Le 18 mars 2021, l'ultimatum posé par l'armée algérienne aux propriétaires terriens d'El Arja (nord-est de Figuig) est arrivé à expiration, donnant lieu au déplacement forcé des héritiers des terres collectives des Oulad Slimane. Depuis la colonisation française, cette terre considérée sous souveraineté de l'Algérie a connu les viscicitudes du tracé frontalier. Le 18 mars 2021, désigné «journée de deuil» pour les habitant de Figuig, s'ajoute aux dates qui marquent l'évolution de la situation frontalière entre le Maroc et l'Algérie, où la région a vu ses terres historiques au niveau d'El Arja, à nouveau amputées. Territoire millénaire connu pour son passé civilisationnel, Figuig rassemble plusieurs tribus réunies par les liens de sang. La zone a constitué aussi un repère pour les apprenants des autres régions d'Afrique et du Moyen-Orient, venus bénéficier du savoir des érudits religieux. Au fur et à mesure des tracés frontaliers entre le Maroc et l'Algérie, les familles et leurs terres oasiennes communes ont été séparées. Des frontières sous la colonisation française A travers les dynasties qui se sont succédées dans les différentes régions de l'Afrique du Nord, la zone de Figuig a constitué un véritable rempart contre l'expansion de certaines armées, notamment celle ottomane. Avec la colonisation française de l'Algérie en 1830, elle sera au cœur des enjeux de la définition des tracés avec le pays voisin. Après la signature du traité de Lalla Maghnia en 1845, un accord entre le Maroc et les autorités françaises d'Algérie sur le statut de la zone frontalière de Figuig sera signé le 20 juillet 1901. L'année d'après, un second prévoit que «l'autorité chérifienne sera consolidée entre la Méditerranée et Figuig». Figuig et sa population marqueront une nouvelle fois l'histoire de la résistance aux tentatives expansionnistes, empêchant les manœuvres françaises dans la région. Les évènements donneront lieu à une riposte, à travers le bombardement des ksours de Figuig. Les tracés frontaliers seront définis tantôt à travers les lignes Varnier (1912) et Trinquet (1938), tantôt à travers des accords pour combler les imprécisions laissées par les textes signés depuis l'occupation française de l'Algérie. Mais au lendemain de l'indépendance du Maroc (1956) et de l'Algérie (1962), la question sera de nouveau mise en avant. Dès 1963, le Maroc réaffirme sa souveraineté sur Figuig et ses palmeraies environnantes. Le gouvernement français concède que le royaume est en droit de revendiquer notamment la palmeraie d'El Adjar, propriété des habitants de Figuig que les autorités françaises n'ont pas incluse au recensement de la population pour l'Algérie en 1950. Après la Guerre des Sables en 1963, les deux pays voisins signent de nouveaux accords relatifs aux frontières communes, en 1969 et en 1972. Les frontières débattues après l'indépendance Parallèlement aux tensions liées à la question du Sahara occidental, entre le Maroc et l'Algérie, le royaume a traversé une situation politique interne marquée par l'opposition des partis et des mouvances de la gauche. L'action du «Complot du 3 mars» est menée le 3 mars 1973 par le groupe Fqih Basri, dans le cadre de l'aile armée de l'UNFP. Des soulèvements se produisent dans plusieurs villes, dont Figuig, à partir de laquelle des armes ont été acheminés depuis l'Algérie. Après l'échec de l'opération, les habitants des régions concernées ont subi plusieurs exactions, arrestations et disparitions forcées. A partir de cette date, les populations locales sont exclues des projets de développement. A Figuig, elles ont été confrontées aussi aux intrusions algériennes sur leurs terres, dont elles ont été en partie dépossédées au cours des années 1960 et 1970. En 1972, la convention relative au tracé de la frontière entre les deux pays évoque «l'oued sans nom», près de Figuig, comme faisant partie des barrières naturelles séparant les territoires du Maroc et de l'Algérie. Considéré par Rabat et Alger comme étant celui qui traverse les terres d'El Arja, il est défini par la population locale comme étant plutôt «l'oued El Maleh», qui passe de l'autres côté des crêtes marquant la frontière, mais non pas celui qui traverse El Arja et qui porte le nom de cette zone. Dans un contexte de tensions entre le Maroc et l'Algérie, le royaume a attendu 20 ans avant de voter ce traité et le porter au Bulletin officiel en 1992, à la faveur de l'élection de Mohamed Boudiaf comme président et l'amélioration des rapports entre les deux pays. Mais le nouveau chef d'Etat est tué le 29 juin de la même année, une semaine après le vote du texte au Parlement marocain. En 1994 après l'attentat d'Atlas Asni à Marrakech, le Maroc impose des visas aux ressortissants algériens et le pays voisin répond avec la fermeture de ses frontières terrestres, rendant difficiles les activités oasiennes des agriculteurs de la région de Figuig. Il a fallu attendre les travaux de l'Instance équité et réconciliation (IER), en 2004, pour que des recommandations portent sur la réparation collective à travers la restitution des terres. Mais ce point restera toujours en suspens. Depuis 2020, les tensions sont ravivées et l'Algérie se souvient des termes de la convention de 1972. C'est ce texte qu'elle brandira, en mars 2021, pour sommer les héritiers des terres collectives des Oulad Slimane de quitter El Arja.