Aziz Akhannouch tient à « son » USFP, et Abdelilah Benkirane ne veut toujours pas en entendre parler. On ne peut que constater le profond désaccord existant désormais entre le président du RNI et le chef du gouvernement désigné, et du PJD. Celui-ci a indiqué par la voix de ses proches qu'il attendra le retour du chef de l'Etat pour lui faire un rapport de ses tractations, et aussi l'informer de son échec à former un gouvernement. Bref historique de la formation de ce gouvernement Dès sa nomination, le 10 octobre 2016, Benkirane a fait savoir qu'il tenait à avoir le RNI dans son gouvernement. C''est normal car la technicité économique et financière se trouve dans ce parti. Or, le RNI a changé de président, troquant Salaheddine Mezouar pour Aziz Akhannouch, lequel est arrivé avec la ferme intention de restructurer le parti et d'en faire une formation de masse, et non plus cet assemblement de notables qu'il a toujours été. Dès son élection à la tête du RNI, Akhannouch s'est adjoint la petite UC, pour former un groupe avec ses députés, un groupe formé de 56 élus. Puis le nouveau chef du RNI a été chercher Mohand Laenser du MP et lui a proposé d'aller tous deux chez Benkirane pour le convaincre de reconduire la majorité sortante, plus l'UC et l'USFP. Abdelilah Benkirane avait initialement refusé, très irrité par l'insistance d'Akhannouch d'évincer l'Istiqlal de sa majorité. Mais par la suite, et le cas Hamid Chabat (SG de l'Istiqlal) aidant, le chef du gouvernement désigné a fini par accepter l'idée de se défaire de l'Istiqlal, puis d'accepter l'UC. Mais il refuse toujours l'USFP. Il l'a redit la semaine dernière, à l'issue du secrétariat général du PJD. Et en fin de semaine, Akhannouch a insisté sur le parti de Driss Lachgar. Impasse, donc… Que pourrait faire le roi ? Le chef de l'Etat a plusieurs possibilités, que lui confère la constitution, en son article 42, où il est indiqué que « le Roi, Chef de l'Etat, son Représentant suprême, Symbole de l'unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat et Arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique (…) ». De fait, il devra donc réagir au constat d'échec de Benkirane. De plusieurs façons possibles : 1/ Renouvellement de sa confiance à Benkirane. Cela devrait normalement conduire Akhannouch à se soumettre à la volonté de Benkirane, en renonçant à sa demande insistante d'intégrer l'USFP dans le gouvernement. La majorité sera donc formée du PJD (125 élus), du RNI/UC (56), du PPS (12) et du MP (27), soit un total de 220 députés sur 395. 2/ Nomination d'un nouveau chef du gouvernement, pris au sein du PJD. Cela pourrait être le numéro 2 Saadeddine Elotmani, ancien ministre des Affaires étrangères et président du Conseil national du PJD, ou Mustapha Ramid, ministre de la Justice, ou encore Aziz Rabbah, ancien ministre de l'Equipement et du Transport et maire de Kenitra. Mais le chef de l'Etat peut nommer n'importe qui d'autre au sein du PJD, aux termes de l'article 47 qui indique que le chef du gouvernement doit appartenir à la formation arrivée première au scrutin. Les tractations devront alors commencer entre le nouveau chef du gouvernement désigné et Aziz Akhannouch, qui s'est d'ores et déjà imposé comme chef de la coalition qui complèterait sa majorité au gouvernement. Rien n'indique que les choses iraient mieux, mais Benkirane étant affaibli et contesté au sein de sa formation, il ne fait pas de doute que son successeur se montrerait plus souple avec Akhannouch. 3/ Arbitrage du roi. Le chef de l'Etat pourrait, comme en 2013, réunir les deux protagonistes de ce blocage gouvernemental et œuvrer à rapprocher leurs positions, par l'adhésion de l'USFP contre une plus grande souplesse d'Akhannouch sur les départements ministériels à affecter à son parti, ou l'éviction de la même USFP moyennant des concessions de Benkirane au RNI. 4/ Nomination d'un chef du gouvernement qui ne serait pas membre du PJD. Les choses se compliqueraient car il faudrait une lecture constitutionnelle. En effet, en cas d'échec à mettre en œuvre l'article 47, le chef de l'Etat peut s'appuyer sur l'article 42, selon les constitutionalistes. En effet, le roi « veille au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique », dit le 42. Cela passe par cette alternative consistant à prendre soit le chef du parti arrivé second, en l'occurrence le PAM, soit le bloc de formations à même de réunir une majorité. Le PAM étant relégué en position difficile depuis le 7 octobre, et sérieusement affaibli, il restera la seconde option, celle d'Akhannouch et les 3 partis qui le soutiennent (UC, USFP et MP). Cette configuration, en plus d'être rejetée par les deux principaux concernés, Ilyas el Omari (SG du PAM) et Aziz Akhannouch, poserait la difficulté de ne pas être comprise et admise par l'opinion publique, le PJD et ses médias amis ne cessant de torpiller toute solution, aux cris de « putsch contre la démocratie ». Et pourtant, l'usage du 42 pour sortir de crise serait une solution plus que satisfaisante, le PJD semblant vouloir dominer un gouvernement dans lequel il serait minoritaire. 5/ Convocation de nouvelles élections. Une élection législative sera donc organisée, moins d'un an après celle de 2016. L'option est à écarter car en plus du coût financier élevé d'un tel type de scrutin, le coût moral est aussi à prendre en considération. Le Maroc n'a pas de loi de finances et nous sommes déjà en mars, l'opacité règne au sein de la classe économique, le Maroc est en pleine offensive africaine et européenne, et une crise politique enverrait un signal particulièrement négatif à l'étranger sur un pays qui ne cesse de se vendre comme une exception. Dans tous les cas de figure, on notera les éléments suivants : 1/ La longue absence du palais dans ces tractations gouvernementales, puis son intervention sur demande des partis et au regard des dispositions constitutionnelles (article 42) ; 2/ La mauvaise lecture que font les uns et les autres, et surtout le PJD, du texte constitutionnel. En effet, être classé premier ne signifie pas une victoire, aux termes de l'article 88 qui définit une victoire comme le fait de disposer de la majorité absolue des députés de la Première Chambre ; 3/ L'incapacité de nos personnels politiques de s'engager dans des tractations sans verser dans l'insulte et l'invective. On aura entendu toutes les insultes possibles des uns contre les autres, avec une palme particulière au PJD et à sa nébuleuse médiatique, et à l'Istiqlal avec les termes orduriers de Chabat et de son clan. On notera, cependant, la bonne tenue verbale du RNI, de l'UC et du MP.