C'est un film qui n'est pas récent. Pourtant cinq ans après sa sortie dans les salles de cinéma du monde, Persepolis continue de faire couler de l'encre dans les pays arabes. Après la Tunisie en octobre dernier, cette polémique atteint le Maroc. Sans donner aucune raison, la Cinémathèque de Tanger vient de déprogrammer trois projections prévues en ce mois de juillet, créant ainsi l'indignation chez certains réalisateurs marocains. Ils appellent les établissements culturels marocains à ne pas céder face à la pression des conservateurs. Le 7 juillet dernier, la Cinémathèque de Tanger prévoyait la projection du film franco-iranien Persepolis signé Marjane Satrapi dans le cadre du Festival de la Fondation Groupama Gan pour le cinéma, un festival présentant au total 28 films du monde entier. Néanmoins, quelle a été la surprise des spectateurs lorsqu'ils se sont aperçus que le film Persepolis avait été remplacé à la dernière minute par les films «Séminaire du manifeste des voleurs» et «Une vie de chat», rapporte Rue 89 précisant que le film a également disparu du site internet de la Cinémathèque. Deux autres projections prévues les 11 et 15 juillet derniers ont été aussi déprogrammées et aucune explication n'a été donnée par la direction de la Cinémathèque. Pourtant le film avait reçu l'aval du Centre Cinématographique Maroc qui avait bel et bien délivré les visas d'exploitation. D'ailleurs ce n'est pas la première fois que le film est montré au Maroc. Persepolis avait été à plusieurs reprises projeté lors de festivals de cinéma en 2007 et notamment à celui de Marrakech. Représentation polémique d'Allah La déprogrammation de Persépolis à Tanger intervient 8 mois après sa diffusion chez Nessma TV, chaîne de télévision en Tunisie en octobre dernier. Sa diffusion avait déclenché la colère des islamistes qui ont par la suite manifesté dans les rues à cause de la présence d'une représentation d'Allah dans le film, chose interdite dans l'islam. Ils avaient d'ailleurs attaqué le siège de la chaîne tunisienne. Ainsi, la direction de la Cinémathèque aurait-t-elle censuré la projection du film de peur que des islamistes viennent manifester devant ses salles de cinéma pour dénoncer la représentation d'Allah dans le film ? Etait-ce par mesure de précaution ? Difficile de répondre à ces questions car la direction ne s'est toujours pas exprimée à ce jour. D'après Rue89, la Cinémathèque a promis de publier un communiqué de presse tardant à venir. Yabiladi a tenté de joindre de son côté la direction de la Cinémathèque mais sans grand succès, la Cinémathèque étant fermée le lundi. Autocensure «Il faut que la personne qui a pris la décision de déprogrammer le film Persepolis prenne ses responsabilités et explique au public marocain pourquoi le film a été censuré. Face à ce genre de choses, on ne peut que s'indigner et refuser une main mise sur la culture», lâche Mohamed Achaour, réalisateur marocain qui lui-même a connu la censure en novembre dernier lors de la sortie de son film intitulé «Un Film», à cause de la présence de certaines scènes à caractère sexuel. Sa plus grande crainte à l'avenir est de voir de plus en plus de réalisateurs et artistes marocains s'autocensurer dans leur œuvre afin d'éviter de s'attirer les foudres des islamistes et conservateurs de la société. «L'autocensure cela veut tout simplement dire qu'on accepte de faire des compromis. Soit on fait les choses honnêtement soit on ne les fait pas ! Il faut protéger ce que l'on fait et ne pas avoir peur de mener une bataille pour briser les lois du diktat des conservateurs», poursuit-il insistant sur le fait qu'il continuera à ne pas prendre de pincettes et à s'exprimer librement dans ses prochains films Absence de réactions des artistes «Ca me scandalise de voir la déprogrammation de Persepolis. C'est juste de l'autocensure ! Pourtant la Cinémathèque propose régulièrement une programmation riche en films. Je ne comprends pas ! La direction doit donner des explications», exige de son côté Kamal Hachkar, réalisateur franco-marocain du documentaire «Tinghir-Jérusalem : les Echos du Mellah». Depuis sa diffusion sur la chaîne 2M en avril dernier, le film est accusé de vouloir normaliser les relations avec Israël. «Mais ce qui me choque le plus est le silence des intellectuels et artistes marocains qui ne réagissent pas à cette autocensure. Je les invite à descendre de leur tour d'ivoire et à écrire un manifeste ou lancer une pétition pour dénoncer cette autocensure», ajoute-t-il. Malgré le succès de son film rencontré auprès du public marocain et un prix remporté à Rabat, Kamal Hachkar ne cache pas ses craintes de voir, un jour son film être censuré et retiré d'un festival ou d'un évènement cinématographique, à la dernière minute et sans aucune raison. «Ca me fait peur de penser que mon film risque un jour de ne peut être projeté dans une salle, tout ça parce que les organisateurs ont peur de la polémique. Il faut se bouger et montrer à ces islamistes qu'on peut combattre leurs idées et qu'on a pas peur d'eux», conclut Kamal Hachkar.