articles qui seront la référence de la condamnation des deux autres accusés, notamment à travers le recoupement des récits de la victime, aujourd'hui mère à l'âge de 13 ans, ainsi que ceux d'une seconde mineure entendue comme témoin des faits incriminés. Maroc : Les ONG dénoncent la condamnation légère à 2 ans de prison pour le viol collectif d'une mineure Outre le débat juridique, un passage interpelle dans les attendus, qui considèrent qu'au vu du caractère répétitif des faits incriminés à travers le même modus operandi, relaté par le témoin et par la victime, cette dernière «s'est habituée» à subir l'attentat de la même manière. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les juges ont plutôt décidé d'accorder des circonstances atténuantes aux accusés, «vu la condition sociale de chacun d'eux, l'absence d'antécédents judiciaires de toute nature pour deux d'entre eux». Dans leur jugement, les magistrats estiment aussi que «la peine prévue par la loi pour les faits incriminés est sévère par rapport à la gravité des actes commis et le degré de leur criminalité» (sic), conformément aux «articles 146 du Code pénal et 430 du Code de procédure pénale». C'est sur cette base que le juge a motivé la réduction de la peine en-dessous de ce que prévoient les dispositions légales, et ce conformément aussi à l'article 147 du Code pénal, ainsi que la possibilité de faire bénéficier deux des accusés d'une peine avec sursis. Malgré la reconnaissance de la preuve scientifique du test ADN par le juge, celle-ci n'a pas été tenue en compte non plus dans la condamnation. Ainsi, le violeur identifié comme étant à l'origine de la grossesse de la victime n'a été ni contraint de faire la reconnaissance paternelle, ni de verser une pension alimentaire. Dans le débat sur les décisions prises par les magistrats en charge de l'affaire, le juge et président de la séance a invoqué de manière récurrente les prérogatives de l'autorité judiciaire en matière d'interprétation de la loi, ainsi que l'interprétation de la loi au bon vouloir du juge. L'interprétation au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant Les diverses méthodes d'interprétation de la loi reposent communément sur trois principes classiques, à savoir le sens clair, les conséquences possibles de l'interprétation évitant un résultat absurde, ainsi que l'interprétation selon le but de la loi. Dans ce sens, le principe constitutionnel de l'intérêt supérieur de l'enfant n'a été évoqué ni dans les débats retenus par les attendus, ni dans les dispositions légales parmi celles auxquelles le jugement fait référence. Celles-ci se sont limitées principalement au Code pénal, ainsi qu'au Code de procédure pénale, avec un renvoi répétitif au principe d'interprétation au bon vouloir du juge. Conformément à l'article 488, la peine d'attentat à la pudeur avec violence est pourtant aggravée entre 10 et 20 ans de réclusion, ce qui est loin de la condamnation à deux ans des accusés. L'article 486 définissant le viol n'a pas été retenu non plus. Cette qualification des faits aurait aggravé la peine de réclusion entre 20 et 30 ans, selon le second alinéa de ce texte. Le caractère répétitif des faits incriminés, sous la contrainte et par la fraude, questionne également sur l'absence de référence aux dispositions de la loi 27.14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Le poids entre les faits avérés, les peines prévues à cet effet et les conséquences des circonstances atténuantes a fait interroger de nombreuses organisations de la société civile, quant à l'équilibre recherché dans un allègement passant de 20 à 2 ans de prison. Pour cette raison, la Coalition associative Printemps de la dignité a appelé à la mobilisation, alors que le procès entamera sa phase d'examen en appel. A la suite du verdict en première instance, le Ministère public a en effet introduit un recours, de même que l'association Insaf, membre de la coalition et partie civile dans l'affaire. Dans de récentes déclarations, le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi s'est dit «choqué» par le verdict. Il a exprimé sa «satisfaction» quant à la démarche d'appel, en défense des droits de la victime. Par ailleurs, il a fait part de sa détermination à «durcir les peines maximales dans le nouveau projet de loi du Code pénal», pour une meilleure protection des droits des enfants.