Le Maroc compte 37 millions d'habitants dont, forcément, la moitié de femmes. Le problème est que cette moitié de la population vit dans le cadre d'une législation qui ne lui confère pas tous les droits auxquels ses membres peuvent prétendre. Comment faire alors pour développer un pays, ou du moins le mettre sur les rails du développement, sans la moitié de sa population ? Et pourtant… Et pourtant, le chef de l'Etat marocain n'a eu de cesse d'appeler, voire d'interpeller, la classe politique pour remédier à cette « anomalie ». Déjà, en 1999, Mohammed VI disait en effet ceci : « Comment espérer atteindre le progrès et la prospérité alors que les femmes, qui constituent la moitié de la société, voient leurs intérêts bafoués, sans tenir compte des droits par lesquels notre sainte religion les a mises sur un pied d'égalité avec les hommes, des droits qui correspondent à leur noble mission, leur rendant justice contre toute iniquité ou violence dont elles pourraient être victimes, alors même qu'elles ont atteint un niveau qui leur permet de rivaliser avec les hommes, que ce soit dans le domaine de la science ou de l'emploi ? ». Bien sûr, un discours laissé lettre morte de la part d'une scène politique sclérosée, incapable de prendre des décisions et, en même temps, ses responsabilités. En 2004, le parlement avait fait évoluer le Code de la famille, communément appelé Moudawwana, et cela s'était effectué sur la base des recommandations de la Commission royale chargée de réviser ce Code, malgré les résistances de la frange conservatrice de la société, soutenue par ses prolongements politiques officiels, le PJD, et officieux, al Adl wal Ihsane. Les droits des femmes ont été « améliorés » et, depuis, rien. Une constitution a été adoptée en 2011, conférant encore plus de droits aux femmes et appelant à leur égalité avec les hommes. Mais si les lois changent, les mentalités demeurent… et l'état d'esprit patriarcal et résolument masculin aussi. Voici ce qu'en disait le CNDH dans son rapport sur l'égalité et la parité en 2015 : « La prégnance des stéréotypes de genre a d'autant plus d'impact dès lors qu'elle concerne des acteurs qui ont pour mandat de protéger et de promouvoir les droits humains des femmes, notamment le législateur, le magistrat et le système de sécurité. Or, ce sont précisément des corps peu féminisés et ayant, souvent, tendance à privilégier la morale et les valeurs patriarcales aux dépens de l'application stricte et équitable des lois en vigueur ». Le problème est là, et il reste entier ! Si l'administration de la police s'est organisée en féminisant à tour de bras et en impliquant des officiers femmes dans ses services de proximité, justice et surtout parlement restent à la traîne, et confirment encore le constat du CNDH. Quelques années plus tard, en 2021, le Nouveau modèle de développement consacre tout une partie de son rapport au rôle que devraient avoir les Marocaines dans ce Maroc que tout le monde appelle de ses vœux. Mais rien n'y fait ! Le manque de réelle volonté politique n'a d'égal que la multitude d'études, d'analyses, de contributions, de commissions et d'enquêtes à ce sujet. Le législateur tarde à mettre en œuvre l'Autorité pour la parité et la lutte contre la discrimination, l'aussi fameuse que furtive APALD. La particularité du Maroc est que la frange moderniste ou progressiste de sa société évolue, étudie, réfléchit, se projette, et continue de le faire, alors que la composante conservatrice est moins active mais plus nombreuse, privilégiant le statu quo. Et le problème du Maroc est que dans son évolution politique, économique et sociétale, il doit franchir des caps et des étapes, parmi lesquels la situation de la femme dans la cité, la famille et l'emploi. Récemment, une autre étude a été publiée (par l'Association des femmes marocaines pour la recherche et le développement), de laquelle il ressort que pour la question de la succession, véritable nœud de l'égalité de genre, 36% des Marocains sont favorables à la révision du système successoral, contre 44% qui y demeurent opposés. Bien qu'ils soient minoritaires, les pro réforme avancent, soutenus par les différentes sessions consacrées par l'ONU aux droits des femmes, la dernière s'étant tenue en juin 2022. Et, lors de son dernier discours du Trône, le roi Mohammed VI a encore appelé à une réforme de la Moudawana, pour aller plus loin dans les droits dont bénéficient les Marocaines. Le roi a bien redit qu'il ne pouvait autoriser ce que Dieu a interdit et inversement, mais il a ouvert nombre de brèches et de possibilités à travers cette phrase de son discours : « A cet égard, nous nous attachons à ce que cet élan réformateur soit mené en parfaite concordance avec les desseins ultimes de la Loi islamique (Charia) et les spécificités de la société marocaine. Nous veillons aussi à ce qu'il soit empreint de modération, d'ouverture d'esprit dans l'interprétation des textes, de volonté de concertation et de dialogue, et qu'il puisse compter sur le concours de l'ensemble des institutions et des acteurs concernés ». Si le roi, Commandeur des croyants, ne peut certes tout s'autoriser, il peut en revanche entériner des décisions de la représentation populaire qu'est le parlement. Et en appelant à impliquer « tous les acteurs et institutions », à tenir compte des « spécificités de la société », à définir les « desseins ultimes de la Charia » et à faire montre « d'ouverture d'esprit et de modération », le chef de l'Etat appelle les élus de la Nation à se montrer audacieux, diplomates, érudits, observateurs… mais surtout audacieux pour être productifs. Il semblerait cependant que le parlement, avec ses deux Chambres, reste pusillanime quant à une quelconque avancée théologique, que la société requiert pourtant pour continuer d'avancer vers le progrès. Nous en sommes là, la balle est dans le camp de l'institution législative…