«Les professionnels de santé au Maroc ont une connaissance limitée de la greffe d'organes». Tel est le constat préoccupant qui ressort d'une étude réalisée par l'association «Reins» dont les résultats ont été présentés mardi 16 octobre à Casablanca. Décryptage. «Evitez l'excès de sucre et de sel» vous répète à l'envi votre docteur. Hé bien, peut-être feriez-vous mieux de l'écouter pour une fois. Et pour cause : si par malheur vos reins flanchaient un jour – en raison d'un diabète déclaré ou d'une hypertension latente – vous en seriez alors probablement quitte pour un traitement sous dialyse jusqu'à la fin de votre existence. C'est en tout cas ce que prête à penser les résultats édifiants d'une enquête sur la transplantation rénale et le don d'organes présentée mardi dernier à Casablanca à l'occasion de la Journée mondiale du don et de la greffe d'organes. Décryptée par le site aujourdhui.ma, l'étude en question, qui porte sur un panel de 1044 professionnels de la santé (60% de médecins – dont 60% des spécialistes – et 20% des pharmaciens), a de quoi donner des sueurs froides. Elle révèle en effet non seulement que les professionnels de la santé ont une connaissance limitée de la greffe d'organes au Maroc mais qu'en plus, ils n'ont – pour la plupart – jamais reçu de formation sur le sujet. Ainsi, au questionnaire anonyme auquel il leur a été demandé de répondre, 70% des professionnels marocains de la santé déclarent n'avoir reçu aucune formation sur la greffe et le don d'organes au cours de leur carrière. Pire encore, selon cette étude, la moitié des personnes interrogées, soit 517 personnes, déclarent avoir une «connaissance moyenne» de la greffe d'organes, tandis que 30% déclarent avoir «une connaissance médiocre» sur le sujet. Pour ajouter à ce tableau alarmant, les résultats de l'étude indiquent que 60% des sondés ne connaissent pas la législation en matière de greffe d'organes et qu'ils n'ont par ailleurs aucune connaissance des positions de l'Islam sur le sujet. Position de l'Islam sur la greffe/don d'organes «Dans l'Islam, il y a deux points de vue qui divergent sur la question : la premier autorise la greffe d'organes car d'une part, celle-ci n'a pas de conséquences néfastes sur la santé du donneur et d'autre part, elle permet de sauver la vie d'une autre personne ; le second prohibe le don d'organes car l'être humain n'est pas 'propriétaire' de ses organes. C'est Allah qui l'est. Il n'a donc pas le droit de les donner» nous explique le jurisconsulte, Saïd Kamali. Cela dit, que la chose soit halal ou haram, M. Kamali ne pense pas qu'il faille chercher dans l'Islam les raisons de la si faible prévalence du nombre de donneurs d'organes au Maroc. Seulement 4 marocains sur 10 millions se déclarent en effet prêt à donner leurs organes après leur décès. A titre de comparaison, ils sont 16 en Tunisie et 400 en France – sur 10 millions d'habitants – à être prêts à consentir à ce 'sacrifice posthume'. Pour le jurisconsulte, si les donneurs ne sont pas légions au Maroc, c'est tout simplement parce que le «sujet n'est pas encore à la une». Plusieurs obstacles Il faut dire que depuis 1990, seulement 300 greffes rénales ont été réalisées au Maroc; un chiffre dérisoire au regard du nombre de personnes en attente d'une greffe rénale dans le royaume. Pour le Professeur Amal Bourquia, plusieurs raisons expliquent cette situation, à commencer par le manque de moyens «Peu de fonds sont débloqués pour la greffe rénale», déplore la néphrologue et présidente de l'association «Reins», qui a mené l'étude ci-discutée. Et d'ajouter «Il faut aussi relever que l'accès à la greffe est limité par une couverture sociale qui reste insuffisante» (cité par aujourdhui.ma). Le «consentement explicite» constitue également un troisième écueil auquel se heurtent les rares chirurgiens marocains à pratiquer la transplantation rénale. En effet, si au moment du décès, un prélèvement d'organes est envisagé mais que l'équipe médicale n'a pas eu directement connaissance de la volonté du défunt, elle doit alors consulter ses proches. Or, ces derniers, qui sont dans un état de choc, s'opposent souvent catégoriquement au prélèvement. Pour remédier à l'ensemble de ces problèmes, de l'ignorance «inacceptable» des médecins aux appréhensions infondées de la société civile, le Pr. Bourquia appelle à l'ouverture d'un débat national impliquant l'ensemble des acteurs concernés. En même temps, avec 11.000 patients actuellement sous dialyse, et 3500 nouveaux cas déclarés chaque année, peut-être serait-il temps que le Maroc et la société marocaine se penchent sur ce sujet qui, tôt ou tard, peut toucher n'importe lequel d'entre nous.