En intégrant le domaine de la réparation automobile avec sa sœur, Najlaa Lachkar a réussi à résister au regard dur de la société. Les deux Tétouanaises, diplômées en 2016, aspirent actuellement à ouvrir un atelier et un centre pour enseigner la mécanique aux jeunes filles. Dans la société marocaine, on a l'habitude de voir un homme s'allonger sous une voiture pour la réparer. Lorsque c'est une femme, cela en fait une exception, et surprend hommes et femmes venus réparer leur véhicule. Des réactions que Najlaa Lachkar, âgée de 27 ans, constate presque quotidiennement, elle qui a choisi le métier de mécanicienne. Un domaine qui n'est pas un choix par défaut pour la jeune tétouanaise. En effet, après la première année du baccalauréat, elle a choisi, avec sa sœur Rajaa, de s'orienter vers une formation professionnelle. En 2014, elle étudie ainsi les soins infirmiers et secouristes pendant trois ans avant de changer complètement de cap. «Après avoir entendu parler du programme "Forsati" de l'Association Al-Amal des femmes de Tétouan, financé par l'Agence américaine pour le développement international (USAID) et qui concerne plusieurs domaines, j'ai opté pour la mécanique», confie-t-elle à Yabiladi. Najlaa Lachkar raconte n'avoir annoncé ce choix qu'à sa mère à l'époque. «Nous n'avons pas osé le dire à notre père et à nos frères de peur de leur réaction, d'autant plus que nous vivons dans une ville conservatrice», explique-t-elle. «Enfant, j'aimais jouer avec les voitures et les démonter. Même à la maison, j'ai l'habitude de réparer un ensemble d'outils électroniques. J'ai donc décidé de me lancer dans ce métier pour briser les stéréotypes selon lesquels les femmes sont incapables de travailler dans certains domaines, et prouver à moi-même et à notre société le contraire.» Najlaa Lachkar Un chemin jonché d'obstacles et de sexisme Bien qu'elles ne soient pas les seules femmes de leur cursus, la jeune tétouanaise et sa soeur termineront seules leur formation, après le retrait des autres étudiantes. Leurs diplômes en poches, elles appréhendent l'accès au marché du travail qu'elles savaient semé d'embûches. «Nous avons frappé à la porte de plus de 20 ateliers de réparation automobile, mais nos demandes ont toutes été rejetées», se remémore-t-elle. «Certains nous disaient que nous ne pouvions pas être acceptées mais qu'ils pouvaient nous remettre des attestations de stage, ce que nous avons refusé», ajoute-t-elle. Najlaa et sa sœur ont également évité l'atelier appartenant à un ami de leur père, de peur que leur «secret» soit divulgué, avant de finir par solliciter son aide, sur le conseil de leur mère. Leur arrivée dans cet atelier en 2016 marquera le début de leur carrière dans ce métier. Acceptée par le propriétaire, elles feront toutefois face à des «refus» de la part de certains clients. «Ils refusaient qu'on touche à leur voiture. Nous entendions plusieurs commentaires comme "que laissez-vous aux hommes ?", "votre place est à la cuisine", déclare la bouillonante mécanicienne. «Parfois, certains passants devant l'atelier nous filmaient en secret. Les choses sont restées telles quelles jusqu'à ce qu'ils s'habituent à nous voir.» «Un jour, un client est venu réparer sa voiture, et le propriétaire de l'atelier m'a demandé de m'en occuper. Le client, dès son retour dans l'atelier pour récupérer son véhicule a lancé au propriétaire: "Voulez-vous que j'ai un accident de la circulation ? Je vous ai chargé de la réparer, pas de la confier à la fille". Ces propos m'ont énormément blessé.» Najlaa Lachkar Enseigner la mécanique aux jeunes filles Des commentaires sexistes qui étaient sur le point de décourager Najlaa et sa sœur, songeant à tout abandonner. «Cependant, à chaque fois, nous nous consolions. Des fois j'essaie de lui remonter le moral, des fois elle le fait pour moi», déclare la jeune femme qui réussira, plus tard, à surmonter ces difficultés et le regard de la société et faire ses preuves dans ce domaine. «Nous sommes devenues des expertes dans notre domaine de travail et parmi les véhicules que j'ai réparés et qui m'ont rendu fière de mon travail, une voiture de la marque DeSoto qui nous a été confiée», se rappelle-t-elle. Fabriquée en 1905, la voiture est apparue dans l'un des films de l'acteur belge Jean-Claude Van Damme. «Cela nous a pris trois mois», fait-elle savoir. Fin 2018, Najlaa a reçu une offre d'emploi dans une usine automobile, ce qui lui a permis d'acquérir «une bonne expérience», pendant deux ans, dans le montage de pièces automobiles. Avec sa sœur, Najlaa pense aujourd'hui à créer un centre pour formation pour «apprendre aux femmes comment réagir en cas de panne sur la route et à compter sur elles-mêmes». Les deux sœurs ambitionnent aussi de mettre en place un atelier de réparation automobile pour enseigner la mécanique aux jeunes filles. «Je ne veux pas que ce qui nous est arrivé à moi et ma sœur se reproduise avec d'autres femmes et qu'elles se voient refusés des opportunités», conclut-elle.