L'immigration a été, cette fois encore, l'un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle française. Elle s'est immiscée dans le débat public avec la viande halal, Mohamed Merah et le vote des étrangers aux élections locales. Ce dernier a été agité comme un épouvantail par les partis de droite comme une porte ouverte à la communautarisation de l'espace public... et d'aucuns d'accuser Najat Vallaud Belkacem, membre de l'équipe de campagne de François Hollande, d'agent double communautariste, 5ème colonne des intérêts marocains en France, le Conseil consultatif des Marocains de l'étranger... Et pendant que la droite s'indignait devant une telle menace pour l'intégrité nationale, les socialistes arguaient de la portée hautement symbolique de leur proposition, à la mesure de ce qu'a été l'interdiction de la peine de mort instaurée par François Mitterrand en 1981… Que les offusqués de la République se rassurent, il n'y aura pas de délitement de la Nation. D'abord parce que cela ne marche pas comme ça. Les étrangers Européens jouissent de ce droit depuis 1992 et, pourtant, nul parti de retraités britanniques, nul groupuscule de communistes espagnols, ni de libéraux démocrates allemands ne sont venus troubler la scène publique. Ensuite parce que les étrangers ne vont pas voter. «Votation citoyenne» un collectif associatif en faveur du droit de vote des étrangers agrégeant associations d'immigrés et organisations de défense des Droits de l'Homme organise tous les ans des élections blanches. Le moins que l'ont puisse dire est qu'elles n'ont pas mobilisé les masses. 17 pays de l'Union Européenne ont déjà adopté cette mesure. Aucun n'a enregistré d'effet notable sur la vie politique ou sur l'intégration. Une étude conduite en Belgique a montré que seul 15% des étrangers communautaires et 10% des extra communautaires se donnaient la peine d'aller voter. Bref, il ne suffit pas d'avoir le droit de vote pour l'exercer. Enfin parce que François Hollande, comme François Mitterrand avant lui (le droit de vote des étrangers étaient l'une des 110 propositions du programme commun de la gauche en 1981), ne l'appliquera probablement pas. Il faudrait pour cela un changement de la constitution, et donc, soit une majorité des 3/5e de l'Assemblée Nationale et du Sénat réunis, soit une validation par référendum. Il n'aura pas la première (tout annonce une faible majorité de la gauche aux prochaines élections) et il ne se risquera pas à organiser un référendum sur un sujet qui ne peut que lui apporter des ennuis. La politique d'intégration du programme socialiste se résume donc a une seule mesure qui ne sera pas appliquée. Et pourtant, le chantier est ici immense. Les trois grands instruments de cette politique : le Fond D'action Social et de Lutte contre les Discriminations (FASILD), la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations (HALDE) et la politique de la ville ont tous été asphyxiés par la droite. Le minimum serait donc de les remettre en ordre de marche. Coté immigration, Hollande nous annonce du Sarkozy, mais en plus souple : limitation des entrées de travailleurs justifiée par le chômage ambiant, régularisation au cas par cas au même rythme que les années passées (30 000 par an), poursuite des expulsions mais sans les objectifs chiffrés du gouvernement précédent. Les socialistes se démarquent cependant par l'intention d'instaurer un débat parlementaire annuel sur l'immigration. L'Assemblée Nationale devra fixer les limites de l'immigration de travail. Là encore, on peut s'interroger sur la pertinence de cet objectif. Laisser au politique le soin de limiter les flux est en soit le signe d'une méconnaissance des dynamiques migratoires. Le volume des migrations dépend avant tout des conditions économiques et de la croissance. On sait depuis longtemps que les politiques migratoires n'ont qu'un effet limité sur les flux de main-d'œuvre. Il est donc illusoire de vouloir prédéfinir un plafond. François Hollande s'affiche donc largement dans la continuité de son prédécesseur. Toutefois, on peut espérer que le nouveau gouvernement cessera d'instiller une atmosphère fascisante. Depuis 2010 et le discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy a joué la carte des amalgames entre immigration, assistanat et délinquance. Il a instauré les objectifs chiffrés des reconduites à la frontière et la chasse honteuse aux sans-papiers jusque dans les cours de récréation. On en connait les conséquences: 6 millions de voix pour Marine Le Pen au premier tour, la défaite historique de Sarkozy et une explosion probable de l'UMP. Je vais peut-être pécher par optimisme, mais je pense toutefois que les débats parlementaires pourront permettre de dissiper certaines fausses idées concernant la migration. Non, la France n'est pas un des grands pays de destination dans le monde. C'est même, après le Japon, le pays de l'OCDE le plus restrictif ! Non l'intégration n'est pas en panne. On voit émerger une élite politique, économique et associative d'origine Nord Africaine depuis le début des années 2000. Non l'immigration n'est pas la cause de la montée du chômage ; celui-ci est bien davantage dû aux déficits de formation et aux difficultés pour les chômeurs de déménager pour trouver l'emploi là où il est. Et non, l'immigration ne se réduit pas à une question de flux entrants. Il y a bien d'autres aspects qui occupent la vie des migrants: les discriminations, les pratiques religieuses, les pratiques transnationales, les transferts de fonds, la mobilité de la main-d'œuvre, la question des secondes générations... Peu de changements en perspective pour ce quinquennat de Hollande, mais peut-être, enfin, aurons nous un débat plus ouvert.