« Il y a trop d'Africains ici ! »… « Y a des Africains qui habitent dans cette maison… »… « Y a un Africain avec moi en classe »… Autant d'expressions que nous entendons quotidiennement et que nous n'accueillons pas avec la fermeté requise… comme si les Marocains n'étaient pas africains… comme si un Africain noir de peau était un être de seconde catégorie. Les mots ne sont jamais innocents ; ils traduisent notre manière de concevoir les gens et de percevoir les choses. Et ainsi, lorsque nous évoquons l'Afrique et les Africains aux 3èmes personnes du singulier ou du pluriel, cela signifie en creux notre rejet de notre appartenance géographique et culturelle. Mais avec nos mots, nous traduisons bien plus grave encore : notre refus de l'Autre, sous-développé, ou que nous concevons comme tel. Aussi, et en dehors de tous les slogans sur la tolérance, il nous faut bien admettre que notre racisme envers les étrangers (quand ils ne sont pas blancs de peau) est une seconde nature chez nous… Alors que nous demandons, que nous réclamons, que nous exigeons de voir nos compatriotes bénéficier de leurs droits dans leurs différents pays d'accueil, nous rechignons à accorder ces mêmes droits aux étrangers qui vivent sur notre sol. A titre de simple comparaison, le nombre de migrants qui avaient été régularisés lors de la première vague au Maroc, en 2014 (sachant que c'était là la première initiative du genre dans les pays du sud) était de 25.000 personnes environ, alors que les Marocains vivant en France sont plus de 1,5 million, qu'ils sont aux alentours des 500.000 en Belgique et quelque 300.000 au Canada. Voyons-nous à présent la différence numérique entre « ces Africains qui sont décidément trop nombreux chez nous » et nos compatriotes qui sont encore bien plus nombreux en Europe et ailleurs ? Ces émigrés marocains un peu partout dans le monde, avec leurs 1ère, 2ème, 3ème générations demandent le respect de leurs droits identitaires : viandes halal, mosquées, apprentissage de la langue arabe pour leurs progénitures… Fort bien. Allons-nous, ici, au Maroc, sur le plan social, accepter la construction d'églises pour les communautés étrangères vivant chez nous, puisque ces migrants ne sont pas tous musulmans ? Tolérerons-nous leurs manifestations culturelles diverses et diversifiées, de l'habit à la réjouissance, en passant par tant d'autres choses qui leur sont propres ? Slogans et déclarations d'intentions mises à part, il nous faut très sérieusement nous interroger sur notre véritable foi dans les principes de citoyenneté et de droits, quels qu'ils soient. Comment donc et par quelle logique pouvons-nous revendiquer des droits et privilèges pour nos émigrés quand cela nous sied, et refuser ces mêmes privilèges et droits quand il s'agit pour nous de les assurer aux immigrés au Maroc ? Et il y a aussi cette autre douloureuse question : Notre comportement est-il le même avec le migrant européen blanc chez nous qu'avec le migrant africain noir ? Assurément non… Nous ne voyons pas de la même façon l'immigré français ou espagnol… celui-ci a droit à tous les égards de notre part, même quand il verse d'aventure dans l'illégalité. Plus encore, nous acceptons de sa part qu'il ait des pratiques, habitudes et comportements différents des nôtres (ramadan, alcool, réception d'amis à la maison…). Nous lui louons nos maisons avec joie et une fierté même pas dissimulée et quand il arrive que nous l'employions dans nos entreprises, nous avons le sentiment d'avoir réalisé une prouesse. Mais en face, pour les autres, les immigrés venus des pays du sud, leurs témoignages sont édifiants : ils parlent de violence et d'ostracisme, voire de racisme, quand ils s'adonnent à leurs habitudes et veulent vivre leurs différences. Le problème est donc double : d'une part, il y a cette ambivalence dans les relations aux autres , en demandant pour les nôtres à l'étranger ce que nous refusons aux étrangers chez nous, et d'autre part, nous avons cette différence de comportement à l'égard des migrants sur notre sol, en fonction de leur origine et de la couleur de leur peau ; l'Européen blanc est une « richesse » dont on s'enorgueillit et l'Africain noir est une « malédiction » que l'on rejette… Mais, bien évidemment, nous trouverons toujours des gens sous nos cieux pour dire, affirmer, clamer et proclamer que nous sommes « un pays de tolérance ».