C'est ainsi que cela se passe au parti de l'Istiqlal… les non-dits. Tout le monde sait que le président du Conseil économique, social et environnemental Nizar Baraka sera candidat à la fonction de secrétaire général, mais celui-ci ne s'est pas encore formellement déclaré. Il a quand même démarré sa campagne, et il a une quarantaine de jours pour convaincre, malgré des écueils qui tomberont très certainement. Le suspense est théorique, sauf deus ex machina de dernière minute qui permette de renverser la vapeur. L'actuel (et encore) patron de l'Istiqlal Hamid Chabat est sévèrement cabossé par ses sorties malheureuses sur l'histoire du Maroc, par l'origine de sa fortune, dont l'opacité n'a d'égale que son importance, par ses propos fort douteux sur sa mort prochaine, sur l'Etat profond, sur l'Oued Cherrat. Et de fait, Chabat est contesté par les trois quarts de son Comité exécutif, mais aussi et surtout, il a été lâché par ses plus puissants vassaux, les représentants du Souss et du Sahara, respectivement les Qayyouh père et fils et Hamdi Ould Rachid. Ils viennent d'être rejoints par leurs pairs de la région du nord. Et ainsi, Chabat a perdu le peu de crédibilité qui lui restait, la douteuse légitimité dont il s'est toujours prévalu, ainsi que le soutien de ses bases, emmenées par les notables de leurs régions. Concernant Nizar Baraka, le teasing est bien mené. D'abord, au commencement, il y avait la rumeur. Puis, comme on sait, une rumeur non démentie devient vérité. Et la vérité, pour quelle s'installe durablement, doit être appuyée par une réaction. C'est ce qu'a fait le président du CESE, et ancien ministre des Affaires générales (2007-2012) puis des Finances (2012-2013), dans une tribune dans Assabah, parue voici un mois environ. Baraka explique qu'après 35 ans (il en a 53) de militantisme au sein de l'Istiqlal, il partage les préoccupations des Istiqlaliens et des Istiqlaliennes quant au délitement et à la régression de leur formation. Il a donc appelé, puis contribué, à une autocritique (du nom du livre culte à l'Istiqlal de son grand-père Allal el Fassi) du parti et de son fonctionnement. Il reprend là en quelque sorte le fameux communiqué signé par les dirigeants les plus en vue de l'Istiqlal le 29 décembre, dont l'ancien zaïm Mhamed Boucetta, décédé entretemps. Puis Nizar Baraka attaque dans sa tribune le secrétaire général Chabat en affirmant que ses positions mettant en cause les fondamentaux du royaume (critique suprême au sein de l'Istiqlal) ne sont qu'une fuite en avant qui mène le parti vers l'inconnu. Et l'inconnu, on le sait, est toujours incertain, voire périlleux. Alors candidat ou pas, Nizar Baraka ? Assurément oui. Et cette fin avril, quand le congrès général du parti se tiendra enfin, après un report, l'élection mettra face à face Chabat et Baraka. Mais le premier est un fin politicien, qui a verrouillé les choses. En effet, pour être candidat, il faut être membre du Comité exécutif, selon l'article 54 des statuts, ce qui n'est pas le cas de Baraka. Chabat a commencé, donc, par éloigner la menace immédiate de Taoufiq Hjira (Karim Ghellab et Yasmina Baddou n'ayant en réalité aucune chance de l'emporter et de devenir patrons un jour, de l'Istiqlal), puis le voilà aujourd'hui qui active son ami Abdallah Bakkali, président de la commission préparatoire du parti, pour tenir bon et ne pas amender l'article 54. Mais tout cela, connaissant l'Istiqlal, n'est que gesticulations désespérées d'un homme qui se sait politiquement fini et qui veut douloureusement jouer quelque incertaine prolongation. Désavoué par le défunt Boucetta et par Abdelkrim Ghellab, attaqué au Comité exécutif, poursuivi par la justice, abandonné par ses soutiens habituels, il n'a pour ainsi dire aucune chance contre Nizar Baraka, homme instruit, talentueux, courtois, ministre à l'actif incontestablement bon, voire prestigieux, et, ce qui est très important à l'Istiqlal, petit-fils du fondateur Allal el Fassi, gendre d''Abbas el Fassi, neveu d'Abdelouahed el Fassi… On attend donc dans les prochains jours l'annonce officielle de sa candidature par Nizar Baraka, et on peut s'attendre dans les prochaines semaines à un amendement des statuts du parti. Dans l'intervalle, Chabat s'active fébrilement, dans un sursaut d'orgueil et un réflexe de survie.