Les chibanis restent sous la pression des contrôles des caisses sociales qui leur délivrent, notamment, allocation logement et minimum vieillesse. Soumises à une condition de résidence - avoir résidé 6 mois et un jour au moins en France - ces allocations peuvent être suspendues, voire arrêtées si les caisses découvrent qu'elle n'a pas été respectée. Ces contrôles discriminatoires sont souvent effectués massivement, voire de façon brutale, dans les logements collectifs des chibanis. Antoine Math, économiste, chercheur à l'IRES et membre du Gisti a publié (ici), dans le numéro de «Plein droit» de juillet, un article expliquant en détail ce phénomène. Il revient sur cette «condition de résidence» qui pose aujourd'hui tant de difficultés aux chibanis. Yabiladi : Quelle ampleur prend le phénomène des contrôles discriminatoires voire brutaux des caisses sociales sur les chibanis ? Antoine Math : On ne connait pas l'ampleur du phénomène, on ne voit que la partie émergée de l'iceberg. On n'a connaissance que de ceux qui se sont organisés, des contrôles massifs dans des foyers, par exemple, lorsque les associations se mobilisent … Dans certaines villes où il y a eu de fortes réactions, comme à Perpignan, par exemple, la CAF a arrêté ces formes de contrôles, elle a même régularisé les droits de certains vieux migrants. Cela s'est fait uniquement sur la base d'un rapport de force politique et médiatique. C'est très variable d'un endroit à l'autre. On vient par exemple d'apprendre que des descentes dans les foyers ont eu lieu très récemment à Lyon ; en 2009, c'est à Toulouse qu'on en entendait parler. Quand ont débuté ces contrôles ? Quelle en est l'origine ? Tout a commencé en 2007 avec un décret visant à définir plus précisément la condition de résidence. Ce décret, en soit, n'est pas mauvais : il répondait à un besoin des caisses sociales, il n'avait pas pour objectif de supprimer les droits des vieux migrants. Ce décret a été suivi, en juillet 2008 d'une circulaire ministérielle, puis en 2009 des premières instructions de la CARSAT, de la CNAV… Ils ont donné le signal du contrôle de cette condition de résidence. Tout le monde dans les services de contrôles de ces caisses à dû se dire qu'il était plus facile de viser les chibanis : parce qu'ils font des vas et viens entre la France et leur pays d'origine, ils sont plus susceptibles de l'enfreindre. Il est aussi plus facile de faire une descente dans un logement collectif où vivent 200 personnes pour toutes les contrôler en même temps que de contrôler des individus isolés. Ces contrôles sont donc très ciblés, très discriminatoires. Si le premier décret qui a entrainé ces conséquences en cascades n'était pas mal intentionné, qui peut être tenu responsable de ces discriminations ? Il n'y a pas de méchant raciste caché derrière tout ça, c'est plus compliqué que ça, mais l'on peut considérer que la porte ouverte aux contrôles par les décrets de 2007 a croisé le discours politique qui dénonce les fraudeurs, contre ceux qui abusent du système. Dans ce cadre, les vieux migrants font de bons boucs émissaires. A l'origine, tout de même, la responsabilité revient aux politiques publiques, aux décisions froides prises dans le cadre d'un discours discriminant. En novembre 2011, Claude Guéant avait ciblé directement les vieux migrants, qui font «des allers et retours entre la France et leur pays d'origine, passent plus de temps dans leur pays et touchent des allocations en France». C'est un paradoxe de taille : cette la fameuse condition de résidence est une condition qui s'applique à tous, vous et moi compris, sans exception. Pourquoi, un ministre de l'Intérieur se mêle-t-il de ça ? Les droits sociaux contributifs sont des prestations sociales pour lesquelles les travailleurs immigrés en France, comme tous les salariés, ont cotisé. Ces droits sont-ils «exportables» ? Un contribuable peut-il en bénéficier quelque soit le pays où il se trouve, c'est-à-dire s'abstraire de la condition de résidence qui pose problème ? Seule la retraite contributive (le régime général et le régime complémentaire) est exportable. Pour les autres droits la condition de résidence est la règle à quelques exceptions près. Les citoyens de l'UE qui retournent dans leur pays après avoir travaillé en France, par exemple, peuvent continuer à toucher leur pension d'invalidité et leur rente d'accident du travail. Les Tunisiens et les Marocains bénéficient également de certaines «exportations de droits» dans le cadre d'accords bilatéraux. On pourrait soutenir, et c'est ce que font certaines associations, que quelqu'un qui a cotisé en France, qui bénéficie d'une retraite française, pourrait bénéficier également des droits sociaux où qu'il se trouve. Ou au moins qu'il puisse rentrer en France quand il veut, et que ses droits sociaux soient rétablis sans difficultés.