L'Académie du royaume du Maroc a organisé une rencontre de réflexion autour de la création d'une Chaire des lettres africaines. Le premier défi auquel cette nouvelle instance tentera de réponde est celui de promouvoir la création africaine à l'intérieur du continent, à partir duquel elle peut se rendre universelle, sans pour autant passer par le Nord. L'Académie du royaume du Maroc a initié la création d'une Chaire des lettres africaines en son sein. Les premiers jalons ont été posés à travers une rencontre de réflexion, des ateliers et une séance de restitution tenus le week-end dernier à Rabat. Secrétaire perpétuel de l'Académie, Abdeljalil Lahjomri a déclaré à Yabiladi que cette initiative est menée «en conformité avec la nouvelle loi qui fait que cette institution a la possibilité de créer plusieurs Chaires». «Nous avons choisi d'en créer une pour les lettres et les études africaines en premier, afin que l'on puisse faire connaître au grand public tout ce qui se crée en Afrique, dans les domaines littéraire, philosophique et artistique», ajoute-t-il. Cette première rencontre a été marquée par la participation d'universitaires, de chercheurs, de doctorants et d'écrivains du Maroc et des autres pays d'Afrique. Les débats ont convergé vers un point selon lequel «la littérature africaine ne doit pas nécessairement passer par un centre qui serait européen ou du Nord afin de gagner son cachet universel, mais d'abord circuler en Afrique entre ses universités et ses capitales, puis que cette circulation permette de connaître ceux qui ne sont pas connus dans leurs propres pays, de manière à constituer de l'Afrique un des centres de la création littéraire et artistique à travers le monde», a ajouté Lahjomri. «Dans nos propres pays, des écrivains ne sont pas connus, mais ils le sont plus à l'étranger, en dehors de notre continent. C'est cette circulation intra-africaine du savoir, tout en instituant une forme de reconnaissance, que la Chaire des lettres africaines va essayer de développer. Il s'agit de faire connaître les lettres et les créations artistiques d'abord aux Africains et en Afrique, avant de passer nécessairement par l'étranger.» Abdeljalil Lahjomri Ecrivain camerounais résident en France, chercheur associé à l'Université Paul-Valéry à Montpellier III et docteur en littérature comparée, Eugène Ebodé a participé à la conception de la feuille de route de cette Chaire, avec l'écrivaine marocaine Rabiaa Marhouch, professeure de lettres modernes et docteure en littérature française, résidente en France également. Pour Ebodé, ce projet a pour objet de «montrer et de rendre visible ce qui a longtemps a été soit oublié, soit massacré dans certaines littératures africaines ou comme certains écrivains à succès à l'étranger, rarement connus dans leur propre pays». Une reconnaissance africaine pour un cachet universel depuis l'Afrique Ainsi, «l'idée est de mettre en avant les axes d'une réflexion, d'un discours littéraire sur l'Afrique, produit et tenu par les africains eux-mêmes, et qui peut trouver son chemin vers l'universel depuis le continent lui-même», a affirmé Ebodé à Yabiladi. «La littérature africaine est produite dans diverses langues et l'ambition est que celles-ci soient toutes en concert, dialoguent au même niveau, s'expriment et cocréent. Il est nécessaire que cette connaissance ne soit pas mobilisée dans un seul espace fermé, mais qu'elle soit plutôt disponible pour tous les africains et à travers eux, pour le reste du monde.» Eugène Ebodé En effet, les littératures africaines sont «généralement marginalisées à l'extérieur et en particulier dans les cercles des consécrations de l'espace littéraire mondial», estiment les initiateurs de la Chaire. «La faiblesse d'un réseau éditorial endogène amplifie la distance entre les publics africains et les œuvres publiées en Occident notamment», ajoutent-ils. Pour être valorisé et mieux connu dans son continent, «ce patrimoine littéraire africain a besoin d'institutions de référence, telle que l'Académie du Royaume du Maroc», plaident les initiateurs. Pour les porteurs du projet, «le problème auquel une institution littéraire africaine doit répondre est le dépassement du fait colonial». En d'autres termes, «la colonisation n'a pas seulement pillé l'Afrique, mais elle a aussi transformé les voies de transmission et de diffusion de masse de ce savoir et des biens culturels». «La marchandisation de l'Afrique, réservoir mondial de ressources naturelles et de mains-d'œuvre, a supplanté l'Afrique cultivée, l'Afrique qui lit et qui se lit», expliquent les initiateurs. De ce fait, il existe «un besoin urgent d'historiciser l'Afrique en passant aussi et d'abord par l'historisation de sa littérature pour lui restituer ses imaginaires confisqués». C'est ainsi que les initiateurs de la Chaire plaident pour «une nouvelle reconfiguration de l'identité littéraire polyphonique africaine».